Statera cherche 1 500 000 $
Par Jocelyn Daneau
Le 7 décembre 2017, le
Rassemblement pour la
relance économiquement de la
région de Sorel-Tracy (RIRÉRST)
réunissait 300 personnes au quai
Catherine-Legardeur de
Sorel-Tracy dans ce que l'on
nous pouvons appeler, un
pitch
de vente en vue du financement
du projet Statera, censé ouvrir
en juin 2018.
Ainsi :
« La présentation s’est terminée
avec le lancement de la grande
campagne de financement de
Statera. L’objectif de cette
campagne est fixé au montant de
1 500 000 $. Se voulant une
démarche co-constructive d’un
positionnement de destination
touristique globale, cette
campagne fera rayonner tant
Statera que ses partenaires. En
faisant la promotion de
l’ensemble de la région et non
de ses attraits présentés
individuellement, cette
stratégie incitera les touristes
à prolonger leur séjour afin de
profiter des avantages de la
destination. Cette démarche
stimulera ainsi directement
l’économie locale en faisant
bénéficier tous les partenaires
des retombées de l’expérience
Statera. »
(Source :
Kimmaly Paul-Hus, Statera
Expérience,
7 décembre 2017)
On sait que fiscalement,
investir dans un
Organisme à but non lucratif (OBNL)
est l'équivalent d'un don de
bienfaisance déductible selon
votre revenu disponible, à
hauteur de 50 % (approx.) Ce
n'est donc pas un investissement
au sens classique du terme avec
un rendement financier.
Ceci étant, posons l'hypothèse
que vous n'êtes pas une grande
entreprise comme Rio Tinto QIT
qui pourrait être tentée comme
bon citoyen corporatif, de
prendre une commandite auprès de
Statera. Mais que vous êtes un
investisseur ordinaire, un
retraité, un membre de la
communauté d'affaires locale et
régionale de Sorel-Tracy, un
politicien municipal (pourquoi
pas?) et on vous propose de
prendre un morceau de ce 1,5 M$
dans
cet OBNL. La première chose que
vous allez faire
instinctivement, c'est de
l'arbitrage de portefeuille.
Autrement dit, vous
allez réfléchir en simultané en
termes de risque, de rendement
et donc, d'investissement
alternatifs,
notamment en décidant de garder
votre argent dans vos poches,
d'acheter un
Certificat de placement garanti
(CPG) ou pourquoi pas, un
Bitcoin.
Les 3 mesures du risque de
Statera
Première mesure, est-ce qu'un ou
des élus municipaux investissent
de l'argent de leur patrimoine
familial dans Statera? Il est
légal pour le citoyen élu
d'investir dans un OBNL. À
défaut, par exemple, le conjoint
pourrait le faire. Ici, risque
et rendement de Statera sont
intimement liés à la confiance
dans son modèle d'affaires.
Autrement dit, si les élus ne
veulent pas investir de leur
propre argent dans Statera,
pourquoi le ferions-nous?
Pourquoi le ferait-il avec notre
argent? On le sait, il
est toujours plus facile de
manipuler de l'argent public,
désincarné de son opérateur, que
le sien propre.
Un bon signal pour la confiance
dans le modèle d'affaires de
Statera serait donc, un
investissement privé de chacun
des membres du conseil municipal
de Sorel-Tracy, sous réserve de
règles de gouvernance claire,
comme la loi le permet.
Deuxième mesure, la robustesse
de l'étude de marché
concernant Statera, laquelle
n'est pas publique; et non
soumis à la Loi d'accès à
l'information, malgré le fait
que son fonds de roulement et
ses dépenses d'immobilisation de
4 M$ soient garantis par les
citoyens de la ville de
Sorel-Tracy. Selon ce que l'on
sait par le biais de Statera, on
parle par exemple de
« … 37 000 personnes
dès la 1ere année (70 % en
provenance de l’extérieur de la
région de Sorel-Tracy) ».
C'est une affirmation séduisante
a priori, mais qui repose sur
quels types d'hypothèses? On ne
l'est connaît pas. D'autant plus
que selon les mots mêmes de
madame Nathalie Lemay membre du
CA de Statera (2
Rives, 23 novembre 2017) :
« C’est
un défi... Les études démontrent
qu’il y a du travail à faire
pour rendre Sorel-Tracy
intéressant. »
Considérant les concurrents de
proximité comme le Zoo de Granby
(et son Dinosarium) et La Ronde,
on parle ici d'un coût d'entrée
de 45 $ par personne, pour une
une prestation dont :
« La durée des deux expériences
se situera autour de 45 minutes
pour le parcours intérieur et 25
minutes sous le dôme. ».
Donc, 70 minutes de show quand
par exemple, le Zoo de Granby
offre un spectacle quasi en
continu comme la Ronde. Ainsi,
selon M. Christian Bouchard de
Statera : « Le
but est de garder les touristes
une journée complète ou deux.
Ils pourront faire l’expérience
Statera à l’intérieur, visiter
les îles, souper au centre-ville
et venir à l’expérience le soir
».
On sait que ce n'est pas tout le
monde qui aime le kayak,
plusieurs restaurants dans le
centre-ville de Sorel-Tracy ont
récemment fermé leur porte et…
que pour occuper 37 000
personnes dans la région selon
les prétentions de M. Bouchard,
il faudra beaucoup d'une
imagination que l'on ne perçoit
pas pour l'instant, dans notre
trame urbaine.
Le tout mériterait des
explications plus robustes
qu'une simple affirmation d'un
« 37 000 »
personnes la première année,
pour un événement touristique
qui serait tellement attractif
qu'immédiatement en
juin 2018,
les visiteurs seront détournés
de leur destination touristique
habituelle pour venir à
Sorel-Tracy. D'autant plus que
Statera devrait fonctionner de
mai à octobre, disons 140 jours
consécutifs c.-à-d. 264
personnes par jour tous les
jours sans exception c.-à-d. 66
familles, 10 classes d'enfants,
etc.
De même, le citoyen-investisseur
à qui ont promet des retombées
économiques doit se questionner
sur la nature de celles-ci,
selon naturellement son secteur
d'activités. Ainsi, Statera
promet des retombées économiques
régionales de 2,2 M$
annuellement. Encore ici, on ne
connaît pas les hypothèses ayant
mené à ce résultat. Statera
a-t-il par exemple, utilisé le
Modèle intersectoriel de
l'économie du Québec
de
l'Institut de la Statistique du
Québec
pour l'obtenir? Ceci étant,
2,2 M$ selon ce
modèle, considérant les effets
de fuite, les impôts et les
taxes, c'est l'équivalent de
3,6 M$ de dépenses sur place.
Autrement dit, c'est 97 $
dollars de dépense par jour par
visiteur. Si on tient compte du
prix du billet de 45 $, chaque
visiteur de Statera doit
dépenser 142 $ c.-à-d. 568 $ par
famille de 4. Est-ce réaliste?
Telle est la nature de l'un des
principaux enjeux de Statera
pour un investisseur et pour le
décideur public.
Troisième mesure, le plan
d'affaires de Statera est
publiquement inconnu pour
l'instant. Par exemple, où se
situe le point mort de la
rentabilité financière en termes
de fréquentation? Plus il se
rapproche du 37 000e visiteur,
plus une simple période de
mauvais temps peut faire
dérailler l'ensemble. En cas de
déficit, qui est caution? Est-ce
les citoyens de Sorel-Tracy?
Pour des raisons d'études de
marché bâclé et d'incompétence
généralisée, le projet de
Recyclo-Environnement coûtera
2,4 M$ en 2018 aux seuls
contribuables de Sorel-Tracy
c.-à-d. à partir de leur compte
de taxes de 2019. Qu'en est-il
de Statera?
D'autres questions pourraient
être soulevées, j'en retiendrai
2. La première, c'est concernant
la qualité de l'équipe de
gestion opérationnelle et la
rétention de personnelle dans le
contexte d'un événement qui
n'est ouvert que 140 jours par
année? Comment par exemple,
assurer la continuité et la
pérennité du savoir-faire dans
ce projet qui utilise un fort
contenu technologique? À ce
titre, comment Statera gèrera la
continuité technologique dans un
monde où les versions de
logiciel se succèdent
rapidement? Est-ce que la firme
XYZ Technologies, maître d'œuvre
en phase projet, qui le sera en
phase exploitation? À quel coût
et avec quel genre de contrat
quant aux responsabilités
mutuelles des parties prenantes,
serons-nous liés comme citoyen?
Deuxièmement, qui assure le
risque technologique de ce
projet? Parce on le sait, en ce
domaine, il n'y a rien de simple
sauf pour les vendeurs; surtout
lorsque l'on ouvrira les boites
au printemps de chaque année,
pour réinstaller l'équipement,
surtout si ce n'est pas le même
personnel que l'année
précédente?
Tel est un aperçu des questions
à répondre pour évaluer le
risque d'un placement dans
Statera.
Le rendement financier de
Statera
Compte tenu de ce qui précède,
admettons que vous avez 5 000 $
à placer. Examinons les
alternatives. Vous faites un don
de 5 000 $ et vous recevez un
crédit d'impôt de 2 500 $ pour
une perte de rendement de 50 %.
Vous gardez cet argent dans
votre compte courant pour être
grugé en partie par l'inflation.
Vous pouvez le mettre dans un
CPG chez Desjardins, c'est
1,35 % annuellement; gain réel
nul, mais certain. Si vous
désirez absolument investir dans
le divertissement et prendre un
peu de risque, vous pouvez
facilement regarder du côté de
Six Flags (SIX sur le NYSE) qui
est propriétaire de La Ronde.
Cette entreprise américaine a
livré sur une base annuelle au 4
janvier 2018, un rendement de
8,2 % (en USD).
Recommandation
Si j'étais conseiller financier,
compte tenu de ce qui précède,
sauf si vous voulez
être un bon citoyen corporatif,
je ne vous recommanderais pas
comme client de mettre de
l'argent dans Statera, du moins
pour l'instant.
Certes, pour être dans la « gang »,
surtout quand la facture est
répartie sur l'ensemble des
contribuables, nous pouvons nous
laisser séduire par la nature
mythique de ce concept qui est
issu d'un autre mythe urbain
surnommé Écomonde. Lequel était
supposé sauver le Sorel-Tracy
économique, a surtout
cannibalisé au cours des
dernières années, la majorité de
nos efforts de développement
économique sous l'angle de : « Écomonde
s'en vient, attendons
».
Naturellement, si Statera
émettait publiquement
un prospectus crédible et
complet sur son modèle
d'affaires, mes recommandations
pourraient changer. En
attendant, comme le chantait feu
Jean Gabin : « J'observe
et je m'interroge ».
Je dédie cette chronique à Gary
Carpentier, photographe. Lui
dont l'étincelle dans l'œil
illumine Sorel-Tracy et son
peuple comme aucun.
Jocelyn Daneau,
jocelyndaneau@gmail.com |