Courriel Saurelois
Une chronique sur l'histoire de Sorel
de Roland Plante

02 août, 2019

En collaboration avec :

Raid sur Deerfield
Par : Madeleine B. Lussier et Roland Plante

Contexte :

La guerre de succession d’Espagne, (Les Anglais la nomment Queen’s Ann War) qui oppose plusieurs pays en Europe, entre 1701 et 1714, connut des répercussions en Amérique.

Le principal enjeu est la succession au trône d’Espagne. En effet, Charles II d’Espagne est décédé sans héritier. C’est le dernier Habsbourg espagnol. Son testament stipule que la couronne reviendra à Philippe, duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. Les deux principales familles qui règnent en Europe sont celle de France avec les Bourbon et celle d’Autriche, avec les Habsbourg, toutes deux parentes avec Charles II.

Les deux revendiquent le trône. Louis XIV, dont ce sera la dernière guerre, veut installer un monarque en Espagne, Philippe V. Celui-ci, et pour toute la descendance qui suivra, doit cependant renoncer au trône de France. L’Angleterre, avec son empire maritime souhaite éviter une domination française et ne veut pas non plus la reconstitution de l’empire de Charles Quint. Ils favorisent donc un compromis. C’est l’occupation des troupes françaises en Espagne qui déclenche la guerre, en février 1701.

Des alliances se font, on signe des traités. L’Angleterre, malgré ce qu’elle considère comme une provocation, reconnaissent Philippe V comme roi d’Espagne. Le Portugal devient allié avec la France et l’Espagne et le pape Clément XI reconnaît aussi le nouveau roi d’Espagne. La guerre se transporte en Italie. Il faut protéger le duché de Milan. Les Habsbourg envoient le prince de Savoie. Les Habsbourg d’Autriche signent le traité de La Haye, en septembre 1701, avec l’Angleterre, le nouveau royaume de Prusse. L’Empereur obtient donc une partie de l’héritage espagnol, le duché de Milan, les royaumes de Naples et de Sicile. Les puissances maritimes que constituent l’Angleterre, les provinces-unies (Pays Bas) et ses alliés obtiennent des garanties sur leurs colonies. Les Pays-Bas constituent donc désormais la barrière entre les deux grandes puissances.

Louis XIV provoque à nouveau l’Angleterre à la mort de Jacques II Stuart d’Écosse, en reconnaissant son fils, Jacques III, comme prétendant à la couronne d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Les Stuart sont catholiques.

En mai 1702, l’Angleterre, les Provinces-Unies et l’Autriche déclarent la guerre à la France et à l’Espagne. Les forces semblent égales. De plus, L’Angleterre et les Provinces-Unies peuvent compter sur des mercenaires allemands. L’Autriche entraîne avec elle le Brandebourg et le Hanovre, qui prêtent main forme. Une armée de 130 000 hommes est levée par l’Empire. La Grande Alliance, quant à elle, bénéficie d’une supériorité maritime. La France a ses corsaires qui peuvent se joindre au conflit.

La France semble gagner jusqu’en 1704. Tant sur la terre que sur la mer, les troupes s’affrontent. En septembre 1703, l'empereur renonce à la couronne d'Espagne pour lui et son fils aîné. Il revendique l'héritage espagnol pour son fils cadet Charles de Habsbourg. Ce dernier est reconnu roi d'Espagne par les puissances maritimes.

La France subit des défaites, dont deux fatales en 1706 : Ramilies et Turin. En décembre 1708, Louis XIV souhaite la paix. Pour ce faire, on exige qu’il dépose lui-même son petit-fils sur le trône et qu’il retire son soutien à Philippe V. Il refuse et poursuit la guerre. La situation change de bord. La France remporte plusieurs victoires et malgré l’épuisement des finances, la chance semble favoriser la France. Mais toute l’Europe est épuisée par cette guerre qui n’en finit pas. En janvier 1712, tous les belligérants sont réunis à Utrecht en congrès. On tente de négocier une paix. On propose que Philippe V conserve son trône, mais il devra renoncer, tant pour lui que pour sa descendance, au trône de France. La France conserve ses conquêtes précédentes. En Amérique, la France doit céder l’Acadie, redonner Terre-Neuve et la Baie-d ’Hudson à l’Angleterre. Elle perd son monopole de l’Asiento, obtenu dès le début du conflit qui porte notamment sur le droit de faire la traite des Noirs dans les colonies espagnoles d’Amérique, et ce, au profit de l’Angleterre.

Les combats cesseront en 1713 et on signe, en mars 1714, le traité de Rastatt. Si cette guerre a marqué l’Europe dans ses rapports de force, elle a eu des conséquences importantes chez nous, en Amérique. Elle sera connue sous le nom de deuxième guerre intercoloniale qui se déroulera sur trois fronts : La guerre se déroula sur trois fronts :

1. La Floride, espagnole, et la Province anglaise de Caroline seront attaquées par les deux camps. Les Anglais engagèrent les Français basés à Mobile, dans ce qui s'apparentait plus à une guerre par procuration avec le soutien des tribus amérindiennes. Ce théâtre d'opérations n'entrainera pas beaucoup de changements territoriaux, mais éliminera presque toutes les populations amérindiennes de Floride, ainsi que le réseau espagnol de missions (Missionnes) dans la zone.

2. Les colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre affronteront les forces françaises et amérindiennes basées en Acadie et au Canada. La ville de Québec sera attaquée à plusieurs reprises, sans jamais tomber, par des expéditions britanniques. Port-Royal, capitale de l’Acadie est prise en 1710. Les Français et leurs alliés amérindiens mèneront des raids contre des cibles dans la « Province de la baie du Massachusetts » dont le célèbre raid sur Deerfield en 1704.

3. À Terre-Neuve, colonie anglaise, les colons anglais basés à Saint-Jean à l'ouest de l'île se disputent le contrôle de l'île avec les Français qui sont établis à Plaisance, à l'est. La plupart des opérations militaires ne sont constitués que de raids de destruction des outils économiques de l'adversaire. Les Français captureront Saint-Jean en 1709 mais les Britanniques la réoccupèrent rapidement après son abandon par les Français.

Le raid sur Deerfield

Nous sommes le 29 février 1704. Les nouvelles de la guerre en Europe sont arrivées en Nouvelle-France. Le gouverneur Vaudreuil, qui craint une attaque des Anglais et des Iroquois commande à Jean-Baptiste Hertel de Rouville de saccager les bourgades fortifiées qui défendent la frontière nord de la Nouvelle-Angleterre. Le village fortifié Deerfield est le poste le plus rapproché de la Nouvelle-France. La région est habitée par les Pennacooks qui n’appréciaient guère le partage de terres dans leur territoire.

Vaudreuil souhaite capturer le pasteur John William afin de l’échanger contre Jean-Baptiste Guyon, un capitaine corsaire qui avait coulé ou capturé de nombreux vaisseaux anglais et qui était leur prisonnier. À la tête de 48 soldats et officiers et de quelques 150 indiens, Abénaquis, Hurons et Mohawks de Kahnawake, il marche donc à la mi-janvier vers la Nouvelle-Angleterre.

Il laissera donc les bords du Saint-Laurent et pour se diriger vers le sud. À Sorel, les troupes prennent la rivière Richelieu, franchissent le lac Champlain qui est gelé pour ensuite bifurquer vers l'est à hauteur de ce qui est aujourd’hui Burlington,. Ils traversent les Montagnes Vertes par la rivière Winooski, descendent ensuite la rivière White jusqu'à la rivière Connecticut, aujourd’hui la White River Junction) et arrivent, fin février, aux abords de Deerfield, Mass.

Le 29 février 1704, à Deerfield, une troupe d’environ 200 réussit à s’introduire aux petites heures du matin dans le fort par la palissade entourée de bancs de neige de la hauteur de celle-ci. Quarante-huit habitants sont tués sur le champ.




Le Révérend John Williams, un pasteur puritain, qui voyait en ces événements une punition de Dieu pour des fautes commises, a tenu un journal très détaillé. C’est grâce à son journal que nous pouvons suivre la suite des événements. John Williams est né à Roxbury, en 1664. Son grand-père, Robert, est venu d’Angleterre en 1638. Il fera ses études au Harvard College, où il gradue en 1683.

Une vingtaine d’indiens pénètrent dans la maison du pasteur. Ils tuent deux de leurs enfants, un de 6 ans et l’autre de 6 mois ainsi que leur esclave noire.

Les indiens pillent les maisons et tuent tous les animaux. Dix-sept maisons et leurs bâtiments, situés au cœur du village, seront brûlés. Plusieurs habitants réussissent à s’enfuir, à se cacher.

Une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants, paniqués, sont amenés dans le «Meeting House » ou centre communautaire. Hertel les amène rapidement à son campement. »Au lever du jour, après quelques heures de repos, les troupes françaises, les prisonniers prennent la direction du Canada.

Un soldat français blessé et resté sur place sera soigné par une des survivantes.

Un voyageur canadien, Jacques de Noyon, par ailleurs sous-officier dans les troupes de la marine, qui avait épousé la même année Abigail Stebbins, habite Deerfield avec deux autres compatriotes. Noyon a des dettes suite à ses nombreux voyages dans l’Ouest. Deux semaines plus tard, Williams ainsi que toute la famille Stebbins et le nouveau couple font partie des prisonniers capturés.

Les Noyon eurent au moins 13 enfants entre 1704 et 1726. Les familles Danio, qui vivent actuellement dans le Massachusetts, peuvent remonter chez leurs ancêtres jusqu’à Jacques-René de Noyon (orthographié « Danio » dans l’acte de mariage de ses parents), fils aîné de Jacques et de Marguerite, qui fut envoyé chez ses grands-parents à Deerfield en 1714.

Cent-douze hommes, femmes et enfants sont capturés et amenés dans des conditions atroces vers la Nouvelle-France à trois cents milles de distance ou quatre-cent-quatre-vingt-trois kilomètres. Ce sont les Amérindiens qui les prennent en charge. Chacun se voit confié un maître.

On ne sait pas exactement quel traitement leur réserveront les Amérindiens. On raconte qu’ils prenaient bien soin des enfants, partagent avec eux leurs maigres rations et leur réservent les meilleurs morceaux de gibier pris à la chasse, alors que d’autres écrits racontent les atrocités que certains prisonniers ont subies. Comme cette femme enceinte qui accoucha et vit son bébé tué et jeté dans un ravin. Ou que ceux qui ne pouvaient pas suivre étaient tués d’un coup de Tomahawk

À la tombée de la nuit, les Amérindiens montent des wigwams et font des lits avec du sapinage. En voyageant vers Deerfield, ils avaient accumulé de la nourriture dans des caches. Dans une, on raconte qu’on pouvait comptait les carcasses de 20 orignaux. Lorsque la nourriture se faisait rare, ils pêchaient, chassaient et cueillaient ce qui restait de l’hiver.

Partis de Deerfield le1er mars, ils arriveront à Chambly le 15 avril, une marche de 46 jours dans les bois. Passant par Sorel et Odanak, ils atteignent Kahnawake (Caughnawaga) le 25 avril.

En arrivant près de Chambly, les soldats rejoignent leur famille, les Amérindiens retournent dans leurs tribus.

On raconte qu’à l’approche de leur village, les Amérindiens forment 2 haies et munis de bâtons, ils obligent les captifs à passer entre eux et les bâtonnent. Les femmes « Squaws » et les enfants participent à cet accueil. Un autre de leurs amusements consiste à faire chanter et danser les captifs.

Selon Denis Vaugeois, historien et éditeur des éditions du Septentrion, il n'est pas rare de rencontrer ces récits de captifs, et plus souvent encore des captives, charmés par leur environnement. «En général, les captives, une fois arrivées en communauté amérindienne, s'y trouvent bien. Elles ont vu des gens mourir, le trajet est difficile. Une fois rendues à destination, les femmes indiennes accueillent la femme blanche avec un comportement fraternel. On s'occupe d'elle, on la soigne, on la lave et on lui donne à manger», raconte Vaugeois, qui a étudié une centaine de cas du genre et qui a publié en 2003 Susanna Johnson - Récit d'une captive en Nouvelle-France (1754-1760).

Le traitement réservé aux captifs était d'ailleurs différent pour les hommes que pour les femmes. Selon Vaugeois, il arrive en effet que les Amérindiens battent les hommes pour les «casser», pour vaincre leur moral et pour qu'ils renaissent dans la peau d'Indiens. «On ne se comportait pas comme ça avec les femmes», souligne-t-il.

Les négociations diplomatiques commencent peu après le raid. Des échanges de lettres et des visites de dignitaire anglais au gouverneur Vaudreuil ont lieu. Mais il ne peut ordonner aux Mohawks, qui sont ses alliés, de libérer les captifs. Les Abénakis, acceptent un échange de prisonniers et des libérations grâce à de rançons.

Les Français réussissent à échanger certains prisonniers contre une rançon. Pour sa part, John Williams ne passera qu'une semaine dans un village mohawk. Les pourparlers se déroulent surtout à Montréal, où de riches marchands multiplient les efforts pour faire libérer les prisonniers, en particulier les enfants. Les Abénaquis sont les plus susceptibles de « vendre» leurs prisonniers alors que, pour les Mohawks et les Hurons, les captifs constituent la principale raison d'être de ces « guerres du deuil ». C'est un moyen de combler les pertes causées par les batailles et les épidémies.

Les négociations diplomatiques commencent peu après le raid, et, après trois ans, 52 prisonniers sont retournés chez eux : 46 grâce à la négociation, 1 ayant fait l'objet d'une rançon, 5 ayant réussi à s'évader. Près de 34 demeureront au Canada, 2 chez les Hurons, 3 chez les Mohawks et de 7 à 9 à Kahnawake, dont Eunice, la fille de Williams, qui choisit de passer le reste de sa vie chez les Mohawks. Ses descendants vivent toujours à Kahnawake.


Plusieurs prisonniers se convertissent au catholicisme. L’évêque de même que les Jésuites font pression pour ne pas qu’ils retournent à Deerfied pour qu’ils ne redeviennent pas protestants.

Après trois ans, cinquante-deux prisonniers rentrent chez eux grâce à la négociation :
Quarante-six suite à la négociation, un fait l’objet d’une rançon, cinq ont réussi à s’évader. Quelque 34 resteront ici : 2 chez les Hurons, 3 chez les Mohawks, et entre 7 et 9 à Kahnawake, dont Eunice, la fille du pasteur Williams.

Plusieurs de ces enfants seront assimilés et demeureront avec leur maître. Les Amérindiens vendront aussi certains adultes et enfants à des familles francophones et catholiques. On retrouve des Adam (Adams), Ain, (Hainse), Phaneuf (Farnsworth, Chartier (Carter), Otis, Dubois (Wood), Stebben (Stibbens) et quelques autres. Plusieurs notables et même quelques curés en ont acheté pour les utiliser comme esclaves.

Ceux qui ont refusé de renier leur religion furent rançonnés par leurs parents ou par le gouvernement colonial de Boston.

Le pasteur Williams, au nombre des prisonniers, est maintenant veuf, parce qu’un Mohawk a dû tuer sa femme, suite à une chute dans un ravin. Il donnera ses impressions sur la vie coloniale française en Nouvelle-France. Les missionnaires jésuites l’inviteront à leur table et sera bien traité. Vaudreuil le fera libérer en 1706, et le 21 novembre, il est de retour à Boston avec soixante autres captifs, dont quatre de ses enfants. Il devra pourtant abandonner sa fille Eunice, dix ans, qui a été adoptée par une famille Mohawk de Kahnawake, qui est une mission jésuite.

Elle remplace la fille d’un couple amérindien qui a perdu leur fille de la vérole. Eunice s’intégrera complètement, apprenant la langue et en vivant comme les Mohawks. Elle sera baptisée dans la religion catholique et prendre le nom de Marguerite en 1710. Son nom amérindien, est Kanenstenhawi. Elle épousera, à l’âge de 16 ans, François-Xavier Arosen, un mohawk de 25 ans. et ils auront des enfants ensemble.

Williams et ses quatre autres enfants retourneront à Deerfield. Il reprendra sa charge pastorale et y mourra. Bien qu’il ait tenté de persuader Eunice, qu’il soit venu trois ou quatre fois la rencontrer pour qu’elle retourne chez eux, elle n’y consentit jamais. Sa descendance est encore à Kahnawake.

Pour les lecteurs qui veulent approfondir davantage ce sujet, mieux connaître le point de vue du pasteur Williams, on peut lire :

- Demos, John, The Unredeemed Captive: A Family Story from Early America, Vintage, 1995.

- Machabée St-Georges, Annabelle Les anciens captifs de Deerfield au Canada : parcours de vie et intégration, Mémoire de Maîtrise, Université de Montréal Mai 2010 https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/5180/MachabeeSt-Georges_Annabelle_2010_memoire.pdf?sequence
 


Recherche et rédaction : Roland Plante,
Avec la collaboration de Madeleine Blanche Lussier.

 

Source : Roland Plante, Courriel Saurelois

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