Raid sur
Deerfield
Par :
Madeleine B. Lussier et Roland
Plante
Contexte :
La guerre de succession
d’Espagne, (Les Anglais la
nomment Queen’s Ann War) qui
oppose plusieurs pays en Europe,
entre 1701 et 1714, connut des
répercussions en Amérique.
Le principal enjeu est la
succession au trône d’Espagne.
En effet, Charles II d’Espagne
est décédé sans héritier. C’est
le dernier Habsbourg espagnol.
Son testament stipule que la
couronne reviendra à Philippe,
duc d’Anjou, petit-fils de Louis
XIV. Les deux principales
familles qui règnent en Europe
sont celle de France avec les
Bourbon et celle d’Autriche,
avec les Habsbourg, toutes deux
parentes avec Charles II.
Les deux revendiquent le trône.
Louis XIV, dont ce sera la
dernière guerre, veut installer
un monarque en Espagne, Philippe
V. Celui-ci, et pour toute la
descendance qui suivra, doit
cependant renoncer au trône de
France. L’Angleterre, avec son
empire maritime souhaite éviter
une domination française et ne
veut pas non plus la
reconstitution de l’empire de
Charles Quint. Ils favorisent
donc un compromis. C’est
l’occupation des troupes
françaises en Espagne qui
déclenche la guerre, en février
1701.
Des alliances se font, on signe
des traités. L’Angleterre,
malgré ce qu’elle considère
comme une provocation,
reconnaissent Philippe V comme
roi d’Espagne. Le Portugal
devient allié avec la France et
l’Espagne et le pape Clément XI
reconnaît aussi le nouveau roi
d’Espagne. La guerre se
transporte en Italie. Il faut
protéger le duché de Milan. Les
Habsbourg envoient le prince de
Savoie. Les Habsbourg d’Autriche
signent le traité de La Haye, en
septembre 1701, avec
l’Angleterre, le nouveau royaume
de Prusse. L’Empereur obtient
donc une partie de l’héritage
espagnol, le duché de Milan, les
royaumes de Naples et de Sicile.
Les puissances maritimes que
constituent l’Angleterre, les
provinces-unies (Pays Bas) et
ses alliés obtiennent des
garanties sur leurs colonies.
Les Pays-Bas constituent donc
désormais la barrière entre les
deux grandes puissances.
Louis XIV provoque à nouveau
l’Angleterre à la mort de
Jacques II Stuart d’Écosse, en
reconnaissant son fils, Jacques
III, comme prétendant à la
couronne d’Angleterre, d’Écosse
et d’Irlande. Les Stuart sont
catholiques.
En mai 1702, l’Angleterre, les
Provinces-Unies et l’Autriche
déclarent la guerre à la France
et à l’Espagne. Les forces
semblent égales. De plus,
L’Angleterre et les
Provinces-Unies peuvent compter
sur des mercenaires allemands.
L’Autriche entraîne avec elle le
Brandebourg et le Hanovre, qui
prêtent main forme. Une armée de
130 000 hommes est levée par
l’Empire. La Grande Alliance,
quant à elle, bénéficie d’une
supériorité maritime. La France
a ses corsaires qui peuvent se
joindre au conflit.
La France semble gagner jusqu’en
1704. Tant sur la terre que sur
la mer, les troupes
s’affrontent. En septembre 1703,
l'empereur renonce à la couronne
d'Espagne pour lui et son fils
aîné. Il revendique l'héritage
espagnol pour son fils cadet
Charles de Habsbourg. Ce dernier
est reconnu roi d'Espagne par
les puissances maritimes.
La France subit des défaites,
dont deux fatales en 1706 :
Ramilies et Turin. En décembre
1708, Louis XIV souhaite la
paix. Pour ce faire, on exige
qu’il dépose lui-même son
petit-fils sur le trône et qu’il
retire son soutien à Philippe V.
Il refuse et poursuit la guerre.
La situation change de bord. La
France remporte plusieurs
victoires et malgré l’épuisement
des finances, la chance semble
favoriser la France. Mais toute
l’Europe est épuisée par cette
guerre qui n’en finit pas. En
janvier 1712, tous les
belligérants sont réunis à
Utrecht en congrès. On tente de
négocier une paix. On propose
que Philippe V conserve son
trône, mais il devra renoncer,
tant pour lui que pour sa
descendance, au trône de France.
La France conserve ses conquêtes
précédentes. En Amérique, la
France doit céder l’Acadie,
redonner Terre-Neuve et la
Baie-d ’Hudson à l’Angleterre.
Elle perd son monopole de
l’Asiento, obtenu dès le début
du conflit qui porte notamment
sur le droit de faire la traite
des Noirs dans les colonies
espagnoles d’Amérique, et ce, au
profit de l’Angleterre.
Les combats cesseront en 1713 et
on signe, en mars 1714, le
traité de Rastatt. Si cette
guerre a marqué l’Europe dans
ses rapports de force, elle a eu
des conséquences importantes
chez nous, en Amérique. Elle
sera connue sous le nom de
deuxième guerre intercoloniale
qui se déroulera sur trois
fronts : La guerre se déroula
sur trois fronts :
1. La Floride, espagnole, et la
Province anglaise de Caroline
seront attaquées par les deux
camps. Les Anglais engagèrent
les Français basés à Mobile,
dans ce qui s'apparentait plus à
une guerre par procuration avec
le soutien des tribus
amérindiennes. Ce théâtre
d'opérations n'entrainera pas
beaucoup de changements
territoriaux, mais éliminera
presque toutes les populations
amérindiennes de Floride, ainsi
que le réseau espagnol de
missions (Missionnes) dans la
zone.
2. Les colonies anglaises de la
Nouvelle-Angleterre affronteront
les forces françaises et
amérindiennes basées en Acadie
et au Canada. La ville de Québec
sera attaquée à plusieurs
reprises, sans jamais tomber,
par des expéditions
britanniques. Port-Royal,
capitale de l’Acadie est prise
en 1710. Les Français et leurs
alliés amérindiens mèneront des
raids contre des cibles dans la
« Province de la baie du
Massachusetts » dont le célèbre
raid sur Deerfield en 1704.
3. À Terre-Neuve, colonie
anglaise, les colons anglais
basés à Saint-Jean à l'ouest de
l'île se disputent le contrôle
de l'île avec les Français qui
sont établis à Plaisance, à
l'est. La plupart des opérations
militaires ne sont constitués
que de raids de destruction des
outils économiques de
l'adversaire. Les Français
captureront Saint-Jean en 1709
mais les Britanniques la
réoccupèrent rapidement après
son abandon par les Français.
Le raid sur
Deerfield
Nous sommes le 29 février 1704.
Les nouvelles de la guerre en
Europe sont arrivées en
Nouvelle-France. Le gouverneur
Vaudreuil, qui craint une
attaque des Anglais et des
Iroquois commande à
Jean-Baptiste Hertel de Rouville
de saccager les bourgades
fortifiées qui défendent la
frontière nord de la
Nouvelle-Angleterre. Le village
fortifié Deerfield est le poste
le plus rapproché de la
Nouvelle-France. La région est
habitée par les Pennacooks qui
n’appréciaient guère le partage
de terres dans leur territoire.
Vaudreuil souhaite capturer le
pasteur John William afin de
l’échanger contre Jean-Baptiste
Guyon, un capitaine corsaire qui
avait coulé ou capturé de
nombreux vaisseaux anglais et
qui était leur prisonnier. À la
tête de 48 soldats et officiers
et de quelques 150 indiens,
Abénaquis, Hurons et Mohawks de
Kahnawake, il marche donc à la
mi-janvier vers la
Nouvelle-Angleterre.
Il laissera donc les bords du
Saint-Laurent et pour se diriger
vers le sud. À Sorel, les
troupes prennent la rivière
Richelieu, franchissent le lac
Champlain qui est gelé pour
ensuite bifurquer vers l'est à
hauteur de ce qui est
aujourd’hui Burlington,. Ils
traversent les Montagnes Vertes
par la rivière Winooski,
descendent ensuite la rivière
White jusqu'à la rivière
Connecticut, aujourd’hui la
White River Junction) et
arrivent, fin février, aux
abords de Deerfield, Mass.
Le 29 février 1704, à Deerfield,
une troupe d’environ 200 réussit
à s’introduire aux petites
heures du matin dans le fort par
la palissade entourée de bancs
de neige de la hauteur de
celle-ci. Quarante-huit
habitants sont tués sur le
champ.
Le Révérend John Williams, un
pasteur puritain, qui voyait en
ces événements une punition de
Dieu pour des fautes commises, a
tenu un journal très détaillé.
C’est grâce à son journal que
nous pouvons suivre la suite des
événements. John Williams est né
à Roxbury, en 1664. Son
grand-père, Robert, est venu
d’Angleterre en 1638. Il fera
ses études au Harvard College,
où il gradue en 1683.
Une vingtaine d’indiens
pénètrent dans la maison du
pasteur. Ils tuent deux de leurs
enfants, un de 6 ans et l’autre
de 6 mois ainsi que leur esclave
noire.
Les indiens pillent les maisons
et tuent tous les animaux.
Dix-sept maisons et leurs
bâtiments, situés au cœur du
village, seront brûlés.
Plusieurs habitants réussissent
à s’enfuir, à se cacher.
Une centaine d’hommes, de femmes
et d’enfants, paniqués, sont
amenés dans le «Meeting House »
ou centre communautaire. Hertel
les amène rapidement à son
campement. »Au lever du jour,
après quelques heures de repos,
les troupes françaises, les
prisonniers prennent la
direction du Canada.
Un soldat français blessé et
resté sur place sera soigné par
une des survivantes.
Un voyageur canadien, Jacques de
Noyon, par ailleurs
sous-officier dans les troupes
de la marine, qui avait épousé
la même année Abigail Stebbins,
habite Deerfield avec deux
autres compatriotes. Noyon a des
dettes suite à ses nombreux
voyages dans l’Ouest. Deux
semaines plus tard, Williams
ainsi que toute la famille
Stebbins et le nouveau couple
font partie des prisonniers
capturés.
Les Noyon
eurent au moins 13
enfants entre 1704
et 1726. Les
familles Danio, qui
vivent actuellement
dans le
Massachusetts,
peuvent remonter
chez leurs ancêtres
jusqu’à Jacques-René
de Noyon
(orthographié «
Danio » dans l’acte
de mariage de ses
parents), fils aîné
de Jacques et de
Marguerite, qui fut
envoyé chez ses
grands-parents à
Deerfield en 1714.
|
Cent-douze hommes, femmes et
enfants sont capturés et amenés
dans des conditions atroces vers
la Nouvelle-France à trois cents
milles de distance ou
quatre-cent-quatre-vingt-trois
kilomètres. Ce sont les
Amérindiens qui les prennent en
charge. Chacun se voit confié un
maître.
On ne sait pas exactement quel
traitement leur réserveront les
Amérindiens. On raconte qu’ils
prenaient bien soin des enfants,
partagent avec eux leurs maigres
rations et leur réservent les
meilleurs morceaux de gibier
pris à la chasse, alors que
d’autres écrits racontent les
atrocités que certains
prisonniers ont subies. Comme
cette femme enceinte qui
accoucha et vit son bébé tué et
jeté dans un ravin. Ou que ceux
qui ne pouvaient pas suivre
étaient tués d’un coup de
Tomahawk
À la tombée de la nuit, les
Amérindiens montent des wigwams
et font des lits avec du
sapinage. En voyageant vers
Deerfield, ils avaient accumulé
de la nourriture dans des
caches. Dans une, on raconte
qu’on pouvait comptait les
carcasses de 20 orignaux.
Lorsque la nourriture se faisait
rare, ils pêchaient, chassaient
et cueillaient ce qui restait de
l’hiver.
Partis de Deerfield le1er mars,
ils arriveront à Chambly le 15
avril, une marche de 46 jours
dans les bois. Passant par Sorel
et Odanak, ils atteignent
Kahnawake (Caughnawaga) le 25
avril.
En arrivant près de Chambly, les
soldats rejoignent leur famille,
les Amérindiens retournent dans
leurs tribus.
On raconte qu’à l’approche de
leur village, les Amérindiens
forment 2 haies et munis de
bâtons, ils obligent les captifs
à passer entre eux et les
bâtonnent. Les femmes « Squaws »
et les enfants participent à cet
accueil. Un autre de leurs
amusements consiste à faire
chanter et danser les captifs.
Selon Denis
Vaugeois, historien
et éditeur des
éditions du
Septentrion, il
n'est pas rare de
rencontrer ces
récits de captifs,
et plus souvent
encore des captives,
charmés par leur
environnement. «En
général, les
captives, une fois
arrivées en
communauté
amérindienne, s'y
trouvent bien. Elles
ont vu des gens
mourir, le trajet
est difficile. Une
fois rendues à
destination, les
femmes indiennes
accueillent la femme
blanche avec un
comportement
fraternel. On
s'occupe d'elle, on
la soigne, on la
lave et on lui donne
à manger», raconte
Vaugeois, qui a
étudié une centaine
de cas du genre et
qui a publié en 2003
Susanna Johnson -
Récit d'une captive
en Nouvelle-France
(1754-1760).
Le traitement
réservé aux captifs
était d'ailleurs
différent pour les
hommes que pour les
femmes. Selon
Vaugeois, il arrive
en effet que les
Amérindiens battent
les hommes pour les
«casser», pour
vaincre leur moral
et pour qu'ils
renaissent dans la
peau d'Indiens. «On
ne se comportait pas
comme ça avec les
femmes»,
souligne-t-il.
|
Les négociations diplomatiques
commencent peu après le raid.
Des échanges de lettres et des
visites de dignitaire anglais au
gouverneur Vaudreuil ont lieu.
Mais il ne peut ordonner aux
Mohawks, qui sont ses alliés, de
libérer les captifs. Les
Abénakis, acceptent un échange
de prisonniers et des
libérations grâce à de rançons.
Les Français
réussissent à
échanger certains
prisonniers contre
une rançon. Pour sa
part, John Williams
ne passera qu'une
semaine dans un
village mohawk. Les
pourparlers se
déroulent surtout à
Montréal, où de
riches marchands
multiplient les
efforts pour faire
libérer les
prisonniers, en
particulier les
enfants. Les
Abénaquis sont les
plus susceptibles de
« vendre» leurs
prisonniers alors
que, pour les
Mohawks et les
Hurons, les captifs
constituent la
principale raison
d'être de ces «
guerres du deuil ».
C'est un moyen de
combler les pertes
causées par les
batailles et les
épidémies.
Les négociations
diplomatiques
commencent peu après
le raid, et, après
trois ans, 52
prisonniers sont
retournés chez eux :
46 grâce à la
négociation, 1 ayant
fait l'objet d'une
rançon, 5 ayant
réussi à s'évader.
Près de 34
demeureront au
Canada, 2 chez les
Hurons, 3 chez les
Mohawks et de 7 à 9
à Kahnawake, dont
Eunice, la fille de
Williams, qui
choisit de passer le
reste de sa vie chez
les Mohawks. Ses
descendants vivent
toujours à Kahnawake.
|
Plusieurs prisonniers se
convertissent au catholicisme.
L’évêque de même que les
Jésuites font pression pour ne
pas qu’ils retournent à Deerfied
pour qu’ils ne redeviennent pas
protestants.
Après trois ans, cinquante-deux
prisonniers rentrent chez eux
grâce à la négociation :
Quarante-six suite à la
négociation, un fait l’objet
d’une rançon, cinq ont réussi à
s’évader. Quelque 34 resteront
ici : 2 chez les Hurons, 3 chez
les Mohawks, et entre 7 et 9 à
Kahnawake, dont Eunice, la fille
du pasteur Williams.
Plusieurs de ces enfants seront
assimilés et demeureront avec
leur maître. Les Amérindiens
vendront aussi certains adultes
et enfants à des familles
francophones et catholiques. On
retrouve des Adam (Adams), Ain,
(Hainse), Phaneuf (Farnsworth,
Chartier (Carter), Otis, Dubois
(Wood), Stebben (Stibbens) et
quelques autres. Plusieurs
notables et même quelques curés
en ont acheté pour les utiliser
comme esclaves.
Ceux qui ont refusé de renier
leur religion furent rançonnés
par leurs parents ou par le
gouvernement colonial de Boston.
Le pasteur Williams, au nombre
des prisonniers, est maintenant
veuf, parce qu’un Mohawk a dû
tuer sa femme, suite à une chute
dans un ravin. Il donnera ses
impressions sur la vie coloniale
française en Nouvelle-France.
Les missionnaires jésuites
l’inviteront à leur table et
sera bien traité. Vaudreuil le
fera libérer en 1706, et le 21
novembre, il est de retour à
Boston avec soixante autres
captifs, dont quatre de ses
enfants. Il devra pourtant
abandonner sa fille Eunice, dix
ans, qui a été adoptée par une
famille Mohawk de Kahnawake, qui
est une mission jésuite.
Elle remplace la fille d’un
couple amérindien qui a perdu
leur fille de la vérole. Eunice
s’intégrera complètement,
apprenant la langue et en vivant
comme les Mohawks. Elle sera
baptisée dans la religion
catholique et prendre le nom de
Marguerite en 1710. Son nom
amérindien, est Kanenstenhawi.
Elle épousera, à l’âge de 16
ans, François-Xavier Arosen, un
mohawk de 25 ans. et ils auront
des enfants ensemble.
Williams et ses quatre autres
enfants retourneront à
Deerfield. Il reprendra sa
charge pastorale et y mourra.
Bien qu’il ait tenté de
persuader Eunice, qu’il soit
venu trois ou quatre fois la
rencontrer pour qu’elle retourne
chez eux, elle n’y consentit
jamais. Sa descendance est
encore à Kahnawake.
Pour les lecteurs qui veulent
approfondir davantage ce sujet,
mieux connaître le point de vue
du pasteur Williams, on peut
lire :
- Demos, John, The Unredeemed
Captive: A Family Story from
Early America, Vintage, 1995.
- Machabée St-Georges, Annabelle
Les anciens captifs de Deerfield
au Canada : parcours de vie et
intégration, Mémoire de
Maîtrise, Université de Montréal
Mai 2010
https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/5180/MachabeeSt-Georges_Annabelle_2010_memoire.pdf?sequence
Recherche et rédaction :
Roland Plante,
Avec la collaboration de
Madeleine Blanche Lussier.
Source :
Roland Plante, Courriel
Saurelois
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