Courriel Saurelois
Une chronique sur l'histoire de Sorel
de Roland Plante

12 février, 2019

En collaboration avec :

La guerre 1939-1945
Roland Plante

Encore la guerre! Les nouvelles de ce qui se passait en Europe durant la deuxième guerre mondiale nous venaient par la radio, dont le poste CKAC et le journal La Presse.

Le Québec catholique appuyait les troupes du général Franco en Espagne dans sa lutte contre le communisme athée et ce avec l’aide des légions allemandes.

A l’Académie du Sacré-Cœur de Sorel, en complément aux films du chien «Rin-tin-tin» et du jeune chanteur Bobby Breens, on projetait des courts-métrages sur les combats qui se déroulaient en Espagne. La guerre se préparait depuis longtemps. Hitler prépare la guerre depuis 1936.

En fait, la première guerre mondiale n’était pas réellement terminée. Plusieurs facteurs sont donc en place pour allumer le feu qui couve. L’Europe est instable, les Allemands humiliés étaient galvanisés par un Adolf Hitler.

En 1939, les Allemands et les Russes envahissent la Pologne catholique. En effet, un traité russo-allemand stipule le partage de la Pologne, ce qui permet à Hitler de faire la guerre sur un seul front ouest. Le déclencheur majeur de la seconde guerre mondiale est l’impérialiste allemand qui veut agrandir son territoire et revenir à l’empire allemand d’avant 1914 et d’ajouter à cet empire d’autres territoires peuplés de Germanophone qui faisaient partie de l’Empire austro-hongrois, (Autriche, Sudètes, etc.). Plusieurs assassinats ont lieu dont celui du chancelier autrichien Dollfuss. Les Allemands étaient aussi impliqués dans le présumé suicide du président tchèque Benes.

Ici au Canada, Sorel sort à peine d’une crise économique suivie d’une grève ouvrière très dure.

On peut sentir la tension partout. Les visiteurs chez mon grand-père parlent à voix basse. J’essaie bien de comprendre ce qu’ils disent du haut de l’escalier mais en vain!

À l’époque, nous recevions le journal La Presse chez mon grand-père. Mon arrière-grand-mère Philomène Valois m’enseignait la lecture des lettres et je pouvais ainsi suivre les actualités. L’Angleterre entre en guerre en 1939 et le Canada suit quelques jours après.

Du côté politique, on parle du dilemme du ministre P.J. Arthur Cardin, libéral. Les Libéraux ont renversé les Conservateurs après la guerre de 1914-1918 en promettaient de ne jamais avoir recours à la conscription, (recrutement forcé) en temps de guerre. Il y a un référendum en 1941 et le ministre Cardin devra démissionner car les électeurs ne le délient pas de sa promesse. Il quitte donc le cabinet libéral où son influence avait toujours été favorable à Sorel et siège comme député indépendant. Le Québec sera la seule province à ne pas accepter de délier le gouvernement libéral à ne pas avoir recours à la conscription.

Les forces nationalistes Canadiennes-françaises combattent la conscription notamment un jeune avocat du nom de Jean Drapeau et une tête d’affiche, André Laurendeau, qui formera avec d’autres le parti du Bloc Populaire. Les membres du Bloc portaient à leur boutonnière un petit bloc de bois. Elles prétendent que l’armée se porterait à la défense de l’Angleterre et que cette guerre ne les concernait pas. Certains de leurs chefs sont emprisonnés dont le maire de Montréal, M. Camillien Houde déjà emprisonné à Petawawa lors du referendum sur la conscription.

Les gens sont inquiets. Qui sera appelé par l’armée?
Les gens mariés étant exemptés, commence la course au mariage.
De notre galerie, en avant de la maison où l’on prenait l’air et pour se reposer, nous voyons des couples se rendre le dimanche à l’église Notre-Dame pour se marier.

Mon grand-père Alfred Plante, qui travaillait au Chantier Manseau est prêté pour la construction de Sorel Industries qui fabriquera des canons. La France étant déjà occupée en 1940 par les Allemands, les industriels français doivent respecter l’armistice et cèdent donc la direction de l’usine aux Anglais et aux Américains. Cette usine est construite sur l’emplacement du chantier du gouvernement grâces aux démarches de Monsieur J. Édouard Simard.

Aux chantiers de Marine Industries on s’équipe pour construire des balayeurs de mines, des corvettes et des cargos. On y construit aussi des barges de débarquement qui seront utilisées en Normandie.

La population de Sorel augmente. La pension de Madame Allie en face de chez nous compte au moins 10 pensionnaires pour 3 chambres à coucher. On se relaye dans les lits selon les quarts de travail

Pour loger tout ce monde, on construisit des maisons de pension (Boarding Houses. Un complexe était situé entre la rue Cormier et la route Marie-Victorin. On en retrouve aussi le long du Richelieu. Il en subsiste encore une derrière le Marché Richelieu.

Un camp militaire est construit sur la rue Prince, longent la rue Du Collège et s’étendant dans le marais en arrière. Les militaires s’entraînent, font de longues marches et ont des permissions pour fréquenter les bars du bas de la ville. A la fin de la soirée, nous entendions le bruit de leurs bottines ferrées alors qu’ils retournaient à leurs casernes.


Des maisons sont construites à partir de la rue de Carignan jusqu’à la rue La Comtesse, dans le secteur que nous appelions le «parc vassal». Un jour, en voulant me rendre dans le bois, je ne trouvais pas mon chemin. Je fis le tour par le chemin de ligne. (Le boulevard Fiset).

Des bâtisses sont construites pour loger les travailleurs venant de l’étranger sur la rue Cormier

A la maison, nous subissons sans trop de souffrances les rationnements du sucre, du beurre et de la viande. D‘ailleurs, on peut encore en trouver au marché et dans la plupart des commerces.
L’essence aussi est rationnée. Nous n’avions pas d’auto, les laveuses et autres appareils ménagers deviennent difficiles à trouver.

Toute la ville est à l’ouvrage! Au début des quarts de travail, matin, midi et soir, le pont Turcotte et celui des chars sont bondés de travailleurs. Je me souviens que mon grand-père et mon père arrivaient à la maison vers midi quinze pour dîner et retraversaient le pont des chars vers midi et quarante.

En travaillant au chantier maritime et aux usines de Sorel Industries, les Sorelois et les néo-Sorelois sont presque tous exemptés de la guerre. Quand un employé s’absente trop souvent ou ne donne pas une bonne journée de travail, on lui laisse entendre qu’il devrait aller se rapporter à au camp militaire de Longueuil pour joindre l’armée. Inutile de dire que cet incitatif était très efficace!

À l’Académie-du-Sacré-Coeur, comme dans la plupart des grosses écoles, (nous étions environ 850), il y avait des corps de cadet. Les élèves y apprenaient ce qu’on appelait « la drill », soit comment marcher en formation et à connaître les commandements des officiers. On y enseignait le code Morse, le sémaphore, le tir à la carabine, la lecture des cartes géographiques, certains rudiments d’artillerie et de balistique. Nous visionnons des films sur le positionnement et les méthodes de défense des pelotons allemands. Ceci se poursuivit jusqu’au moment où un échevin s’objecta à cet entraînement sous prétexte que l’on préparait de la chair à canon.


Cadets et club de tir de l’Académie du Sacré-Coeur

A un moment donné, toute la ville dû faire des exercices de « black out », c’est à dire d‘éteindre tous les feux et lumières pour parer à toute attaque aérienne ennemie la nuit.

A la radio, le journaliste Albert Duquesnes nous donnait des nouvelles du front. Il y avait sûrement de la censure. Au cinéma on projetait aussi des séquences de combats.
Je m’initiai à la lecture des cartes géographies illustrant les avances et les replis de nos armées dans La Presse.

La radio se répand un peu partout et nous entendions des chansons ayant pour thème la guerre dont voici quelques strophes :  «C’est l’adieu, petite mère, de ton gars qui va partir, je ressens la peine amère que ton cœur devra souffrir»

Ou encore :
«Je suis loin de toi mignonne, loin de toi et du pays, mais je resterai madone, toujours ton petit kaki. Quand je partis pour la guerre et te quittai brusquement, quelque part en Angleterre, à toi je pense souvent. J’ai sur ma table rustique ton doux visage adoré et dans mon cœur
nostalgique, le dernier de tes baisers».


La radio diffuse des émissions basées sur des histoires de guerre comme « La Fiancé du Commando ». Je me souviens d’une histoire très troublante qui racontait une invasion du Canada.

Plusieurs personnalités comme le gouverneur général, le comte d’Athlone, le général français Giraud et le Major Paul Triquet rencontrent la population pour qu’elle souscrive à l’effort de guerre en achetant «des bons de la victoire» (du mot Bond qui veut dire obligation d’épargne), servant à son financement.

Le Japon déjà allié des Allemands depuis 1940 attaque de façon surprise en le 7 décembre 1941 la flotte américaine basée à Pearl-Harbor sur l’Île d’Hawaii.  Je me souviens avoir entendu le président Roosevelt prononcer à la radio, la déclaration de guerre avec les célèbres mots : « Days of Infamy ».

Les Russes grâce aux armes fournies par les Alliés viennent à bout de l’avance Allemande.
Les Alliés envahissent l’Afrique, la Sicile, l’Italie, on débarque en 1944 en Normandie, le vent vient de tourner.

Le besoin de soldats diminuant, le camp militaire devient un camp de prisonniers Allemands.

Un jour en allant jouer dans les bois près du camp, mes amis et moi avons eu soudainement très peur. Il y a des prisonniers allemands qui cueillent des mûres dans notre endroit de prédilection.

Ils nous font signe de nous approcher et de ramasser nos mûres.  Je parle avec l’un deux qui parle le français. Il était originaire de Francfort, avait été capturé en Afrique et il avait un petit garçon d’environ 12 ans.

Le conflit terminé en Europe, les deux bombes atomiques forceront la reddition du Japon. En Allemagne et en Pologne, on découvrira alors les horreurs des camps de concentration allemands que les journaux et le cinéma nous font connaître.

Le jour de la victoire, papa et grand-papa travaillaient avec nous pour fendre et corder du bois dans la cour en arrière de la maison. Nous entendions de la musique provenant du parc Royal ou l’on y dansait pour célébrer la fin de la guerre.

Grand-papa nous dit : « Ils dansent maintenant, ils ne danseront pas tout-à l’heure. ». Ayant connu la fin de la première guerre mondiale, il faisait allusion au chômage qui suivrait.

Ces quelques souvenirs de la deuxième guerre mondiale sont encore très présents à mon esprit.

 

 

Roland Plante
Avec la collaboration de Madeleine Blanche Lussier.

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