La guerre
1939-1945
Roland Plante
Encore la guerre! Les nouvelles
de ce qui se passait en Europe
durant la deuxième guerre
mondiale nous venaient par la
radio, dont le poste CKAC et le
journal La Presse.
Le Québec catholique appuyait
les troupes du général Franco en
Espagne dans sa lutte contre le
communisme athée et ce avec
l’aide des légions allemandes.
A l’Académie du Sacré-Cœur de
Sorel, en complément aux films
du chien «Rin-tin-tin» et du
jeune chanteur Bobby Breens, on
projetait des courts-métrages
sur les combats qui se
déroulaient en Espagne. La
guerre se préparait depuis
longtemps. Hitler prépare la
guerre depuis 1936.
En fait, la première guerre
mondiale n’était pas réellement
terminée. Plusieurs facteurs
sont donc en place pour allumer
le feu qui couve. L’Europe est
instable, les Allemands humiliés
étaient galvanisés par un Adolf
Hitler.
En 1939, les Allemands et les
Russes envahissent la Pologne
catholique. En effet, un traité
russo-allemand stipule le
partage de la Pologne, ce qui
permet à Hitler de faire la
guerre sur un seul front ouest.
Le déclencheur majeur de la
seconde guerre mondiale est
l’impérialiste allemand qui veut
agrandir son territoire et
revenir à l’empire allemand
d’avant 1914 et d’ajouter à cet
empire d’autres territoires
peuplés de Germanophone qui
faisaient partie de l’Empire
austro-hongrois, (Autriche,
Sudètes, etc.). Plusieurs
assassinats ont lieu dont celui
du chancelier autrichien
Dollfuss. Les Allemands étaient
aussi impliqués dans le présumé
suicide du président tchèque
Benes.
Ici au Canada, Sorel sort à
peine d’une crise économique
suivie d’une grève ouvrière très
dure.
On peut sentir la tension
partout. Les visiteurs chez mon
grand-père parlent à voix basse.
J’essaie bien de comprendre ce
qu’ils disent du haut de
l’escalier mais en vain!
À l’époque, nous recevions le
journal La Presse chez
mon grand-père. Mon
arrière-grand-mère Philomène
Valois m’enseignait la lecture
des lettres et je pouvais ainsi
suivre les actualités.
L’Angleterre entre en guerre en
1939 et le Canada suit quelques
jours après.
Du côté politique, on parle du
dilemme du ministre P.J. Arthur
Cardin, libéral. Les Libéraux
ont renversé les Conservateurs
après la guerre de 1914-1918 en
promettaient de ne jamais avoir
recours à la conscription,
(recrutement forcé) en temps de
guerre. Il y a un référendum en
1941 et le ministre Cardin devra
démissionner car les électeurs
ne le délient pas de sa
promesse. Il quitte donc le
cabinet libéral où son influence
avait toujours été favorable à
Sorel et siège comme député
indépendant. Le Québec sera la
seule province à ne pas accepter
de délier le gouvernement
libéral à ne pas avoir recours à
la conscription.
Les forces nationalistes
Canadiennes-françaises
combattent la conscription
notamment un jeune avocat du nom
de Jean Drapeau et une tête
d’affiche, André Laurendeau, qui
formera avec d’autres le parti
du Bloc Populaire. Les membres
du Bloc portaient à leur
boutonnière un petit bloc de
bois. Elles prétendent que
l’armée se porterait à la
défense de l’Angleterre et que
cette guerre ne les concernait
pas. Certains de leurs chefs
sont emprisonnés dont le maire
de Montréal, M. Camillien Houde
déjà emprisonné à Petawawa lors
du referendum sur la
conscription.
Les gens sont inquiets. Qui sera
appelé par l’armée?
Les gens mariés étant exemptés,
commence la course au mariage.
De notre galerie, en avant de la
maison où l’on prenait l’air et
pour se reposer, nous voyons des
couples se rendre le dimanche à
l’église Notre-Dame pour se
marier.
Mon grand-père Alfred Plante,
qui travaillait au Chantier
Manseau est prêté pour la
construction de Sorel Industries
qui fabriquera des canons. La
France étant déjà occupée en
1940 par les Allemands, les
industriels français doivent
respecter l’armistice et cèdent
donc la direction de l’usine aux
Anglais et aux Américains. Cette
usine est construite sur
l’emplacement du chantier du
gouvernement grâces aux
démarches de Monsieur J. Édouard
Simard.
Aux chantiers de Marine
Industries on s’équipe pour
construire des balayeurs de
mines, des corvettes et des
cargos. On y construit aussi des
barges de débarquement qui
seront utilisées en Normandie.
La population de Sorel augmente.
La pension de Madame Allie en
face de chez nous compte au
moins 10 pensionnaires pour 3
chambres à coucher. On se relaye
dans les lits selon les quarts
de travail
Pour loger tout ce monde, on
construisit des maisons de
pension (Boarding Houses. Un
complexe était situé entre la
rue Cormier et la route
Marie-Victorin. On en retrouve
aussi le long du Richelieu. Il
en subsiste encore une derrière
le Marché Richelieu.
Un camp militaire est construit
sur la rue Prince, longent la
rue Du Collège et s’étendant
dans le marais en arrière. Les
militaires s’entraînent, font de
longues marches et ont des
permissions pour fréquenter les
bars du bas de la ville. A la
fin de la soirée, nous
entendions le bruit de leurs
bottines ferrées alors qu’ils
retournaient à leurs casernes.
Des maisons sont construites à
partir de la rue de Carignan
jusqu’à la rue La Comtesse, dans
le secteur que nous appelions le
«parc vassal». Un jour, en
voulant me rendre dans le bois,
je ne trouvais pas mon chemin.
Je fis le tour par le chemin de
ligne. (Le boulevard Fiset).
Des bâtisses sont construites
pour loger les travailleurs
venant de l’étranger sur la rue
Cormier
A la maison, nous subissons sans
trop de souffrances les
rationnements du sucre, du
beurre et de la viande.
D‘ailleurs, on peut encore en
trouver au marché et dans la
plupart des commerces.
L’essence aussi est rationnée.
Nous n’avions pas d’auto, les
laveuses et autres appareils
ménagers deviennent difficiles à
trouver.
Toute la ville est à l’ouvrage!
Au début des quarts de travail,
matin, midi et soir, le pont
Turcotte et celui des chars sont
bondés de travailleurs. Je me
souviens que mon grand-père et
mon père arrivaient à la maison
vers midi quinze pour dîner et
retraversaient le pont des chars
vers midi et quarante.
En travaillant au chantier
maritime et aux usines de Sorel
Industries, les Sorelois et les
néo-Sorelois sont presque tous
exemptés de la guerre. Quand un
employé s’absente trop souvent
ou ne donne pas une bonne
journée de travail, on lui
laisse entendre qu’il devrait
aller se rapporter à au camp
militaire de Longueuil pour
joindre l’armée. Inutile de dire
que cet incitatif était très
efficace!
À l’Académie-du-Sacré-Coeur,
comme dans la plupart des
grosses écoles, (nous étions
environ 850), il y avait des
corps de cadet. Les élèves y
apprenaient ce qu’on appelait «
la drill », soit comment marcher
en formation et à connaître les
commandements des officiers. On
y enseignait le code Morse, le
sémaphore, le tir à la carabine,
la lecture des cartes
géographiques, certains
rudiments d’artillerie et de
balistique. Nous visionnons des
films sur le positionnement et
les méthodes de défense des
pelotons allemands. Ceci se
poursuivit jusqu’au moment où un
échevin s’objecta à cet
entraînement sous prétexte que
l’on préparait de la chair à
canon.
Cadets et club de tir de
l’Académie du Sacré-Coeur
A un moment donné, toute la
ville dû faire des exercices de
« black out », c’est à dire
d‘éteindre tous les feux et
lumières pour parer à toute
attaque aérienne ennemie la
nuit.
A la radio, le journaliste
Albert Duquesnes nous donnait
des nouvelles du front. Il y
avait sûrement de la censure. Au
cinéma on projetait aussi des
séquences de combats.
Je m’initiai à la lecture des
cartes géographies illustrant
les avances et les replis de nos
armées dans La Presse.
La radio se répand un peu
partout et nous entendions des
chansons ayant pour thème la
guerre dont voici quelques
strophes :
«C’est l’adieu, petite
mère, de ton gars qui va partir,
je ressens la peine amère que
ton cœur devra souffrir»
Ou encore :
«Je
suis loin de toi mignonne, loin
de toi et du pays, mais je
resterai madone, toujours ton
petit kaki. Quand je partis pour
la guerre et te quittai
brusquement, quelque part en
Angleterre, à toi je pense
souvent. J’ai sur ma table
rustique ton doux visage adoré
et dans mon cœur
nostalgique, le dernier de tes
baisers».
La radio diffuse des émissions
basées sur des histoires de
guerre comme « La Fiancé
du Commando ». Je me
souviens d’une histoire très
troublante qui racontait une
invasion du Canada.
Plusieurs personnalités comme le
gouverneur général, le comte
d’Athlone, le général français
Giraud et le Major Paul Triquet
rencontrent la population pour
qu’elle souscrive à l’effort de
guerre en achetant «des bons de
la victoire» (du mot Bond qui
veut dire obligation d’épargne),
servant à son financement.
Le Japon déjà allié des
Allemands depuis 1940 attaque de
façon surprise en le 7 décembre
1941 la flotte américaine basée
à Pearl-Harbor sur l’Île
d’Hawaii. Je me souviens
avoir entendu le président
Roosevelt prononcer à la radio,
la déclaration de guerre avec
les célèbres mots : « Days
of Infamy ».
Les Russes grâce aux armes
fournies par les Alliés viennent
à bout de l’avance Allemande.
Les Alliés envahissent
l’Afrique, la Sicile, l’Italie,
on débarque en 1944 en
Normandie, le vent vient de
tourner.
Le besoin de soldats diminuant,
le camp militaire devient un
camp de prisonniers Allemands.
Un jour en allant jouer dans les
bois près du camp, mes amis et
moi avons eu soudainement très
peur. Il y a des prisonniers
allemands qui cueillent des
mûres dans notre endroit de
prédilection.
Ils nous font signe de nous
approcher et de ramasser nos
mûres. Je parle avec l’un
deux qui parle le français. Il
était originaire de Francfort,
avait été capturé en Afrique et
il avait un petit garçon
d’environ 12 ans.
Le conflit terminé en Europe,
les deux bombes atomiques
forceront la reddition du Japon.
En Allemagne et en Pologne, on
découvrira alors les horreurs
des camps de concentration
allemands que les journaux et le
cinéma nous font connaître.
Le jour de la victoire, papa et
grand-papa travaillaient avec
nous pour fendre et corder du
bois dans la cour en arrière de
la maison. Nous entendions de la
musique provenant du parc Royal
ou l’on y dansait pour célébrer
la fin de la guerre.
Grand-papa nous dit :
« Ils
dansent maintenant, ils ne
danseront pas tout-à l’heure. ».
Ayant connu la fin de la
première guerre mondiale, il
faisait allusion au chômage qui
suivrait.
Ces quelques souvenirs de la
deuxième guerre mondiale sont
encore très présents à mon
esprit.
Roland Plante
Avec la collaboration de
Madeleine Blanche Lussier.
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