La fin des
chevaux dans nos rues
Par Roland Plante
C’est sous Louis XIV que les
premiers chevaux arrivent en
Nouvelle-France en juillet 1665
:14 chevaux, 12 juments et 2
étalons, font la traversée sur
le navire « La Marie-Thérèse »
et arrivent à Québec. Quelque
quatre-vingts chevaux arriveront
entre 1665 et 1671. Les chevaux
auraient fait partie du haras du
Roi, selon la légende. Ils sont
d’origine normande, bretonne et
poitevine et possiblement
andalouse, les meilleures
régions réputées pour la qualité
de leurs chevaux.
Ce sont les communautés
religieuses, les Ursulines et
les filles de Marguerite
Bourgeois, qui se verront offrir
les premiers chevaux. Quelques
seigneurs aussi, dont monsieur
de Saint-Ours et Pierre de
Saurel.
Un contrat
est alors établi entre le
bénéficiaire et les
fonctionnaires de l'intendant
Jean Talon. Ce contrat exige que
la personne prenne soin de
l'animal (sous peine d’une
sévère amende de 200 livres si
le cheval meurt), le fasse se
reproduire, et remette un
poulain à l'administration sous
les 3 ans. Les poulains sont à
leur tour redistribués selon les
mêmes modalités et exigences.
Grâce aux conditions
géographiques de la
Nouvelle-France (ou malgré
elles), les chevaux se
développent en vase clos, sans
apport de sang extérieur, et
deviennent en moins de 100 ans,
ce petit cheval de fer si prisé
par nos voisins du sud, et par
les Anglais après la Conquête de
1760.
Au fil des siècles, le cheval
canadien aide à défricher un
vaste territoire, contribue au
développement économique du
pays, participe à plusieurs
guerres (Guerre de Sécession,
Guerre des Boers, Première
Guerre mondiale), et inspire de
grands artistes comme Cornelius
Krieghoff.
Le cheval canadien est la race
chevaline du «Patrimoine
agricole» du Québec depuis 1999,
et la race chevaline «nationale»
du Canada depuis 2002. Surnommé
le Petit cheval de fer, en
l’honneur de son étonnante
robustesse, il aurait, selon les
dernières études génétiques,
amélioré plusieurs races
nord-américaines au cours des
18e et 19e siècles, dont le
cheval Morgan, le Standardbred
et le Tennessee Walker.
Selon les évaluations de 1763,
la population de chevaux au
Canada s’élève à 13 ou 14 mille
bêtes. Des chevaux sans apport
génétique extérieur. Cette race
qu’est le cheval canadien est
officialisée 1887 et en 1895, le
Dr J.A. Couture, vétérinaire,
fonde la Société des éleveurs de
chevaux canadiens, qui existe
toujours.
Les chevaux étaient arrivés à
Sorel dès le début de la
colonie. Qui aurait pu dire
qu’ils disparaîtraient de notre
paysage régional et seraient
remplacés par des machines. Que
de souvenirs!
La fin des chevaux dans
nos rues :
Les matins d’été, le bruit des
sabots des chevaux annonçait le
passage des laitiers. Madame
Hector Dumas, Messieurs
Cournoyer, Antonio Péloquin de
Sainte-Anne et par la suite la
laiterie Chalifoux s’arrêtaient
chez leurs clients qui
laissaient soit des pintes soit
des chopines en verre devant
leur porte et qui étaient payées
avec de la monnaie ou des bons
d’achat.
Les marchands de glace Wilfrid
Chapdelaine et Lanciault
laissaient sur les trottoirs des
blocs de glace qu’on
transportait à l’aide de pinces
spéciales. Une fois nettoyés, on
plaçait les blocs de glace dans
des glacières par une porte sur
le dessus. Ces glacières se
trouvaient dans une petite
annexe ordinairement adossée à
la maison et l’eau de la fonte
s’écoulait en dessous. Durant
l’hiver, on n’avait pas besoin
de glace, car on utilisait cette
annexe non chauffée comme un
congélateur, mais à la merci de
la température extérieure.
On utilisait des voitures dotées
de lisses ou patins en hiver. Le
bruit de leurs clochettes
avertissait les autres équipages
de leur approche. Les nuits
d’hiver étaient longues, noires,
l’éclairage très limité.
Les marchands de bois et de
charbon, Hector Blanchard et
Joyal et fils, livraient leurs
marchandises à l’aide d’un
tombereau, une voiture à deux
roues. Certains marchands
épiciers comme P.C. Lemoine et
Desnoyers, les marchands de bois
James Sheppard et fils livraient
leurs marchandises avec leur
voiture. Les bouchers Bussière
et Jos Quintal utilisaient leur
cheval comme «Pit» Larochelle
qui livrait sa viande et
détenait le contrat pour
transporter la malle entre le
train et le bureau de poste. Un
train au diesel que nous
appelions «La Punaise» arrivait
en gare vers sept heures du
soir. Le postillon de
Sainte-Victoire, monsieur
St-Martin, semblait dormir et
allait au bureau de poste
toujours à la même heure, son
cheval n’ayant pas besoin d’être
guidé.
Un pâtissier, M. Corbeil,
vendait des beignes, des choux à
la crème, des éclairs au
chocolat, etc. Le samedi, il
avait son étal au Marché.
Comment oublier l’odeur qui
parfumait son établissement qui
se spécialisait dans les
beignes. Il utilisait aussi un
cheval pour faire du
porte-à-porte, tout comme M.
Ledoux, marchand de fruits et
légumes et quelques
cultivateurs.
M. Gérard Labonté se
spécialisait aussi dans les
beignes et utilisait aussi un
cheval pour faire du
porte-à-porte.
M. Chevalier, de la rue Sophie
(Hôtel-Dieu) offrait des
services de transport, soit pour
les déménagements, la livraison,
pour disposer de la neige, etc.
Il possédait une magnifique
calèche, un taxi d’autrefois.
Que de fois elle servit pour les
mariages! L’hiver, il
transportait les gens sur la
glace vers l’île Saintt-Ignace
ou vers Berthier.
Il ne faut pas oublier les
magnifiques chevaux des
pompiers. Je n’ai vu que leurs
stalles. Quand la cloche
d’incendie sonnait, ils allaient
se placer sous leur attelage qui
était suspendu, ce qui sauvait
du temps.
Plusieurs citoyens possédaient
de magnifiques voitures à
cheval. Je me souviens d’un M.
Jos. Bourque de la rue Sophie
(Hôtel-Dieu) qui, le dimanche,
parcourait les rues, tout bien
habillé, portant le chapeau
melon. M. Alphonse Guévremont,
avec ses magnifiques attelages
se livrait au transport de
marchandises et de promenades en
voiture.
Pour se rendre au marché et y
vendre leurs produits, les
cultivateurs partaient tôt le
matin. Une fois leur voiture en
place autour du marché, on
dételait les chevaux et en les
tenant par la bride, on les
conduisait vers des écuries sur
la rue Prince, une située du
côté du fleuve, en arrière du
magasin de radio Cardin était la
propriété de M. Joseph Roy,
amateur de chevaux de course,
l’autre appartenant à M. Hector
Dumas était située derrière
l’épicerie Desnoyers.
Parfois, un cheval prenait le
mors aux dents. Quelques braves
tentaient de l’arrêter dans sa
course folle. On lui couvrait
les yeux avec un veston, on
tentait de les saisir par la
bride. Ceci se terminait souvent
quand la voiture se renversait,
la pauvre bête étendue par
terre, entre les brancards,
haletante, les yeux fous. Une
scène bouleversante!
Nos ancêtres se faisaient un
honneur de posséder le cheval le
plus rapide. On dut même
promulguer des lois pour
empêcher les abus dans la ville.
À Sorel, à cette époque,
messieurs Roy, restaurateur,
Roch, hôtelier et Milton
Courchesnes, charretier, se
livraient au sport des courses
de chevaux.
En hiver, j’ai assisté par grand
vent aux courses sur la rivière
Richelieu. En été, il y avait
des pistes de course en avant du
Mont-Saint-Bernard et plus tard,
au coin des rues Victoria et
Royal (actuel Boulevard Fiset),
à la place du stade de baseball.
Les tombereaux de la corporation
municipale avaient notamment
comme tâche de ramasser ce que
nous appelions «les pommes de
route». Bien gelées, elles
avaient une autre utilité, on en
retrouvait sur les patinoires
comme substitut pour les
rondelles. Sans compter qu’elles
pouvaient servir pour le
chauffage.
Les autos et les camions
remplacèrent progressivement les
chevaux. L’arrivée de ces
véhicules bruyants soulevait
l’admiration de tous! Il fallait
faire moderne et remplacer les
voitures à cheval par la machine
à moteur.
Roland Plante
Avec la collaboration de
Madeleine Blanche Lussier
Source :
Roland Plante, Courriel
Saurelois
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