Courriel Saurelois
Une chronique sur l'histoire de Sorel
de Roland Plante

23 juillet, 2019

En collaboration avec :

Sorel - 1939
Par : Roland Plante et Madeleine B. Lussier

Des signes précurseurs à une guerre

La crise économique des années 30, générée par la crise économique de 1929, eut des répercussions jusqu’à la guerre de 1939. Tous les pays ont subi les conséquences de cette crise. Cette triste décennie est caractérisée par des famines, une crise économique sans précédent avec un chômage endémique, la montée des extrémismes, les tensions internationales qui allaient culminer avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale en 1939. Famines dévastatrices en URSS, la montée du fascisme en Italie, la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne en 1933, etc.

Sorel vivra elle aussi les conséquences de cette décennie maudite. En 1937, Sorel, qui compte 11 000 habitants, connaît un conflit social important, opposant « le capital appuyé par les pouvoirs politiques et le travail supporté par le pouvoir religieux.

Une ville qui bat au rythme des jours

Après les grèves de 37, la ville reprend son rythme normal.

À l’époque, les limites de la ville se terminent à la rue du Collège. Quelques maisons près du moulin des Sheppard, et à l’est, près de la rue Royale, aussi appelé chemin de ligne. Du côté de Saint-Joseph, les habitations sont surtout réparties autour de la rue Montcalm, les rues adjacentes du chemin Saint-Roch et à la Pointe-aux-Pins.

Sans hôpital, les médecins et les dentistes pratiquent surtout dans des bureaux attenants à leur maison privée et sont disponibles en tout temps. Les médecins visitent les malades à leur domicile. On a aussi recours à des «ramancheurs» pour les fractures et les problèmes musculaires.

L’implantation de l’hôpital Richelieu, propriété du docteur C. Robert Fiset, comblera ce grand besoin. Ce médecin, diplômé en médecine en 1925, fonde l’année suivante le sanatorium de Sainte-Anne de Beaupré qu'il dirige jusqu'en 1940, année où il s'établit à Sorel, à la demande des frères Simard. À l’instar de beaucoup de médecins de l’époque, il soigne souvent gratuitement des malades qui ne peuvent le payer.

Les personnes âgées, qui ne peuvent être gardées chez un de leurs enfants ou chez des parents, terminent leur vie dans un hospice tenu par les Sœurs grises.

Les orphelins, ou ceux qui n’ont qu’un seul parent ou qui ne peuvent les garder sont hébergés dans un orphelinat aussi tenu par les Sœurs grises. Le financement provient de la Fabrique de paroisse, de dons, de tombolas organisées par des dames patronnesses et par les profits de banquets auxquels participent des groupes comme les chevaliers de Colomb et les employés des usines. Les Sœurs préparent de succulents repas.

La ville est alors divisée en deux paroisses, Saint-Pierre et Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours. Les protestants fréquentent la Christ Church sur la rue du Prince.

Les membres du corps de police locale sont des Sorelois. Après le chef Albert Guay, on aura recours à des chefs de police provenant de Montréal. La police provinciale a un poste situé près du pont Turcotte. Elle compte aussi plusieurs Sorelois.

Les viandes achetées au marché le vendredi ou le samedi ou dans les boucheries sont conservées dans des glacières habituellement placées dans une armoire attenante à la maison. Dans la partie supérieure qui s’ouvre par le haut on y place pratiquement chaque jour un gros bloc de glace. Les eaux de la fonte sont alors évacuées sous l’armoire.
Dans les saisons froides, la glace n’est pas requise.

On trouve plusieurs boucheries réparties dans la ville de même que des épiceries.
À la guerre, on s’attendait à une disette pour les carburants et les pneus, pour le sucre, le beurre et la viande. Chaque personne recevait des coupons en limitant l’utilisation et la consommation. C’était le rationnement. Le marché noir était florissant.

En matière de transports, on compte peu d’automobiles, les boulangers, laitiers, vendeurs de glace, épiciers et marchands utilisent des chevaux. Il y a même des calèches.

On peut prendre le train pour aller et revenir de Montréal et vers l’est et le sud de Sorel. Par exemple, un train peut partir vers Montréal le matin et revenir vers 7 heures dans la soirée, apportant les malles. Des autobus font la navette entre Sorel et Montréal.

Plus tard, on reliera Sorel à Saint-Hyacinthe, Drummondville, Nicolet et Sain-Angèle.

Il est aussi possible de se rendre et de revenir de Montréal sur les «Bateaux blancs» de la Canada Steamship Line (CSL).

Le traversier François C. (Crépeau) relie Sorel à la rive nord du fleuve.

Avant 1939, il faisait escale à l’île Saint-Ignace pour ensuite se rendre à Berthierville. Des ponts furent construits entre les îles, et Berthierville. La traversée du fleuve se faisait plus rapidement.

L’Académie du Sacré-Cœur offre des cours commerciaux et scientifiques de la première à la dixième année et par la suite à la douzième. Le nombre d’élèves monta jusqu'à près de 850.
La plupart des garçons quittent l’école après la septième année. D’autres poursuivent leurs études au Séminaire de Saint-Hyacinthe ou dans les institutions religieuses à l’extérieur de Sorel, se destinant vers la prêtrise, les professions libérales, médecin, avocat, notaire, ou encore en génie et en architecture. L’école organise toutes sortes d’activités sportives et artisanales.

Leur corps de cadet donne des cours de lecture de carte, de code morse, sémaphore et de tir à la carabine. Les filles ont aussi leurs écoles.

La vie est ponctuée par des rituels. Ainsi, chaque soir, à neuf heures précises, la sirène du poste de police sonne pour signaler que, tout jeune non accompagné qui circule dans les rues, sera interpellé et ramené à ses parents. Inutile de dire que peu d’enfants se risquent à enfreindre ce rappel.

Il y a une grosse demande de la part des industries pour des machinistes, des électriciens, des plombiers et des menuisiers et des dessinateurs. Le frère Delphin et les MM. Simard fondent une école d’Arts et Métiers.

Une vie économique diversifiée et l’arrivée de nouvelles usines

Le monde du travail était diversifié. Notamment :

- Le département des transports. (Grand Quai)
- Chantier Manseau : Construction de navires et les réparations surtout en hiver.
- Sincennes McNaughton: Surtout dans le port de Montréal
- Canada Steamship Lines
- Sorel Steel Foundries
- Sorel Tugs
- James Sheppard
- Les entreprises Lucien Lachapelle, Molson, pavage, travaux d’égout, etc.

A St-Joseph, Elzéar Cournoyer était aussi dans les travaux d’égout.

- Les manufacturiers de portes et châssis, de chemises et de parachutes.
- La Weaver Coal pour alimenter en charbon les navires.
- Les Élévateurs – transbordement de grain par navire et par train.
- Sorel Shirt – manufactures de chemise.
- Lerner’s – manufactures de chemises.
- Le mica, fabrique d’isolant pour l’électricité.

À l’arrivée de la guerre, les frères Simard réussissent à convaincre les Schneider, propriétaires des plus grosses usines sidérurgiques de France, de construire une usine à Sorel (Saint-Joseph).

Le chantier Manseau est transformé pour construire des navires de guerre et des cargos de ravitaillement de 10 000 tonneaux. Le chantier Manseau est rebaptisé Marine Industries. Il était situé dans la municipalité de Paroisse et non dans le village. Les cultivateurs ne voulaient pas payer pour l’entretien de la municipalité. Donc, il leur en coûtait moins cher de taxes.

Le gouvernement canadien ayant vendu en 1937 son chantier maritime de St-Joseph-de-Sorel ainsi que les dragues qui entretenaient la profondeur du chenal sur le fleuve St-Laurent, les contrats furent offert aux compagnies privées. Sorel en d’importants contrats.
L’usine Sorel Industries sera construite à cet emplacement. On y fabrique des canons.

Un effort de Guerre particulier

Très peu de Sorelois sont conscrits dans les forces armées. En travaillant dans les usines de guerre, ils en sont exemptés. Cependant, défense de s’absenter, la punition étant un billet pour se rapporter au camp d’entraînement de l’armée à Longueuil! Quelques jeunes se cacheront dans les Îles.

Pour aider à financer les dépenses de guerre, le gouvernement a émis des Obligations d’épargne que les ouvriers achètent et payent par des déductions sur leur salaire.

Un organisme de Protection civile organise des plans d’urgence en cas d’attaques. On fait des exercices de couvre-feu comme prévention.

[…] les usines de Marine Industries Limited et Sorel Industries Limited tourneront 24 heures sur 24 et emploieront jusqu'à 10000 personnes pour répondre aux commandes de navires de guerre de diverses classes, puis de canons, données par les gouvernements britannique et canadien. Ce formidable marché de l'emploi fera converger vers notre région des milliers de travailleurs, venus de partout au Québec et de l'Ontario qui ont entendu dire « À Sorel y'a d'la job ! ! ! » C'est ainsi que la population de Sorel va doubler entre 1941 et 1951. La construction domiciliaire connaîtra un développement considérable et le quartier de Sorel-Sud apparaît ; c'est là que s'établira en 1948 la manufacture de textile de Canadian Celanese Limited, qui fournira des emplois surtout aux femmes. Deux ans plus tard sera fondée la paroisse de Saint-Gabriel-Lalemant et l'église sera construite.

Marine embauchera jusqu’à 7 000 ouvriers alors que Sorel Industries en aura 3 000. À la fin de la guerre, il y aura des célébrations dans le parc. Je me souviens très bien, alors que nous préparions le bois de chauffage dans notre cour, nous entendions la musique. Mon grand-père nous dit alors :

«Ils ne danseront pas tout à l’heure»

En effet, quelque 6,000 ouvriers furent mis à pied.

On en gardera 200 à la Marine Industrie, dont mon père et mon grand-père. On embauche des supplémentaires selon les contrats obtenus grâce aux subventions du gouvernement fédéral. On construit des navires pour la Pologne, la Grèce, l’Algérie, la Hollande et Cuba. Une division hydro-électrique et de construction de wagons offre aussi du travail à de nombreux Sorelois.

La guerre de Corée (1950-1953) amènera un peu de travail. Les États-Unis ont commandé des canons à Sorel Industries. Une autre série de maisons est construite depuis la rue Prince jusqu’à la maison des Gouverneurs pour loger des Américains venus coordonner les opérations.

Une usine de textile, la Canadian Celanese, et plus tard celle des fonderies Fer et Titane, fabriqueront des bouées de sauvetage. Une centaine de maisons sont construites, formant le quartier Richelieu, des rues Mandeville à Cardin, du Chemin Saint-Roch à la rue Maisonneuve.

Une nouvelle période de prospérité s’ouvrait.

La configuration de la ville change. Il faut bien loger tous ces ouvriers.
Les activités industrielles nécessitent la construction de maisons ainsi que des édifices (Boarding Houses) pour loger les employés des usines et leur famille qui viennent de l’extérieur. Du côté de Sorel, entre les rues Carignan, de la Comtesse, Dupré et Goupil, un quartier au complet est rempli de maisons, comme à Saint-Joseph, de la rue Bonin à Marie-Victorin, du chemin Saint-Roch à la rue Laurier. On affuble ces quartiers du nom de Casimirville et Saint-Edredon, inspiré par une émission radiophonique populaire. On peut encore retrouver aujourd’hui la dernière « Boarding House » qui se trouve sur les bords de la rivière Richelieu, en arrière du Marché.

Plusieurs maisons prennent des pensionnaires. Dans trois chambres, on y loge 10 à 12 personnes. Les lits sont utilisés 24 heures par jour.

L’eau chaude provient d’une bouilloire placée sur un poêle chauffé au bois ou au charbon. Ceci chauffe la maison et les fumées sont évacuées par des tuyaux connectés à une cheminée. On doit les nettoyer une fois par année.

Depuis longtemps, seul le théâtre Eden sis en haut du marché présente des films. En 1942, un homme d’affaires, Lucien Lachapelle fait construire le théâtre Sorel, dans un style Art déco.
Si 1939 annonçait une période d’instabilité avec la Deuxième Guerre mondiale, elle amorçait à Sorel six années de prospérité et de modernisation à tous points de vue. La vie sociale, culturelle et économique de Sorel bat au rythme des usines pour l’effort de guerre.

Documentation suggérée :

• « Sorel-Tracy, un fleuve, une rivière, une histoire », Mathieu Pontbriand, Société historique Pierre-de-Saurel, 2014
• « Histoire de Saint-Joseph-de-Sorel et de Tracy, 1875-1975 », volume-souvenir à l'occasion du 100e anniversaire de Saint-Joseph-de-Sorel / par Olivar Gravel.
• « Histoire économique de la région de Sorel-Tracy » : Page Cournoyer Publication, 2005.
• « Sorel – 1642 à 1942 » édité par Yvon Beaudry.
• Pages from the History of Sorel par Walter S. White


Recherche et rédaction: Roland Plante
Avec la collaboration de Madeleine B. Lussier.


Source : Roland Plante, Courriel Saurelois

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