Sorel - 1939
Par :
Roland Plante et Madeleine B.
Lussier
Des signes précurseurs à une
guerre
La crise économique des années
30, générée par la crise
économique de 1929, eut des
répercussions jusqu’à la guerre
de 1939. Tous les pays ont subi
les conséquences de cette crise.
Cette triste décennie est
caractérisée par des famines,
une crise économique sans
précédent avec un chômage
endémique, la montée des
extrémismes, les tensions
internationales qui allaient
culminer avec le déclenchement
de la seconde guerre mondiale en
1939. Famines dévastatrices en
URSS, la montée du fascisme en
Italie, la prise de pouvoir
d’Hitler en Allemagne en 1933,
etc.
Sorel vivra elle aussi les
conséquences de cette décennie
maudite. En 1937, Sorel, qui
compte 11 000 habitants, connaît
un conflit social important,
opposant « le capital appuyé par
les pouvoirs politiques et le
travail supporté par le pouvoir
religieux.
Une ville qui bat au rythme
des jours
Après les grèves de 37, la ville
reprend son rythme normal.
À l’époque, les limites de la
ville se terminent à la rue du
Collège. Quelques maisons près
du moulin des Sheppard, et à
l’est, près de la rue Royale,
aussi appelé chemin de ligne. Du
côté de Saint-Joseph, les
habitations sont surtout
réparties autour de la rue
Montcalm, les rues adjacentes du
chemin Saint-Roch et à la
Pointe-aux-Pins.
Sans hôpital, les médecins et
les dentistes pratiquent surtout
dans des bureaux attenants à
leur maison privée et sont
disponibles en tout temps. Les
médecins visitent les malades à
leur domicile. On a aussi
recours à des «ramancheurs» pour
les fractures et les problèmes
musculaires.
L’implantation de l’hôpital
Richelieu, propriété du docteur
C. Robert Fiset, comblera ce
grand besoin. Ce médecin,
diplômé en médecine en 1925,
fonde l’année suivante le
sanatorium de Sainte-Anne de
Beaupré qu'il dirige jusqu'en
1940, année où il s'établit à
Sorel, à la demande des frères
Simard. À l’instar de beaucoup
de médecins de l’époque, il
soigne souvent gratuitement des
malades qui ne peuvent le payer.
Les personnes âgées, qui ne
peuvent être gardées chez un de
leurs enfants ou chez des
parents, terminent leur vie dans
un hospice tenu par les Sœurs
grises.
Les orphelins, ou ceux qui n’ont
qu’un seul parent ou qui ne
peuvent les garder sont hébergés
dans un orphelinat aussi tenu
par les Sœurs grises. Le
financement provient de la
Fabrique de paroisse, de dons,
de tombolas organisées par des
dames patronnesses et par les
profits de banquets auxquels
participent des groupes comme
les chevaliers de Colomb et les
employés des usines. Les Sœurs
préparent de succulents repas.
La ville est alors divisée en
deux paroisses, Saint-Pierre et
Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours.
Les protestants fréquentent la
Christ Church sur la rue du
Prince.
Les membres du corps de police
locale sont des Sorelois. Après
le chef Albert Guay, on aura
recours à des chefs de police
provenant de Montréal. La police
provinciale a un poste situé
près du pont Turcotte. Elle
compte aussi plusieurs Sorelois.
Les viandes achetées au marché
le vendredi ou le samedi ou dans
les boucheries sont conservées
dans des glacières
habituellement placées dans une
armoire attenante à la maison.
Dans la partie supérieure qui
s’ouvre par le haut on y place
pratiquement chaque jour un gros
bloc de glace. Les eaux de la
fonte sont alors évacuées sous
l’armoire.
Dans les saisons froides, la
glace n’est pas requise.
On trouve plusieurs boucheries
réparties dans la ville de même
que des épiceries.
À la guerre, on s’attendait à
une disette pour les carburants
et les pneus, pour le sucre, le
beurre et la viande. Chaque
personne recevait des coupons en
limitant l’utilisation et la
consommation. C’était le
rationnement. Le marché noir
était florissant.
En matière de transports, on
compte peu d’automobiles, les
boulangers, laitiers, vendeurs
de glace, épiciers et marchands
utilisent des chevaux. Il y a
même des calèches.
On peut prendre le train pour
aller et revenir de Montréal et
vers l’est et le sud de Sorel.
Par exemple, un train peut
partir vers Montréal le matin et
revenir vers 7 heures dans la
soirée, apportant les malles.
Des autobus font la navette
entre Sorel et Montréal.
Plus tard, on reliera Sorel à
Saint-Hyacinthe, Drummondville,
Nicolet et Sain-Angèle.
Il est aussi possible de se
rendre et de revenir de Montréal
sur les «Bateaux blancs» de la
Canada Steamship Line (CSL).
Le traversier François C.
(Crépeau) relie Sorel à la rive
nord du fleuve.
Avant 1939, il faisait escale à
l’île Saint-Ignace pour ensuite
se rendre à Berthierville. Des
ponts furent construits entre
les îles, et Berthierville. La
traversée du fleuve se faisait
plus rapidement.
L’Académie du Sacré-Cœur offre
des cours commerciaux et
scientifiques de la première à
la dixième année et par la suite
à la douzième. Le nombre
d’élèves monta jusqu'à près de
850.
La plupart des garçons quittent
l’école après la septième année.
D’autres poursuivent leurs
études au Séminaire de
Saint-Hyacinthe ou dans les
institutions religieuses à
l’extérieur de Sorel, se
destinant vers la prêtrise, les
professions libérales, médecin,
avocat, notaire, ou encore en
génie et en architecture.
L’école organise toutes sortes
d’activités sportives et
artisanales.
Leur corps de cadet donne des
cours de lecture de carte, de
code morse, sémaphore et de tir
à la carabine. Les filles ont
aussi leurs écoles.
La vie est ponctuée par des
rituels. Ainsi, chaque soir, à
neuf heures précises, la sirène
du poste de police sonne pour
signaler que, tout jeune non
accompagné qui circule dans les
rues, sera interpellé et ramené
à ses parents. Inutile de dire
que peu d’enfants se risquent à
enfreindre ce rappel.
Il y a une grosse demande de la
part des industries pour des
machinistes, des électriciens,
des plombiers et des menuisiers
et des dessinateurs. Le frère
Delphin et les MM. Simard
fondent une école d’Arts et
Métiers.
Une vie économique
diversifiée et l’arrivée de
nouvelles usines
Le monde du travail était
diversifié. Notamment :
- Le département des transports.
(Grand Quai)
- Chantier Manseau :
Construction de navires et les
réparations surtout en hiver.
- Sincennes McNaughton: Surtout
dans le port de Montréal
- Canada Steamship Lines
- Sorel Steel Foundries
- Sorel Tugs
- James Sheppard
- Les entreprises Lucien
Lachapelle, Molson, pavage,
travaux d’égout, etc.
A St-Joseph, Elzéar Cournoyer
était aussi dans les travaux
d’égout.
- Les manufacturiers de portes
et châssis, de chemises et de
parachutes.
- La Weaver Coal pour alimenter
en charbon les navires.
- Les Élévateurs –
transbordement de grain par
navire et par train.
- Sorel Shirt – manufactures de
chemise.
- Lerner’s – manufactures de
chemises.
- Le mica, fabrique d’isolant
pour l’électricité.
À l’arrivée de la guerre, les
frères Simard réussissent à
convaincre les Schneider,
propriétaires des plus grosses
usines sidérurgiques de France,
de construire une usine à Sorel
(Saint-Joseph).
Le chantier Manseau est
transformé pour construire des
navires de guerre et des cargos
de ravitaillement de 10 000
tonneaux. Le chantier Manseau
est rebaptisé Marine Industries.
Il était situé dans la
municipalité de Paroisse et non
dans le village. Les
cultivateurs ne voulaient pas
payer pour l’entretien de la
municipalité. Donc, il leur en
coûtait moins cher de taxes.
Le gouvernement canadien ayant
vendu en 1937 son chantier
maritime de St-Joseph-de-Sorel
ainsi que les dragues qui
entretenaient la profondeur du
chenal sur le fleuve St-Laurent,
les contrats furent offert aux
compagnies privées. Sorel en
d’importants contrats.
L’usine Sorel Industries sera
construite à cet emplacement. On
y fabrique des canons.
Un effort de Guerre
particulier
Très peu de Sorelois sont
conscrits dans les forces
armées. En travaillant dans les
usines de guerre, ils en sont
exemptés. Cependant, défense de
s’absenter, la punition étant un
billet pour se rapporter au camp
d’entraînement de l’armée à
Longueuil! Quelques jeunes se
cacheront dans les Îles.
Pour aider à financer les
dépenses de guerre, le
gouvernement a émis des
Obligations d’épargne que les
ouvriers achètent et payent par
des déductions sur leur salaire.
Un organisme de Protection
civile organise des plans
d’urgence en cas d’attaques. On
fait des exercices de couvre-feu
comme prévention.
[…] les usines de Marine
Industries Limited et Sorel
Industries Limited tourneront 24
heures sur 24 et emploieront
jusqu'à 10000 personnes pour
répondre aux commandes de
navires de guerre de diverses
classes, puis de canons, données
par les gouvernements
britannique et canadien. Ce
formidable marché de l'emploi
fera converger vers notre région
des milliers de travailleurs,
venus de partout au Québec et de
l'Ontario qui ont entendu dire «
À Sorel y'a d'la job ! ! ! »
C'est ainsi que la population de
Sorel va doubler entre 1941 et
1951. La construction
domiciliaire connaîtra un
développement considérable et le
quartier de Sorel-Sud apparaît ;
c'est là que s'établira en 1948
la manufacture de textile de
Canadian Celanese Limited, qui
fournira des emplois surtout aux
femmes. Deux ans plus tard sera
fondée la paroisse de
Saint-Gabriel-Lalemant et
l'église sera construite.
Marine embauchera jusqu’à 7 000
ouvriers alors que Sorel
Industries en aura 3 000. À la
fin de la guerre, il y aura des
célébrations dans le parc. Je me
souviens très bien, alors que
nous préparions le bois de
chauffage dans notre cour, nous
entendions la musique. Mon
grand-père nous dit alors :
«Ils ne danseront pas tout à
l’heure»
En effet, quelque 6,000 ouvriers
furent mis à pied.
On en gardera 200 à la Marine
Industrie, dont mon père et mon
grand-père. On embauche des
supplémentaires selon les
contrats obtenus grâce aux
subventions du gouvernement
fédéral. On construit des
navires pour la Pologne, la
Grèce, l’Algérie, la Hollande et
Cuba. Une division
hydro-électrique et de
construction de wagons offre
aussi du travail à de nombreux
Sorelois.
La guerre de Corée (1950-1953)
amènera un peu de travail. Les
États-Unis ont commandé des
canons à Sorel Industries. Une
autre série de maisons est
construite depuis la rue Prince
jusqu’à la maison des
Gouverneurs pour loger des
Américains venus coordonner les
opérations.
Une usine de textile, la
Canadian Celanese, et plus tard
celle des fonderies Fer et
Titane, fabriqueront des bouées
de sauvetage. Une centaine de
maisons sont construites,
formant le quartier Richelieu,
des rues Mandeville à Cardin, du
Chemin Saint-Roch à la rue
Maisonneuve.
Une nouvelle période de
prospérité s’ouvrait.
La configuration de la ville
change. Il faut bien loger tous
ces ouvriers.
Les activités industrielles
nécessitent la construction de
maisons ainsi que des édifices (Boarding
Houses) pour loger les employés
des usines et leur famille qui
viennent de l’extérieur. Du côté
de Sorel, entre les rues
Carignan, de la Comtesse, Dupré
et Goupil, un quartier au
complet est rempli de maisons,
comme à Saint-Joseph, de la rue
Bonin à Marie-Victorin, du
chemin Saint-Roch à la rue
Laurier. On affuble ces
quartiers du nom de Casimirville
et Saint-Edredon, inspiré par
une émission radiophonique
populaire. On peut encore
retrouver aujourd’hui la
dernière « Boarding House » qui
se trouve sur les bords de la
rivière Richelieu, en arrière du
Marché.
Plusieurs maisons prennent des
pensionnaires. Dans trois
chambres, on y loge 10 à 12
personnes. Les lits sont
utilisés 24 heures par jour.
L’eau chaude provient d’une
bouilloire placée sur un poêle
chauffé au bois ou au charbon.
Ceci chauffe la maison et les
fumées sont évacuées par des
tuyaux connectés à une cheminée.
On doit les nettoyer une fois
par année.
Depuis longtemps, seul le
théâtre Eden sis en haut du
marché présente des films. En
1942, un homme d’affaires,
Lucien Lachapelle fait
construire le théâtre Sorel,
dans un style Art déco.
Si 1939 annonçait une période
d’instabilité avec la Deuxième
Guerre mondiale, elle amorçait à
Sorel six années de prospérité
et de modernisation à tous
points de vue. La vie sociale,
culturelle et économique de
Sorel bat au rythme des usines
pour l’effort de guerre.
Documentation suggérée :
• « Sorel-Tracy, un fleuve, une
rivière, une histoire », Mathieu
Pontbriand, Société historique
Pierre-de-Saurel, 2014
• « Histoire de
Saint-Joseph-de-Sorel et de
Tracy, 1875-1975 »,
volume-souvenir à l'occasion du
100e anniversaire de
Saint-Joseph-de-Sorel / par
Olivar Gravel.
• « Histoire économique de la
région de Sorel-Tracy » : Page
Cournoyer Publication, 2005.
• « Sorel – 1642 à 1942 » édité
par Yvon Beaudry.
• Pages from the History of
Sorel par Walter S. White
Recherche
et rédaction: Roland Plante
Avec la collaboration de
Madeleine B. Lussier.
Source :
Roland Plante, Courriel
Saurelois
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