Valeur de la vie et
déconfinement de François
Legault à Donald Trump

Cette
chronique aborde un sujet
délicat pour lequel il existe
une abondante littérature,
surtout dans le domaine de
l’assurance et de l’évaluation
du coût des projets publics : la
valeur de la vie humaine.
Quoiqu’on en dise, implicitement
ou explicitement, c’est cette
valeur qui sera principalement
mise dans la balance, dans le
processus décisionnel visant à
déterminer la stratégie de
déconfinement ici au Québec
et ailleurs dans le monde.
Combien
vaut un être humain au Québec?
Selon un de mes anciens
professeurs à l’Université de
Montréal,
George Dionne,
économiste, spécialiste des
questions de tarification en
matière d’assurance et
aujourd’hui
titulaire de la
Chaire de recherche du Canada en
gestion des risques
à
HEC Montréal,
on parle de 7,1 à
8,5 millions de dollars (2019)
par individu.
Aux États-Unis, selon
Bloomberg,
on parle de 10 millions de
dollars US (2016).
Là, votre système de valeurs et
votre moral sont heurtés. Mais
même si vous ne voulez pas en
entendre parler, dites-vous que
chaque jour, vous participez en
continue à cet immense exercice
planétaire qui consiste à fixer
le coût de la vie humaine, en
alimentant le « système ».
Ainsi, si vous avez un téléphone
intelligent? Un compte Facebook?
Un bidule numérique connecté?
Alors
vous êtes un fournisseur
bénévole de données
qui aident les mathématiciens,
statisticiens, financiers,
économistes, actuaires et autres
concepteurs d’algorithmes à
mettre un prix sur nos vies.
Et ce n’est pas tout. Vous
possédez des actions en bourse,
un RÉER ou une participation à
un régime de retraite de votre
employeur? Le point commun de
tous ces véhicules de placement,
c’est le rendement c.-à-d.
l’argent des intérêts que vous
voulez obtenir. Mais pour vous
donner du rendement, il faut
nécessairement que les
entreprises qui produisent ces
dividendes gèrent leurs
activités avec efficacité et
efficience, en évaluant entre
autres et indirectement la
valeur de la vie humaine.
L’exemple classique, c’est la
compagnie ferroviaire
Montreal, Maine & Atlantic
(MMA) responsable de l’accident
de train à Lac Mégantic en
juillet 2013. Laquelle
entreprise était à l’époque, en
partie, propriété de la
Caisse de dépôt et placement du
Québec
à hauteur de 13% c.-à-d. de vous
et moi. Le Gouvernement du
Québec exige en moyenne
annuellement de la Caisse, un
rendement de 8 % pour couvrir
les besoins de la Régie des
rentes du Québec. Ce faisant, la
Caisse se tourne vers les
entreprises où elle détient des
actions et leur exige un
rendement approprié. Ainsi, une
entreprise comme MMA peut être
amenée à couper dans l’entretien
des voies ferrées pour
satisfaire son actionnaire. Ce
qu’elle fit. Essentiellement,
MMA décida vraisemblablement que
l’absence d’entretien tant
préventif que correctif était un
risque acceptable. Autrement
dit, sans probablement avoir
fait d’études approfondies, MMA
a estimé implicitement qu’une
vie humaine valait moins cher
que le coût de l’entretien de
ses voies ferrées;
le tout pour satisfaire les
exigences d’un de ses
actionnaires, en l’occurrence,
la Caisse de dépôt et placement
du Québec.
C’est devenu à notre époque,
l’un des principaux aspects des
grands cycles de la vie que
certains historiens appellent,
l’aliénation de l’Homme au
marché. À ce titre, François
Legault et les autres dirigeants
du monde entier ne sont pas
immunisés contre ce genre de
considération, dans les
décisions qu’ils devront prendre
concernant le déconfinement.
Elles seront même au coeur du
processus décisionnel.
De même, nous ne serons pas
insensibles au critère de la
valeur de la vie humaine, qu’on
le veuille ou non, dans notre
adhésion à la façon dont le
Gouvernement du Québec gère la
crise du COVID-19 et procédera
au déconfinement. Parce que l’on
peut dire sans risque de se
tromper, que cela aura un impact
direct sur le nombre de décès,
dans le contexte d’un retour à
la normale trop rapide où les
plus démunis de notre société
pourraient en payer un prix
élevé, notamment les personnes
âgées.
La
classe politique, sans vouloir
nier sa bonne foi, pourra vous
dire que la vie humaine n’a pas
de prix. C’est faux; que l’on
pense par exemple à l’entretien
des routes. L’actuel drame qui
se vit dans les CHSLD en est un
autre bon exemple, à 2 niveaux.
Premièrement quant à
la gestion elle-même des
CHSLD devenue au fil des années,
par acceptabilité sociale, des
terminus de la vie.
Ne soyons pas collectivement
hypocrites. Nous avons tout fait
au cours des dernières années
pour réduire comme société,
notre fardeau fiscal. Il faut
maintenant vivre avec le
résultat de ce choix de société
quant au prix que nous accordons
à la vie humaine, du moins pour
certaines de celles-ci.
Deuxièmement, le gouvernement
Legault a répété en plusieurs
occasions
que 6000 lits pouvaient être
débloqués dans nos hôpitaux
pour faire face à la pandémie.
Pensez-y, 6000 lits disponibles
subitement dans un réseau qui
depuis des années, à la
réputation d’être utilisé à
pleine capacité. On le sait, le
gouvernement Legault a fait le
choix de transférer des
individus vers les CHSLD, pour
faire de la place aux
éventuelles victimes de la COVID-19.
Est-ce que les personnes
transférées étaient des citoyens
de seconde classe, dont la
valeur intrinsèque avait diminué
à cause des vicissitudes de la
vie et de l’âge? Chacun aura sa
réponse.
Je ne dis pas que François
Legault est insensible à la vie
humaine. C’est tout le
contraire. Mais il doit prendre
des décisions dans les meilleurs
intérêts de tous les citoyen(ne)s.
C’est ce que l’on appelle la « balance
des inconvénients »
où le décideur cherche à
minimiser les impacts compte
tenu du risque associé à chaque
décision. Dans le cas de la
situation actuelle dans les
CHSLD, il semble que le risque
et son impact aient été mal
interprétés avec les résultats
que l’on connaît. Maintenant, il
doit prendre des décisions sur
le début du déconfinement et son
rythme d’implantation, en
minimisant le nombre de décès
(ex. :
Reprise de la construction
résidentielle le 20 avril 2020).
À l’opposé se trouve un Donald
Trump, qui sous le couvert d’un
« America
First »
est surtout préoccupé par
l’évolution de sa fortune
personnelle, celle de son clan
et de ses riches amis. On
assiste donc aux États-Unis
actuellement à une politisation
partisane du débat supporté
principalement par les
Républicains qui veulent rouvrir
l’économie américaine au plus
tôt, sans égard aux conséquences
sanitaires. Ce n’est pas très
joli et l’on constate une fois
de plus, le déclin moral de la
société américaine, par le peu
de cas que fait son président de
la valeur de la vie humaine de
ses propres concitoyens.
Jocelyn Daneau, isolé,
jocelyndaneau@gmail.com |