La triste chaise vide à l’école
publique québécoise
À lire les médias en cette ère
pandémique, on a l’impression
que tout un chacun est un grand
oublié de l’effort collectif.
Malgré tous les milliards qui
n’existent pas, à rembourser un
jour, et qui se dépensent
présentement avec la carte de
crédit de la Banque du Canada,
on dirait que nous sommes tous
des oubliées de la pandémie. Par
exemple, moi-même, un homme
blanc instruit retraité et bien
enrobé, pourquoi n’ai-je pas
droit à l’un des nombreux et
généreux programmes d’envoi des
chèques de Justin?
Ainsi, je lisais dans
La Presse Plus,
l’intéressant témoignage
d’Élizabeth Quevillon, 15 ans,
qui concluait notamment en se
qualifiant elle aussi, d’être
une oubliée de la crise : « Avoir
16 ans, tu ne peux pas reporter
ça. » Hey bien ma chère
Élizabeth, je compatis avec toi.
Surtout, je te dirais qu’à
l’inverse, j’ai 61 ans, tu ne
peux pas aussi, reporter ça.
Pour nous les « Baby Boomers »
gâtés du siècle précédent, il
reste pas mal moins d’années
qu’il en restait. Alors, on ne
veut pas les gaspiller.
Mais je suis sensible à ta
cause, Élizabeth, n’ai-je pas
publié une chronique le 1er avril
2020 intitulée : « COVID-19
et confinement, avons-nous
oublié nos ados? ».
Si de mon humble perchoir, j’ai
alors pu percevoir qu’il n’y
avait rien pour vous, je
persiste à croire que si
plusieurs ont pu voir votre
situation, il y a eu peu
d’action vous concernant, pour
vous qui n’êtes finalement que
l’avenir de la nation. Ceux et
celles qui nous soigneront dans
10, 15 ou 20 ans. Avons-nous
trop mis de ressources dans le
passé de la nation au détriment
de son avenir? La question peut
paraître ignoble; chacun jugera.
Promenade pandémique
C’est en prenant ma marche où
j’ai croisé 2 ados en « skateboard »
en pleine après-midi de ce
milieu de semaine, que j’ai eu
l’idée de cette chronique. Non
pas qu’ils me semblaient comme
des âmes errantes ou que je ne
n’aime pas la planche à
roulettes comme on l’appelait
dans le temps. Je me suis
simplement dit en pensant à ces
milliers d’ados québécois
oisifs : « Quel gâchis »;
ce n’est pas péjoratif ni
paternaliste de l’écrire. Là, ce
que l’adulte vient de dire aux
ados québécois, qui seront un
jour parent à leur tour, c’est :
« Tsé veut dire, l’école,
kosse ça donne? Va douhors. Le
skate, c’est la liberté et
l’école de la vie ».
On répète souvent comme un
cliché que l’école, surtout au
secondaire, est l’un des moments
parmi les plus intéressants et
importants de notre vie; une
époque charnière. Cela a été le
cas pour moi, qui pensait que
Tracy était le centre de
l’Univers autour duquel tout
tournait; et que la 30 qui
arrêtait au Chemin du Golf à
l’époque, menait simplement au
néant en nous entraînant dans
une chute vertigineuse comme si
la Terre-Tracy était plate.
Les psychologues, pédagogues et
autres logues le confirmeraient,
l’école, c’est plus qu’une
formation générale, c’est aussi
là où se forge le système de
valeurs du jeune adulte en
devenir. Dans le grand ratage
pandémique 2020 de l’école
secondaire publique québécoise,
une majorité de jeunes
adolescents québécois viennent
donc d’apprendre qu’il n’est pas
important de finir la « job ».
Pourtant, en milieu
professionnel, c’est une qualité
essentielle de finir ses
dossiers, de clore un projet
selon les règles de l’art ou que
la procrastination est souvent
coûteuse. Dans le milieu
professionnel ou pour terminer
des études universitaires, il
faut avoir du souffle. Mais
l’État vient de faire savoir aux
adolescents québécois qu’on peut
arrêter le marathon avant la
fin, médaille incluse accrochée
au cou. C’est indécent.
Ces jeunes viennent d’apprendre
qu’il n’est pas nécessaire de
faire d’effort et que le
résultat sera toujours là. Ils
passeront à l’étape suivante,
gratos, et pour ceux en
secondaire V, sans le stress des
examens de fin d’année. Ne
l’oublions pas, ce stress a
surtout des vertus
d’apprentissage en vue
d’affronter les aléas de la vie
professionnelle. Parce que ne
nous trompons pas, celle-ci ne
fait pas dans la dentelle et te
renvoi presque toujours à ta
valeur réelle.
Ce message que l’école, ce n’est
pas important est d’autant plus
désolant quand on sait que le
Bulletin des écoles secondaires
du Québec 2019
de l’Institut Fraser place
l’École secondaire
Fernand-Lefebvre en termes de
performance académique en 434e place
sur 463 écoles au Québec. Je
sais, plus on sous performe,
plus on trouve toujours toutes
sortes de défauts à ce genre de
classement, surtout à la
Commission scolaire de
Sorel-Tracy dont c'est une
spécialité. Il y a donc ici,
réel danger de décrochage
scolaire quand on sait qu’il est
de
22 à 23 % pour les garçons et de
12 à 13 % pour les filles.
Si tel est le cas, imaginez ce
que sont ces pourcentages dans
la région de Saurel.
S’il y a un mot qui me revient
toujours à la mémoire de mes
années de secondaire à Bernard-Gariépy,
c’est « rigueur ».
À ma grande honte cependant, je
n’en ai pas saisi le sens
immédiatement. Cela m’est venu
des années plus tard, au début
de ma carrière professionnelle
quand j’ai compris que la
rigueur était plus qu’un gage de
succès, mais un tremplin pour
augmenter ma crédibilité. Cette
rigueur, du moins son éveil à ma
conscience, je la dois à
M. Richard Joly, alors
professeur de mathématique en
secondaire 3 et 4. Je le
remercie, sans oublier tous ces
autres professeurs qui ont
façonné mon parcours académique.
Je suis convaincu que la rigueur
est encore enseignée
aujourd’hui. Mais la concernant,
quel est le message que l’État
envoie aujourd’hui à nos
adolescents quand elle tire la « ploye »
subitement, sans offrir de
solution alternative
probante, un adjectif à la
mode dans le monde de
l’Éducation.
Apprendre, c’est forcer et c’est
en forçant que l’on forge le
caractère. C’est forçant dans
l’instant et dans la durée
d’acquérir des connaissances,
surtout si comme pour la
majorité des adolescents et des
gens en général, vous n’êtes pas
un surdoué. Apprendre demande
donc de la discipline et de
l’abnégation sur une longue
période. Mettre fin à l’école
secondaire surtout publique,
dans les conditions que l’on
connaît, était la pire des
choses à faire et l’État l’a
fait. C’est d’une totale
désolation.
Certes, pour l’ensemble de cette
œuvre catastrophique, il y a
aussi de belles histoires
pédagogiques comme « L'école
du garage de Monsieur David »
sans oublier ces milliers de
professeurs de partout au Québec
qui se demande comment faire
pour « vaincre le système »
et aider nos ados. Comme le
disait le célèbre Edward Deming,
spécialiste de la gestion de la
qualité (de mémoire) : « Ne
jetez jamais le blâme sur les
employés, regardez toujours du
côté des patrons et des
décideurs ».
L’École doit servir à inculquer
des valeurs de
responsabilisation à nos
enfants. Elle doit aussi
enseigner la nature du concept
d’obligation, envers soi-même et
les autres. Abandonner en cours
de route certains ados comme
vient de le faire l’État et son
monstre bureaucratique de
ministère de l’Éducation est une
très mauvaise leçon de vie. Elle
indique simplement que l’on peut
laisser tomber à tout moment et
que ce n’est pas réellement
grave. Surtout, l’école publique
québécoise indique que comme
lieu de formation générale de
l’individu et de construction de
la personnalité, elle n’est pas
un joueur de premier plan.
L’État québécois n’était pas là,
dans l’adversité, au moment le
plus important de la vie de nos
adolescents.
En terminant, laissons le mot de
la fin au journaliste américain
Sydney J. Harris (1917-1986) :
« Le but de l’éducation est
de transformer les miroirs en
fenêtres. »
Jocelyn Daneau,
isolé dont la vie est un éternel
apprentissage,
jocelyndaneau@gmail.com |