Apprendre à
mourir à l’ère du COVID-19
Le titre de cette chronique
pourrait être celui d’un nouveau
cours, facultatif à l’éducation
aux adultes ou obligatoire dans
le cadre d’une démarche de
préparation à la retraite. Parce
que plus je prends connaissance
des reportages dans les médias
sur le quotidien du courageux
personnel en CHSLD, plus j’ai
l’impression de regarder les
épisodes d’une série télévisée
d’anticipation, sur ce qui
pourrait m’arriver à partir de
maintenant. En fait, l’équation
est simple, la fin est connue et
l’intrigue accessoire : CHSLD
= mouroir.
Puisque c’est un sujet
d’actualité 7 jours sur 7 où à
chaque 13 h., on nous ramène un
nouveau bilan quotidien de
mortalité, comme pour les côtes
de la bourse sur le TSX de
Toronto. Parlons donc de mort,
en l’occurrence de la mienne. Ça
pourrait aussi être la vôtre.
Première expérience de ma mort
Elle est arrivée voilà quelques
années sans crier gare, lorsque
l’on m’a retiré la vésicule
biliaire, ici à l’Hôtel-Dieu de
Saurel. Opération maîtrisée
depuis longtemps par les
chirurgiens, qui s’est très bien
déroulée, elle se fait sous
anesthésie générale c.-à-d. dans
un état de « black out »
total. Mais contrairement à la
mort, l’anesthésiste te
réveille. Ce que ne peut pas
faire ou ne veut pas faire, ce
Dieu abstrait et inexistant que
des millions d’Hommes et de
Femmes vénèrent, sous
différentes déclinaisons depuis
des millénaires.
L’anesthésie, c’est comme la
mort. Un instant, tu y es… et tu
n’y es plus, dans le même
intervalle de temps; sans
conscience que tu es passé d’un
état de veille au noir le plus
absolu, sans savoir et le
comprendre. Subitement, après un
temps sans temporalité, tu te
réveilles ailleurs en te
demandant dans l’instant, quand
l’opération va commencer. Elle
est déjà réalisée, comme si on
se réveillait dans une autre
dimension.
La mort, c’est comme
l’anesthésie, mais tu ne te
réveilles pas. Il ne se passe
rien dans l’instant, dans le
suivant et tu ne sais pas que tu
es dans rien, pour toujours;
parce que quand vient le rien,
c’est le néant absolu. Alors, la
grande question, sans égard à la
souffrance qui peut
l’accompagner, pourquoi avoir
peur de la mort? Pourquoi avoir
peur d’un rien, dont tu ne sais
rien et qui se résume à rien?
La mort, seule fatalité de la
vie, en est l’aboutissement
extrême. Quand on vous dit que
ce n’est pas négociable, il y a
toujours un espoir, même
infinitésimal d’améliorer les
choses. Pour ce qui de la mort,
elle ne négocie pas. Même quand
on vit sur du temps emprunté, le
résultat de la négociation est
connu. En fait, la mort c’est la
seule certitude humaine.
D’ailleurs, dormir chaque jour
et malgré les rêves, n’est-ce
pas comme on le répète,
l’apprentissage de la mort?
C’est le grand philosophe de
l’Antiquité, Plutarque (46-125),
qui disait que « Dormir et
mort sont frères jumeaux ».
Seconde expérience de ma mort
C’est maintenant chaque jour. À
l’époque prépandémie, ouvrir la
télévision, la radio, internet,
etc., c’était selon nos
intérêts, y côtoyer la mort en
direct. Comme à la guerre au
Yémen, une famine en Afrique, le
désœuvrement en Haïti ou suite à
une bombe dans un marché de
Kaboul en Afghanistan, ce sont
des morts d’ailleurs. Ce sont
les autres. Cette violence,
c’est un virus des autres
contrés et nous nous
réconfortons en pensant à tort,
que ces gens sont vaccinés ou
immunisés collectivement contre
ces maux. Nous, on s’en va au
Costco ou à Saint-Bruno.
Mais si à Saurel, la mort n’est
pas en direct dans un de nos
CHSLD ou dans l’une de nos
nombreuses maisons de retraite,
elle est dorénavant assez
proche. Elle est sur nos
différents écrans en continu et
en haute définition, assez pour
susciter physiologiquement la
peur; nous qui vivons maintenant
notre vie, presque 24/24, 7/7 en
regardant du 16/9.
Concrètement, l’espérance
de vie au Québec
est présentement de 80,6 ans
pour les hommes et de 84,5 pour
les femmes. Je ne veux pas
vivre et mourir dans un CHSLD
aux mains d’inconnus, si bien
intentionnés soient-ils.
Parce que ne nous cachons pas la
tête dans le sable, les CHSLD
ont été pensés comme des
terminus de la vie pour société
civilisée. Présentement, à
regarder le taux stratosphérique
de mort par 100 000 habitants au
Québec, lequel nous place dans
le peloton de tête des pays dits
civilisés, j’ai plutôt
l’impression que c’est
l’illustration de l’échec du
modèle québécois; celui qui tire
partout dans toutes les
directions, à force de vouloir
se mêler de toutes les phases de
notre vie et qui en bout de
piste, n’atteint aucune cible.
Ainsi, avec la narration
quotidienne de l’expérience en
CHSLD et surtout de toutes ces
histoires d’horreur, j’ai
l’impression de vivre par
anticipation, les dernières
années de ce que pourrait être
ma fin de vie. Certes, la mort
est un acte solitaire et ultime
qu’un jour il faut affronter;
mais mourir dans l’indignité
comme plusieurs présentement,
n’est pas digne de nos
prétentions comme société.
Je me fais donc un scénario
nettement plus rose bonbon de ma
mort et je le vis
confortablement dans le déni.
La banalité de la mort
Comme nous tous, François
Legault a le droit à ses états
d’âme, surtout dans le présent
contexte où chaque jour est un
défi; où la prise de décision se
fait publiquement en mode
apprentissage. Je l’écoutais
donc en ce 30 avril 2020,
débiter mécaniquement les
derniers chiffres de la
pandémie : décès, cas confirmés,
hospitalisation, etc. Nous
sommes rendus des habitués de la
mort.
Une trentaine de morts dans un
CHSLD, c’est devenu un fait
divers, une statistique. Et
comme pour tout fait divers,
dans le genre de la rubrique des
chiens écrasés, nous en sommes
devenus émotionnellement
déconnectés.
Certains pourront faire le
parallèle avec le concept de
banalité du mal
véhiculé par la philosophe Anna
Arendt (1906-1975). Vous avez
raison. Cependant, de grâce,
n’associez pas le présent
contexte à celui décrit par
Arendt. Mais il n’en demeure pas
moins que la mort dans les CHSLD,
n’a plus rien d’extraordinaire
et devient notre pain quotidien;
où notre moral ou ce que nous
pensions être notre moral est en
suspens.
Droit à mourir dans le respect
de notre autonomie
Suggestion de lecture : « La
vie, à quel prix? »
(Le Soleil, 2015). Je vous en
cite un extrait : « Nos
succès médicaux ont parfois un
envers tragique : nous empêchons
quelqu'un de mourir sans
vraiment lui redonner la vie. »
A priori, sachant que la durée
moyenne d’un séjour dans un
CHSLD varierait entre 485 et
838 jours, est-ce que j’aurai le
goût de passer cette période,
potentiellement les derniers
moments de ma vie, dans des
conditions que je n’aurais
normalement pas acceptées? En ce
qui me concerne, posez la
question, c’est y répondre, dans
l’état actuel de ma réflexion.
À la lumière de la situation
dans les CHSLD et considérant
tout le débat entourant les
différentes interprétations et
usages de la loi 52 concernant
les soins en fin de vie,
communément appelé Mourir dans
la dignité, serait-il approprié
d’y introduire un volet
concernant « Le droit au
suicide assisté et à
l'euthanasie »? Je le crois.
Jocelyn Daneau,
isolé et aimant la vie,
jocelyndaneau@gmail.com |