Elle
savait !
Andrée
Caron, sa sœur Danièle, Louise
Lacharité et moi-même.
J’écoutais sans comprendre.
Un jour, ma belle Pasquale m’a
glissé à l’oreille combien
l’état de solitude l’avait
envahie lors de la réalisation
de son unique marathon à Ottawa.
Je ne la connaissais pas à cette
époque. Elle tentait de
m’expliquer les sentiments
ressentis, l’euphorie évaporée à
cause de l’heure tardive de son
arrivée.
J’ai compris lors de mon dernier
marathon ce qu’elle voulait me
signifier.
Il y a deux ans, à l’occasion
d’une entrevue pour RDS, je
découvrais le monde de Danièle
Caron. Elle courait mais surtout
débutait sa période de rémission
suite à un cancer. Juste avant
de la quitter, elle osa me le
demander : « Si jamais un jour,
je décide de courir un marathon,
m’accompagnerais-tu ? Réponse
affirmative immédiate dans le
plaisir car j’adore ce genre de
privilège.
En janvier dernier, je reçois un
message de sa part qui m’apprend
qu’elle vient de s’inscrire au
marathon du Petit Train du Nord.
Quoi ? Je suis déjà inscrit à
Québec depuis quelques mois et
cet événement se déroule le
dimanche précédent. Advienne que
pourra ! Je ne peux refuser.
Deux marathons en une semaine,
une première pour moi qui ajoute
un brin d’inquiétude. Mais, je
saurai bien m’ajuster.
Danièle m’informe que sa sœur
Andrée, solidaire à la cause,
sera aussi de la partie. Les
deux vivront une première. Une
amie, Louise Lacharité se
joindra également à nous.
Celle-ci va courir son 2e
marathon.
Yeah ! Courir en compagnie de
trois femmes, c’est qui le
chanceux ?
Andrée et
Louise. Danièle est cachée par
mon bras.
À quelques minutes du départ, la
nervosité se veut palpable. Je
m’en attendais. Sagement, nous
amorçons. Or, vers le 12e km,
Danièle s’accroche
malencontreusement le pied sur
une roche qui dépasse, en plein
centre de la piste. Elle chute
violemment. Je croyais qu’elle
ne se relèverait pas. « Je me
suis vue tomber. Ce fut étrange
comme sensation. Je viens de
tester solidement mon
ostéoporose », me lance-t-elle,
sourire en coin. Ouf !
Heureusement, aucun dommage
grâce à l’ange qui la talonnait.
Disons que l’on se serait bien
passé de cette séquence !
Tout se déroule sans anicroche
jusqu’à partir du 20e km où
graduellement, les petits bobos
font surface. Andrée tousse car
elle combat une vilaine grippe.
Elle tente de faire fi de ce
handicap mais la fatigue viendra
la ronger hypocritement.
Danièle reconnaîtra après le
marathon qu’à partir du 19e km,
elle ne pensait pas pouvoir
terminer, ce qui ajoute à cette
dose de courage et de
détermination.
À plusieurs reprises, nous
prenons des pauses pour marcher.
Il le faut. Dans les 12 derniers
kilomètres, c’est différent car
l’acide lactique fait son œuvre.
« Je pense à ma petite Clarisse.
Elle sera fière de moi »,
exprime Danièle. Clarisse, c’est
sa petite fille, une bouée sur
laquelle elle s’appuiera pour
traverser la zone de destruction
massive qu’elle s’apprête à
vivre.
De son côté, Louise accomplit un
travail remarquable, émettant
les phrases d’encouragement
appropriées qui sauront
éventuellement rapporter des
dividendes. Chapeau Louise ! Ton
amie s’en souviendra pour le
reste de son existence.
Malgré l’enfer qu’elles vivent,
elles n’osent pas arrêter dans
l’ultime portion. Je suis
impressionné. Je vis des moments
exceptionnels et exaltants. Je
les vois s’accrocher à la vie, à
leur défi. Je suis ému, ébranlé.
Plus nous approchons de
l’arrivée, plus le témoignage de
Pasquale dont je vous parlais en
introduction, prend forme et
vient me hanter. Quel sera
l’accueil ?
Que cela ne tienne, elles ne
réaliseront rien, tellement
elles pataugent dans une
apothéose inattendue. Il n’y a
pas si longtemps, elles
croyaient cet exploit
irréalisable.
Le reste appartient à
l’imaginaire, l’étape où le
cerveau laisse ses empreintes,
une sensation qui leur
appartient, un feeling tellement
personnel que l’on ne doit pas
déranger.
Le mari de Danièle l’attend à
l’arrivée depuis des lunes. Je
le vois trembloter de nervosité.
Peu expressif, la fierté détale.
Il sort une bouteille de
champagne pour célébrer. Danièle
l’a achetée avant le marathon.
Il est écrit Victoire sur la
bouteille.
Elle savait qu’elle le
terminerait finalement. Danièle
n’abandonne jamais ses combats.
On parle d’une battante et sa
maladie lui aura servi, à
quelque part, de tremplin vers
l’accomplissement d’un 42km.
Plus jamais, déclarent Danièle
et Andrée pour s’inscrire dans
une prochaine péripétie
similaire. Mais attendez ! Vous
verrez bien lorsque vous
recevrez la visite de ce
personnage qui viendra
chatouiller votre esprit. On ne
lui pousse pas dans le dos à ce
type, de sorte qu’il choisit son
moment opportun pour intervenir.
Alors là, vous serez réellement
en mesure de trancher.
Bravo les filles ! Je suis
encore bouleversé.
Statistiques de mon 91e marathon
Temps : 5h23
Classement général : 1445 sur
1476
Catégorie d’âge : 123 sur 126
Daniel Lequin
danielmedaille@hotmail.com
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