Ouvrez
le Feu !
Le
Coefficient d'inconduite automobile des résidants de mon pays
Brève
réflexion portant sur la sécurité routière au Québec. Il
s’agit ici de la version originale d’un texte publié
initialement dans les Combats (http://combats.Qc.ca/)
de l’hiver 1997 (Vol. II, # 2), consécutivement à sa présentation
(sous un format légèrement modifié) en Commission parlementaire
l’année précédente auprès de l’Assemblée nationale du Québec.
Si certains éléments factuels ont changé ou évolué depuis lors,
l’essentiel du propos demeure hélas! rigoureusement d’actualité.
[NdA, Juin ‘03]
Ainsi donc, je
m'attarderai au coefficient d'inconduite automobile des résidants de mon pays.
Tout
d’abord, et d’entrée de jeu, il semble qu'on ne sache pas bien
les vertus des phares
allumés en permanence.
Bien que les chiffres aient démontré hors de tout doute le caractère
sécuritaire de cette pratique, la majorité des automobilistes
reste saisie dans cet atavisme selon lequel on éploie « naturellement »
les feux strictement à la tombée de la nuit. On n’aura de cesse
de s'étonner que l'on ne comprenne pas que l'utilité
de ceux-ci réside avant tout dans la meilleure visibilité que l'on
offre à l'autre, bien plutôt – et plus tôt – que dans celle
qui est de mieux voir devant soi (ce qui en l'occurrence n'est
évident, bien sûr, que dans les heures de réelle obscurité).
En
outre, il est désarmant de constater que les journées grises,
pluvieuses, bruineuses, brumeuses ou neigeuses – alors que la
visibilité s'amenuise et que vitres et pare-brise sont souvent embués
– n'aient pas même l'incidence de provoquer le réflexe du phare
chez les conducteurs. Et ne parlons pas des feux morts arrière :
en ces conditions la voiture devient littéralement invisible, a
fortiori la blanche dans une tempête de neige, la platine dans
le morne crachin, et enfin la sombre... à la brunante sinon dans la
nuit.
Depuis
plusieurs années, la loi oblige les fabricants d'automobiles à intégrer
le système du phare plein jour. Or qu'attendons-nous, à titre
personnel, pour mettre en application cette disposition au volant de
nos « vieux » tacots? Mais encore faudrait-il au départ
que les « pros » de la route (camionneurs, livreurs,
conducteurs de taxi et d'autobus, publics ou scolaires [hélas
oui!], et enfin les ...policiers eux-mêmes) se convainquent de la
pertinence de la procédure. C'est tout de même étonnant, en ce
dernier cas, de devoir rappeler aux garants de la sécurité la sécurité
même§.
D'autre
part, je dois considérer que le « conducteur automobile type »
se révèle de façon générale un individu dangereux, sinon carrément
un chauffard. C'est à se demander ce qu'on enseigne dans les écoles
de conduite. Vraisemblablement, les « «« clignotants »» »
sont considérés
comme des ampoules que l'on fait scintiller occasionnellement, comme
à la Noël. Également, c'est à croire que les rétroviseurs
(au nombre de trois sur la plupart des véhicules) ne sont que des
avatars inutiles de l'engin roulant.
Les
différents corps de police du Québec semblent obnubilés par
l'infraction de vitesse, comme si cet excès était la plus
importante voire la seule infraction au Code de la route. Or combien
de fois évite-t-on l'accident (moins par vitesse que) de justesse
consécutivement à ces manquements, inconciliables avec une
conduite automobile minimalement sécuritaire? Combien de fois, par
exemple, doit-on freiner brutalement, sinon braquer vers
l'accotement, pour éviter le gonze ayant décidé sans crier gare
de changer de corridor ou de le quitter (même vers la gauche :
tantôt pour doubler, tantôt pour emprunter une voie
perpendiculaire et ainsi entraver abruptement la circulation en sens
inverse)?
Le
plus souvent, celui-ci ne se soucie guère qu'un autre véhicule
puisse le talonner d'assez près. Et je dois en cela récidiver à
l'endroit des gens d'armes : « Les clignotants,
j'connais pas », m'apparaît être leur lot tout autant
que celui des civils. À quand les contraventions aux agents de
la « paix »? Aussi je maintiens que rouler à 140
km/hre sur les autoroutes (en milieu urbain, c'est autre chose)
serait au demeurant beaucoup plus sécuritaire que de conduire à
100 de la manière dont on procède actuellement. Ce
n'est pas la vitesse qui tue, d'abord et en priorité – pas
plus d'ailleurs que la neige ou Piaf à tue-tête dans l'habitacle. C'est
l'incompétence.
Appel
à la Société d'assurance automobile (SAAQ)
ainsi
qu’au ministre des transports du Québec
Des
centaines de vies détruites et brisées rejoignent chaque année au
Québec le Styx des victimes du bitume mangeur d'hommes. Des
millions, voire des milliards de dollars sont engloutis dans les coûts
de ces combats de ferraille. Alors, de grâce, qu'attendez-vous pour
éduquer le public et lui révéler en miroir (comme on le fit pour
l'alcool) son insouciance meurtrière? Un léger investissement dans
la démonstration – adossée sur une nouvelle législation – de
la double nécessité d'utiliser systématiquement les clignotants
et d’« ouvrir tous les feux », avant et arrière, en
tout temps, quelles que soient les conditions climatiques (et de façon
plus suggestive, incidemment, que ne l'a fait la SAAQ il y a
quelques années concernant les phares), n'aurait-il pas comme effet
d'apaiser substantiellement la tragédie quotidienne, rôdant tel un
spectre sur les voies carrossables du pays? Une société capable de
pareilles économies, de vies et d'argent, et ce au prix d'une
simple discipline partagée et d'un tout petit peu d'intelligence :
non mais! quelle aubaine fabuleuse que ce serait tout de même.
Je termine en
signalant quatre éléments ponctuels.
Tout
d'abord, a) l'inapplication de la réglementation de la pratique
du vélo. C'est un véritable fléau – presque du suicide –
que de circuler en soirée sans feux ni même réflecteurs ou
catadioptres. Par ailleurs, b) il est tout à fait inadmissible de
tolérer sur nos routes des camions semi-remorques de 20 ou
24 roues conduits par des torpides (disons les choses) qui ne
comprennent pas du tout qu'ils ne sont pas – dansant à toute
vitesse d'une voie à l'autre, mais surtout sur la gauche comme pour
mieux par antilogie freiner la circulation – au volant d'une trois
chevaux. D'autre part, c) quelle est donc cette habitude égocentrée
de tout un chacun d'obstruer systématiquement les voies
transversales lorsque nous sommes en position d'arrêt
provisoire, dans une file : doit-on imposer « son »
propre feu rouge 360°
à la ronde? Enfin, d) laissons aux personnes handicapées
(ou à mobilité réduite), élémentaire ce me semble, les espaces
qui leur sont spécifiquement réservés.
La
société entière serait indignée, et à raison, qu'on laisse des
pistolets chargés entre les mains d'un enfant. C'est pourtant
exactement ce que nous faisons. En effet, l'automobile (que Toyota
associait même à l'amour, rien de moins, dans une publicité pas
si lointaine) est vue essentiellement comme un jouet, alors que
c'est aussi une arme. Une arme qui tue.
La désolation
ultime, c'est que si on ne trouve pas trace d'alcool sur les lieux
du « crime », il n'y a pas de coupable.
Régime
de la pléonasmocratie.
Un
irresponsable n'est responsable de rien.
JLG
1997
/
2003