« En passant... » --- Textes de Jean-Paul Lanouette

Travail au gris

Homme « louable » à vendre…

Vivant modestement et exclusivement de ma plume en qualité de traducteur réviseur, sans jamais me poser de questions triviales sur la nature de mes fins de mois, je me trouvai fort dépourvu quand la crise fut venue au sein de la boîte qui m’emploie depuis plus d’un quart de siècle.

Devenu en quelque sorte un anachronisme sur pied dans un organisme qui se veut et se clame voué à la « jeunesse », il me faut songer à gagner ma croûte ailleurs et… autrement. Pas évident, d'autant moins que je ne carbure ni à l'argent ni au pouvoir : mes ambitions se situent à un autre niveau – « probablement dans une autre dimension », opineront certains moqueurs. Tant mieux! pour mon moral et ma santé mentale, mais hélas! pour mon portefeuille!

Dans’vie – et encore plus dans le beau monde des communications –, l’important, ce n’est pas ce qu’on connaît, mais qui l’on connaît, pas vrai? Comme je ne suis pas du genre « socheul » (social prononcé à l'anglaise), que je ne connais personne capable de me pistonner… ou disposé à le faire, je ne peux même pas m’essayer au name-dropping (lâcher des noms dans un salon)…

Le gris : tout à fait out?

Je ne suis pas sans me douter que mon âge canonique (55 ans bien sonnés, c’est en effet un âge que l’on peut aisément qualifier de « trop » respectable dans un monde du travail où le « gris » est mal perçu, quasi out – n’y a-t-il pas tout un marché, fort lucratif, pour les teintures, moumoutes et autres greffes?), je sais fort bien, disais-je donc, que mon grand âge joue en ma défaveur…

Que faire? Rester à la maison et grossir les rangs déjà fort bien garnis des traducteurs pigistes? En désespoir de cause seulement, car, pour vous étouffer une créativité galopante comme la mienne, il n’y a rien de mieux qu’une série de modes d’emploi, de rapports financiers ou d'exposés pseudo-scientifiques à faire passer – à coups de dictionnaires techniques – de la langue de Shakespeare à celle de Molière! Croyez-moi, ça vous nécrose la folie douce et vous assèche l'encre vive dans le temps de l'écrire, ce genre de charabia si souvent servi sur papier glacé chèrement recyclé. 

Non mais, j'y songe : y’a pas que l’écriture pour mettre du beurre sur les toasts de sa famille! Au dire de ma tendre moitié, et aussi de certaines compagnes de travail fort compatissantes – dont la vue fléchissante déforme sans doute les détails « intéressants » au point de les gommer –, au dire même de petits messieurs à l’esprit ouvert (?!?), j’ai  toujours de beaux restes.

Ainsi donc, « un coup mal pris », je pourrais presque me résoudre à « vendre mon corps », c’est-à-dire aller faire le « gogo-boy » – oups! disons plutôt le « gogo-papi » – sur un stage de province… devant des représentantes du beau sexe (en passant, on ne parle plus de sexe « faible » que pour décrire l’appendice mâle qui a besoin de Viagra pour s'exprimer, c'est-à-dire redevenir « pleinement » opérationnel). 

Si, au moins, j’étais encore en âge de monnayer mes charmes, j’dis pas! Or, à 55 piges bien comptées, je ne me vois guère – ni n’ose davantage m’imaginer – en train de m'« exécuter » (lire : me trémousser le popotin dans le plus simple appareil) devant un large éventail de spectatrices capricieuses : de la minette en manque de père ou craquant pour le « gris intégral » à la gente dame à l’œil inquisiteur, en passant par la poupoune liftée du faciès, collagénée de la lippe ou siliconée du poitrail, sans oublier la bourgeoise égarée en mal de petites sensations coupables…   

Le derviche ivre

Non! je ne me vois vraiment pas… m’appliquer, comme ces gigolos imberbes aux muscles gonflés à l'hélium, à faire des effets de bassin en même temps que des jeux de lèvres ou de prunelles bien étudiés, tout en tournoyant tel un derviche ivre, ouais! comme un ridicule, voire pathétique pantin désarticulé… autour d’un poteau métallique auquel je me retiendrais inélégamment par un seul bras. Vous voyez le « portrait » d'ici? Ployant sous le poids des ans, voici « performer » l'Adonis de jadis… devenu un Clovis à bretelles sans autre vice apparent que celui dit « de forme » qui se manifeste inéluctablement avec l'âge. On n'est pas loin du freak show, messieurs-dames!

Décidément, je serais bien inspiré de m’en tenir à la plume, je veux dire au clavier d’ordinateur, non?   

Jean-Paul Lanouette
homme de mots
jplanouette@sympatico.ca

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