Travail
au gris
Homme
« louable » à vendre…
Vivant
modestement et exclusivement de ma plume en qualité de traducteur réviseur,
sans jamais me poser de questions triviales sur la nature de mes
fins de mois, je
me trouvai fort dépourvu quand la crise fut venue au sein
de la boîte qui m’emploie depuis plus d’un quart de siècle.
Devenu
en quelque sorte un anachronisme sur pied dans un organisme qui se veut et se clame voué
à la « jeunesse », il me faut songer à gagner ma croûte
ailleurs et… autrement. Pas évident, d'autant moins que je ne
carbure ni à l'argent ni au pouvoir : mes ambitions se situent à
un autre niveau – « probablement dans une autre dimension »,
opineront certains moqueurs. Tant mieux! pour mon moral et ma santé mentale, mais hélas!
pour mon portefeuille!
Dans’vie
– et encore plus dans le beau monde des communications –,
l’important, ce n’est pas ce qu’on connaît, mais qui
l’on connaît, pas vrai? Comme je ne suis pas du genre
« socheul » (social prononcé à l'anglaise), que je ne
connais personne capable de me pistonner… ou disposé à le faire,
je ne peux même pas m’essayer au name-dropping
(lâcher des noms dans un salon)…
Le
gris : tout à fait out?
Je
ne suis pas sans me douter que mon âge canonique (55 ans bien sonnés,
c’est en effet un âge que l’on peut aisément qualifier de
« trop » respectable dans un monde du travail où le
« gris » est mal perçu, quasi out
– n’y a-t-il pas tout un marché, fort lucratif, pour les
teintures, moumoutes et autres greffes?), je sais fort bien,
disais-je donc, que mon grand âge joue en ma défaveur…
Que
faire? Rester à la maison et grossir les rangs déjà fort bien
garnis des traducteurs pigistes? En désespoir de cause seulement,
car, pour vous étouffer une créativité galopante comme la mienne,
il n’y a rien de mieux qu’une série de modes
d’emploi, de rapports
financiers ou d'exposés
pseudo-scientifiques à faire passer – à coups de
dictionnaires techniques – de la langue de Shakespeare à celle de
Molière! Croyez-moi, ça vous nécrose la folie douce et vous assèche
l'encre vive dans le temps de l'écrire, ce genre de charabia si
souvent servi sur papier glacé chèrement recyclé.
Non
mais, j'y songe : y’a pas que l’écriture pour mettre du
beurre sur les toasts de sa famille! Au dire de ma tendre moitié,
et aussi de certaines compagnes de travail fort compatissantes –
dont la vue fléchissante déforme sans doute les détails « intéressants »
au point de les gommer –, au dire même de petits messieurs à
l’esprit ouvert (?!?), j’ai toujours de beaux restes.
Ainsi
donc, « un coup mal pris », je pourrais presque me résoudre
à « vendre mon corps », c’est-à-dire aller faire le
« gogo-boy » – oups! disons plutôt le « gogo-papi »
– sur un stage de
province… devant des représentantes du beau sexe (en passant, on
ne parle plus de sexe « faible » que pour décrire
l’appendice mâle qui a besoin de Viagra
pour s'exprimer, c'est-à-dire redevenir « pleinement »
opérationnel).
Si,
au moins, j’étais encore en âge de monnayer mes charmes, j’dis
pas! Or, à 55 piges bien comptées, je ne me vois guère – ni
n’ose davantage m’imaginer – en train de m'« exécuter »
(lire : me trémousser le popotin dans le plus simple appareil)
devant un large éventail de spectatrices capricieuses : de la
minette en manque de père ou craquant pour le « gris intégral »
à la gente dame à l’œil inquisiteur, en passant par la poupoune
liftée du faciès, collagénée de la lippe ou siliconée du
poitrail, sans oublier la bourgeoise égarée en mal de petites
sensations coupables…
Le
derviche ivre
Non!
je ne me vois vraiment pas… m’appliquer, comme ces gigolos
imberbes aux muscles gonflés à l'hélium, à faire des effets de
bassin en même temps que des jeux de lèvres ou de prunelles bien
étudiés, tout en tournoyant tel un derviche ivre, ouais! comme un
ridicule, voire pathétique pantin désarticulé… autour d’un
poteau métallique auquel je me retiendrais inélégamment par un
seul bras. Vous voyez le « portrait » d'ici?
Ployant sous le poids des ans, voici « performer »
l'Adonis de jadis… devenu un Clovis à bretelles sans autre vice
apparent que celui dit « de forme » qui se manifeste inéluctablement
avec l'âge. On n'est pas loin du freak
show, messieurs-dames!
Décidément,
je serais bien inspiré de m’en tenir à la plume, je veux dire au
clavier d’ordinateur, non?