mercredi 23 février 2011
« QUESTION DE FEELING »,
une chronique de Lucie Antaya
« Chambres
quittées! Merveille des départs
que je n’ai jamais voulus
tristes. Une exaltation me vint
toujours de la possession
présente de ceci… »
(André Gide, « Les Nourritures
terrestres ».)
LES
DRAPS BRODÉS
La chambre de ce petit hôtel
était hallucinante de blancheur
et de dénuement. Un parfum
d’orchidée parvenait chaque soir
jusqu’à mon balcon exigu mais
digne avec ses arches et ses
nobles colonnes.
C’était l’éclosion de juin et sa
charge de langueur irrésistible
que traduisaient les voix
joyeuses s’élevant des rues
étroites et les airs de guitare
sur fond de percussion. Mais
surtout, il y avait le vent sur
cette île en mer chaude. Un vent
chaud de fin de soirée qui
ramenait à mes oreilles, telle
une berceuse, l’expiration
océane qui s’alanguissait sur
l’infini ruban de sable moelleux
et fin.
Je me couchai bien au chaud,
sans l’allégement de la
climatisation, afin que l’air
tropical divague à travers la
pièce, que les exhalations
végétales et marines
s’entremêlent à mes rêves. Dans
l’évanescence de mes pensées,
appesantie de sommeil, je
m’abandonnai avec la gratitude
émue de ceux qui reconnaissent
la fugacité des instants de
grâce.
Les paupières lourdes, je
scrutai paresseusement les
recoins sombres de la chambre,
ses hautes portes étroites,
l’austérité qui s’en dégageait.
En revanche, elle était pourvue
de larges fenêtres persiennes
ouvertes sur quelques
indiscrétions amoureuses ou
refermée sur ses états d’âme,
entre ses murs blancs.
Dans mon retranchement nocturne,
j’éteignis la petite lampe de
style arabe, luminaire d’un
autre temps, électrifié pour une
nécessité contemporaine.
L’empreinte de l’éclairage sous
l’abat-jour en filigrane acheva
sa fantaisie optique sous mes
paupières vaincues. Une
succession d’images désordonnées
l’emportèrent sur la pensée.
J’accédai à la nuit, calme et
consentante, étalée que j’étais
sur le reposoir de tant d’autres
abandons.
…….
Ce fut une petite chambre
tournée vers la mer.
Réconfortante comme une tendre
amitié. Une toute petite surface
dans l’univers qui me rendit
avec fidélité les luminosités
variables du jour. Habitée par
une joie douce et sans cause,
j’en remis les clés en
remerciant pour les draps
finement brodés qui parèrent mes
dernières nuitées.
(
FRAGMENTS DU SUD, recueil de
textes et nouvelles, 2006, Lucie
ANTAYA)
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