samedi 27 octobre 2012
Marché
Richelieu
Par
Jean-Pierre Bergeron
(À lire dans Le
Devoir, édition du samedi 27 et
dimanche 28 octobre 2012 en page
B4 : Référendum à Sorel.
Résistance culturelle)
Bon !
C’était mon
anniversaire ce mois-ci. J’ai
l’âge à laquelle mon père est
décédé…Le temps passe vite… je
me rappelle accompagner mon père
au Marché Richelieu…il y
achetait sa chopine de sang de
bœuf…de retour à la maison, il
se faisait dans un poêlon une
recette où se mêlait sang de
bœuf et lait et…bref, son boudin
maison qu’il était le seul à
savourer.
Et que dire de la
cueillette de denrées auprès des
maraîchers et autres marchands,
toujours avec mon père, membre
du Cercle St-Laurent et du frère
Vianney, franciscain, denrées
qui étaient ensuite distribuées
aux pauvres dans le besoin…le
village de tôle…qui s’en
souvient ? Plus tard ce fut mes
petites vues au théâtre Eden…et
des pièces de théâtre de Guy
Bélanger en autre…des chanteurs…
La maternelle
n’existant pas, on nous gardait
à la maison jusqu’à l’âge de six
ans. Que de bons moments à
jouer, flâner et vagabonder…je
passais toujours par le Marché
Richelieu les jours de semaines
pour me rendre à la traverse qui
était située tout près derrière.
Le Marché grouillait toujours
tel un perron d’église…un lieu
de rassemblement constant…une
agora. À la traverse donc, je
passais des heures à regarder
les vieux Mack de Smith
Asphalte, Sorel Asphalte et plus
tard de Lucien Lachapelle,
grignoter la pente raide de la
traverse, moteurs rugissant sur
le « bœuf », crachant leur
poumons de diésel noirâtre et
brisant à l’occasion leur essieu
arrière…un trafic incessant…le
transport de gravier était en
pleine expansion…l’essor
d’après-guerre amorçait de
nouveaux chantiers…routiers
entre autre…la croissance
économique progressait à grands
pas et de nombreuses voitures
accompagnées d’autobus scolaire
remplies de travailleurs ce
mêlèrent à ce trafic de pas de
tortue qui envahissait nos
artères.
Personne ne s’en
plaignait, car personne n’était
à la maison…les hommes au
travail, les femmes qui les
accompagnaient dans leur labeur,
en accomplissant le leur de
façon ménagère, en attente de
leur émancipation…seuls quelques
chiens se dandinaient
librement…en attendant le retour
de leur maîtres.
Mais la modernité
sonnait à notre porte, et comme
des jeunots qui pour eux, tout
ce qui ont cinq ans de plus
qu’eux sont considérés comme
vieux, on se mit à raser le
passé. L’Hôtel Saurel; l’ancien
Bureau de Poste; le couvent
St-Pierre où l’odeur des
planchers de bois craquants nous
embaumait; le Mont St-Bernard
trônant du haut de son
monticule…on chassait le
vieux…personne ne chialait mais
le Marché Richelieu nous
accueillait toujours. Ce qui le
nous rappelle, c’est qu’il est
toujours situé au cœur…du vieux…
Les temps
changent…aujourd’hui le moindre
obstacle au trafic des voitures,
du quadri-porteur permettant le
déplacement d’un ex-travailleur
de cette époque, aujourd’hui à
mobilité physique restreinte, ou
de sa survivante, jusqu’aux
transporteurs de céréales,
pourtant denrées de base,
soulèvent des tollés. Bien sûr
il y a plus de gens sur leur
balcon ou derrière leurs
fenêtres à assister à ce
cortège…et le temps qui nous
presse…nous compresse…bref…même
les chiens n’ont plus le droit
de japper.
…le Marché
Richelieu maintenant nous…
divise…certains proposent un
lifting minimal pour éviter de
reproduire le sort de l’ancienne
caserne de pompier…ou, peut-être
éventuellement de l’église
Notre-Dame…le temps toujours le
temps…qui ne conserve que ce qui
existe... d’autres, un retour à
sa vocation de lieu de
fréquentation, son environnement
immédiat le permet toujours. Et
je considère que des repères
physiques, la sauvegarde de
ceux-ci, le Marché Richelieu en
est présentement l’enjeu, est
essentielle et ce, afin de
conserver et d’alimenter les
liens intergénérationnels.
Que ce soit pour
les natifs d’ici ou pour les
nouveaux arrivants suite à un
marché immobilier décrit comme
toujours en santé…et
contrairement au propos qui me
parviennent parfois à l’oreille,
nous ne sommes pas une ville
dortoir. Le baby-boom nous a
probablement surpris (mais nous
avons politiquement et
économiquement sût en tirer
profit) …mais la vieillesse ne
le devrait pas et le nombre
d’organismes pour ainéEs, avec
leurs activités actives, leur
taux de fréquentation…et
nombreux et nombreuses de cette
clientèle qui se disent toujours
jeunes de cœur…est pour moi
rassurant…et on peut toujours en
tirer profit positivement…de
leur mémoire surtout. Pour moi,
une ville dortoir c’est
un…dortoir, comme au pensionnat
d’antan où dormir n’était que sa
seule vocation…et les mains
par-dessus les couvertures
s.v.p. Ici on dort…il ne se
passe rien…
Finalement,
l’histoire du Marché Richelieu
nous démontre à plusieurs
reprises qu’il a survécu…tel un
Phénix qui renait de ses
cendres…je souhaite ardemment
qu’il nous survive : salle de
spectacle accueillante; espace
de pratique inspirante; espace
administratif ; espace réservé à
des activités conviviales… et
pourquoi pas, sur son pourtour
comme dans les Vieux…des
caricaturistes, des musiciens
ambulants; des produits
maraîchers issus d’un plaisir
et d’un désir; et…autres
ouvertures…?!?!...
Je souhaite
ardemment que le Marché
Richelieu conserve toujours la
mémoire de ceux et celles qui y
ont cru et y croient
toujours…pour les autres, leurs
noms sera inscrit au registre du
non…
Le temps…toujours
le temps…
Jean-Pierre
Bergeron
Intervenant psychosocial (B.A.
psc); citoyen; ainé; payeur de
taxes. |