mercredi 20 avril 2016
Lettre
ouverte
Aide
sociale et assurance-emploi :
deux réformes, même logique et
même victime
par Marie-Hélène Arruda,
coordonnatrice du Mouvement
autonome et solidaire des
sans-emploi (MASSE)
En 2012, le gouvernement Harper
procédait à une réforme majeure
du programme d’assurance-emploi
dont l’un des aspects les plus
controversés était la définition
d’emploi convenable qui avait
pour effet de diviser les
chômeurs en trois catégories
(allant du « meilleur » au «
pire chômeur ») auxquelles
étaient associées un type
d’emploi que le chômeur avait
l’obligation de rechercher et
d’accepter.
Cet élément
précis de la réforme a été
vivement contesté puisqu’il
portait directement atteinte au
droit fondamental à la liberté
de choisir son travail. Au
diable tes intérêts, tes
compétences ou tes besoins
financiers, le gouvernement
t’oblige à te dénicher n’importe
quel emploi à un salaire
inférieur et pouvant être très
éloigné de ton domicile. On se
souviendra qu’en réaction, le
gouvernement du Québec dirigé
par le Parti libéral, adoptait à
l’unanimité une motion
condamnant cette réforme.
Aujourd’hui, les choses ont
changé. Alors que du côté
fédéral, le nouveau gouvernement
libéral s’engage à abroger cette
partie de la réforme, du côté
provincial, on compte imposer à
chaque nouveau demandeur d’aide
de dernier recours un traitement
tout aussi contraire au droit à
la liberté de choisir son
travail. Avec le programme
Objectif Emploi avancé dans le
projet de loi 70, le
gouvernement du Québec prévoit
obliger les primo demandeurs
d’aide sociale à suivre une
formation professionnelle.
Comment d’un côté ce même
gouvernement toujours dirigé par
le Parti libéral du Québec (seul
le chef a changé depuis) peut-il
condamner la réforme de
l’assurance-emploi et de l’autre
promouvoir un traitement
similaire sinon pire pour les
mêmes personnes. Parce que c’est
bien de personnes sans-emploi
dont on parle. Un primo
demandeur d’aide sociale, c’est
dans la plupart des cas, un
chômeur qui n’a pas eu droit à
des prestations
d’assurance-emploi ou qui les a
épuisées.
Avec tous les préjugés qui ont
cours sur les personnes
assistées sociales, on me dira
avec détermination et conviction
que ce n’est pas la même chose,
que les chômeurs eux méritent
qu’on les aide, que
l’assurance-emploi c’est un
droit qu’ils ont mérité, ce qui
n’est pas le cas des «
maudits-BS-qu’on-fait-vivre-avec-nos-taxes-et-nos-impôts
». Avec un régime
d’assurance-emploi qui ne couvre
que 40 % des chômeurs, je
rétorque qu’il faut s’attendre à
ce que plusieurs d’entre eux
aillent - non sans désespoir et
résignation - cogner aux portes
de l’aide de dernier recours.
Certains diront également que
c’est bien de suivre des
programmes de formation. Que ces
personnes devraient se réjouir
de pouvoir parfaire leur
formation. Nous y voyons deux
problèmes. D’abord, le caractère
obligatoire et punitif. La
personne sera obligée de
participer à une mesure
d’employabilité sans quoi on lui
coupera une partie de son - déjà
plus qu’insuffisant - chèque
d’aide sociale. Ensuite, c’est
tout le droit à la liberté de
choisir son travail qui est
compromis. Oui, avoir accès à
une formation choisie à laquelle
on a librement consenti peut
être intéressant, voire
souhaitable. Mais qu’on la
choisisse à notre place en
fonction des besoins du marché
et non de nos intérêts et qu’on
nous oblige à y participer sans
quoi on nous imposera des
pénalités, c’est vraiment autre
chose. Va-t-on obliger par
exemple un journaliste
sans-emploi à suivre une
formation en mécanique de
véhicules lourds ? Qu’en
sera-t-il des primo-demandeurs
plus âgés dont le marché du
travail ne veut plus; va-t-on
aller jusqu’à obliger une
personne de 60 ans à retourner
sur les bancs d’école ?
Les réformes de
l’assurance-emploi et de l’aide
sociale ont toutes deux en
commun d’utiliser les programmes
de sécurité et d’assistance
sociale comme outil de
régulation de la main-d’œuvre et
comportent un aspect
contraignant et dépossèdent les
individus de leur liberté à
choisir leur travail. Pour avoir
droit à ces programmes, qui sont
censés être des véhicules pour
permettre la réalisation du
droit à la sécurité sociale, il
faut dorénavant se conformer aux
politiques d’emploi dictées par
le gouvernement. Ainsi, c’est
non seulement le droit à la
liberté de choisir son travail
qui est compromis mais également
le droit à la sécurité sociale.
Si en 2012, l’Assemblée
nationale, en défenseur de ses
citoyens, s’est objectée contre
la réforme de l’assurance-emploi
et la notion d’emploi
convenable, pourquoi cette même
idée serait-elle plus acceptable
aujourd’hui pour les personnes à
l’aide sociale ?
Maintenant qu’Ottawa se dirige
dans la bonne direction, c’est
au tour de Québec d’être
conséquent et de suivre le pas
en renonçant à son controversé
programme Objectif Emploi.
***
Le MASSE est le plus important
regroupement d’organismes
défendant les droits des
chômeurs et chômeuses au Québec.
Il fait partie de la Coalition
Objectif Dignité s’opposant au
projet de loi 70. Le
Regroupement des chômeurs et
chômeuses de la région
Sorel-Tracy est membre du MASSE.
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