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L'opinion exprimée dans le cadre de cette chronique,
est celle de son auteur et ne reflète pas nécessairement
l'opinion, ni n'engage le SORELTRACY MAGAZINE.
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Je ne me suiciderai pas
Par Caroline Champigny


J’ai déjà porté la honte et le mal de vivre comme un serpent qui digère longuement un gros rat qui déforme son corps. Sauf que moi j’avais avalé le boulet encore attaché à ma cheville : j’étais la proie avec laquelle j’en finirais.

L’histoire

À treize ans, alors que j’étais chez ma tante en visite, ma cousine, sa fille de 17 ans, n’est pas rentrée souper.  Elle est morte en chemin dans un accident de voiture.  C’est ma mère qui a dû annoncer à sa sœur le décès de sa fille.  J’ai vu l’horreur.  J’ai décidé que j’aurais dû partir à la place de ma cousine que mon départ aurait été plus accepté que le sien.  Elle était un rayon de soleil et moi un petit rien du tout.

Plus tard, autre drame dans ma famille maternelle : mon cousin se suicide à l’âge de 23 ans alors que j’en ai 19.  Un jour, j’entends ma tante qui avait perdu sa fille dire de sa sœur dont le fils s’est suicidé : c’est pire pour moi, c’est pire un accident, car Juliette, elle, voulait vivre.

Raison de plus pour que je commette l’acte de retrancher mes jours ; ils diront de moi que je ne voulais plus de la vie. Comme remettre mon trousseau de clefs à mes parents et dire que je démissionne de la chance qu’ils m’ont donnée.

L’amour

J’ai multiplié les relations et rien ne fonctionnait. Je trouvais à chaque partenaire des défauts et les trompais. Je m’accordais trop de valeur, seule la perfection m’aurait convenue alors que j’étais loin d’être parfaite.

Pourquoi suis-je encore là ?

Alors que je faisais du mal à ceux qui m’aimaient je me demandais pourquoi continuer. J’ai décidé d’être une meilleure personne et c’est là que je me suis faite écrasée par ceux que j’aimais. Je payais pour mon passé.

Un ami bordelais avec qui je me tenais à l’université avait secoué sa cigarette et le vent avait porté les cendres à moi. Je m’étais écriée : heille tu me topes dessus ! Ce à quoi il m’avait répondu formant ainsi accidentellement une grande philosophie :
nous sommes tous le cendrier de quelqu’un d’autres. C’est vrai. Quand on est malheureux on fait du mal à ceux qui sont heureux. Quand on est heureux ont devient les victimes.

Ma tante dont le fils avait mis fin à ses jours m’a lue sur Facebook où j’écrivais que je trouvais mon utilité à écrire des hommages aux gens. Elle m’a écrit : t’apportes plus que ça aux autres.

Cette femme qui devait avoir le cœur brisé avait la force de soigner le mien. Une citation dont l’auteur est anonyme dit : concentre-toi sur ce qu’il te reste plutôt que ce que tu as perdu. C’est ce qu’elle fait : il lui reste une fille qui a deux beaux enfants.

Grâce à elle, j’ai décidé de me rendre hommage aussi. J’ai fait une liste de ce que j’apportais au monde. Pour les autres d’abord, j’ai commencé à ne plus vouloir en finir avec moi.

Mes trente ans

Lorsque j’ai eu trente ans, c’est comme si on m’avait fait un épipen de maturité. Ça m’a vite monté au cerveau : je savais exactement ce que je voulais et ce que je ne voulais plus de la vie. J’ai compris et j’ai vécu le bonheur. Le vrai. J’étais maintenant patiente et moins dépendante. Je récoltais de bonnes choses parce que je les cultivais. Je ne voulais plus mourir parce que je me disais que la suite serait heureuse.

31 ans

J’ai rencontré mon conjoint actuel qui a les mêmes défauts que plein d’autres fréquentations que j’ai eues. Sauf que lui souhaite mon bonheur. Il ne tolère pas que je pleure. Il ne s’enfuit pas quand je suis laide de larmes et de propos confus. Ça me console. Il a trouvé la solution : je ne pleure presque plus, car j'ai confiance qu’il me veut heureuse. Tous les textes de magazines et de sources pas très fiables sur Facebook qui parlent des individus manipulateurs, narcissiques, etc. reviennent à celui qui accepte ou même qui provoque ton malheur, qui accepte ta tristesse et la maintient.

Quand je parle d’un travers de notre couple à mon copain, il travaille à nous réaligner. Je fais pareil pour lui.

32 ans

Je suis tombée enceinte. Mon rêve se réalisait. J’étais prête à donner la vie parce que je la trouvais belle. Je savais que je pouvais rendre un enfant heureux; transmettre ma recette du bonheur.

Janvier 2020

Mon enfant a six mois. Fini les incertitudes d’être avec un bébé naissant tout fragile. Je me couche le soir avec une telle excitation de dormir auprès de celui que j’aime sans aucun doute et à quelques pas du nouvel amour de ma vie, notre fille. J’ai dans la tête une chanson de Jean-Pier Ferland : Je ne veux pas dormir ce soir parce que la vie est bien trop belle.

Ma guérison

Tel le serpent j’ai digéré tranquillement mon gros rat. Ma tristesse n’étant plus visible, elle n’existait plus. J’ai craché le boulet qui s’est détaché de ma cheville au même moment. J’ai fait le choix de ne plus porter mon passé; de me pardonner.

Mon conseil

Ça va bien aller pour toi. Oui là, ça ne va pas et ça fait des années que ça dure. Mais ça ne sera pas toujours comme ça. Il faut faire des changements quand ça ne va pas et ensuite, être patient. Tu ne te suicideras pas. Tes proches ne veulent pas que tu leur rendes tes clefs.

Caroline Champigny

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