Parc éolien
Pierre-de Saurel : une histoire
de train
« Les
hommes ne font jamais rien de
bon que par nécessité : là où
abonde la faculté de choisir et
où l'on a pleine licence de
conduite, tout s'emplit aussitôt
de confusion et de désordre. »
Nicolas Machiavel
(1469-1527)
Je vous livre un
secret. Je suis un naïf
professionnel. Ce qui fait que
dans ma grande naïveté, je
n’avais pas envisagé d'écrire
cette longue chronique. Je
croyais naïvement que l’Homme
public post-commission
Charbonneau deviendrait plus
mature et plus respectueux des
contribuables. Je me trompais.
Grande leçon, notre vigilance ne
doit jamais se relâcher.
Nous allons donc
revenir (et se répéter) sur le
projet de 67 millions de dollars
(juin 2013) de
Parc éolien Pierre-de Saurel
(PEPS ci-après). Nous allons le
faire d’un point de vue citoyen,
en énumérant les principales
interrogations qui sont pour la
plupart, toujours sans réponse.
Premièrement, il
n’existe pas à ce jour,
disponible pour les citoyens et
les élus de la MRC Pierre-de-Saurel,
de preuve tangible c.-à-d.
des documents publics qui
nous démontrent noir sur
blanc, la rentabilité financière
de ce projet. C’est à la fois
surprenant et intolérable. On en
vient même à se demander si PEPS
est en mesure de stabiliser son
cadre financier.
Ce qui est en
cause ici, ce n’est pas le
contrat et les tarifs garantis
par Hydro-Québec, ce sont les
anticipations de revenus
(les vents) et la
structure de coûts du
projet. Certes, le site internet
de PEPS nous annonce un « profit
moyen annuel de 2,4 M$ »,
mais cette affirmation marketing
soulève plusieurs questions. Par
exemple : « Que signifie
- moyen - en termes d’amplitude?
Du côté des
revenus, le projet de
PEPS soulève la question
fondamentale de la présence de
vents, tant en quantité qu’en
régularité. De façon intuitive,
nous savons comme habitant de
notre coin de pays que les vents
y sont faibles et souvent peu
présents. De même, de façon
formelle, PEPS justifie son
projet sur la base de l’étude de
GL Garrad Hassan Canada, inc.
(novembre 2013).
Cependant, celle-ci soulève de
nombreuses questions toujours
sans réponse. Par exemple,
les questions posées dans cette
chronique n’ont jamais
obtenu de réponse, PEPS
préférant tourner en ridicule
votre humble chroniqueur.
D’autre part, GL
Garrad introduit dans le débat
une sérieuse mise en garde que
je vous rappelle : « La
prévision nette d'énergie P50
présentée ci-dessus représente
la moyenne à long terme, d’une
probabilité de dépassement de
50 %, pour la production
d'énergie annuelle du parc
éolien. Cette valeur est la
meilleure estimation de la
valeur moyenne à long terme qui
peut être attendue du projet.
Il y a donc une probabilité de
50 % que la production moyenne
d'énergie puisse être inférieure
(ou supérieure) à la valeur
donnée, même lorsque considérée
sur de très longues périodes
(page 7) ». PEPS n’a jamais
justifié et commenté
publiquement cette mise en garde
malgré les questions répétées de
plusieurs citoyens. Ce qui amène
la question suivante : « Comment
cette marge d’erreur a-t-elle
été prise en compte dans le
modèle de calcul de la
rentabilité financière du
projet? »
L’information sur
la structure de coûts
n’est pas disponible. Seule
indication, l’orientation qui
stipule que 17,725 M$ (27 %)
de dollars de financement seront
en contrepartie de la capacité
des villes de la MRC Pierre-de-Saurel
à taxer leurs citoyens, sans
jamais leur avoir demandé leur
avis.
Il a été démontré que ce
pourcentage ne tient pas la
route et qu’il pourrait aller
jusqu’à 82 %. Ce qui
change profondément la nature du
risque financier supporté par
nous les contribuables.
D’ailleurs, selon les
informations disponibles, le
financement du projet de PEPS
n’est toujours pas attaché.
Question : « Quel est le
pourcentage réel du risque
financier garanti par les
contribuables de la MRC
Pierre-de-Saurel? »
Note :
Dans l’hypothèse du « 82 % »
ci-haut, la ville de Sorel-Tracy
pourrait voir le passif inscrit
à son bilan augmenter subitement
de 37 M$, portant sa dette
municipale à plus de 95 M$, le
tout sans consultation
des citoyens.
Rappelons que le
projet de PEPS ne repose sur
aucune légitimité démocratique,
ayant fait l’objet d’aucun
référendum ou l’enjeu d’une
élection municipale. Ce projet
n’a donc jamais fait l’objet
d’une démarche formelle
d’acceptabilité sociale, sauf
pour de rares sessions publiques
d’information en « environnement
contrôlé ». Ce qui va à
l’encontre des façons de faire
habituelles, en matière
d’implantation de projets
publics.
Certes, le
développement économique est
inscrit à la mission de la MRC
Pierre-de-Saurel, mais le tout
est accessoire en regard des
responsabilités traditionnelles
des MRC. D’ailleurs, est-ce que
ce mandat donnait la permission
même implicitement à la MRC
Pierre-de-Saurel de se lancer
dans des projets comportant un
volet « risque financier »,
surtout à hauteur de 67 M$?
Poser la question, c’est y
répondre. Ce problème de
légitimité se révèle avec encore
plus d’acuité en considérant les
questionnements ci-haut. Ce
faisant, ne serait-il pas
approprié pour la MRC Pierre-de-Saurel
de légitimer démocratiquement le
projet de PEPS?
Ce problème de
légitimité nous laisse encore
plus perplexes lorsque l’on se
questionne sur la gouvernance de
PEPS. La question fondamentale
est : « Qui
assume le leadership de PEPS? »
Pourriez-vous mettre un nom, une
image sur celui ou celle qui est
le « boss » de ce projet
de 67 M$ d’argent public? Aucun
organigramme de projet n’est
disponible. Si nous examinons
les noms associés à PEPS, nous
pouvons nous questionner sur
l’expérience professionnelle de
ceux-ci en matière
d’ingénierie-construction et
exploitation d’un parc éolien.
D’autant plus que ce projet est
« 100 % communautaire »
c.-à-d. sous l’unique
responsabilité technique et
financière de la MRC Pierre-de -Saurel,
contrairement à ce qui se fait
ailleurs au Québec.
De même, sauf
pour M. Yvon Bibeau de
Sorel-Tracy, nos élus se
préoccupent peu de ce projet ou
semblent complètement dépassés
par celui-ci. Pour un, le maire
de Sorel-Tracy, M. Serge
Péloquin qui est aussi membre du
conseil d’administration de
PEPS, n’en démontre pas une
maîtrise affirmée à l’image de
son prédécesseur.
À ce problème de
leadership, s’en rajoute un
autre de communication. Je ne
parle pas ici de communication
de base qui consiste par
exemple, à proposer un site
internet avec le logo de
l’organisme. Je parle de
communication stratégique qui
propose une information qui
traite du fond des choses et qui
permet aux citoyens de se faire
une idée des principaux enjeux.
Une information qui ne cherche
pas à convaincre pour avoir
raison, mais qui force à
réfléchir pour trouver une
solution.
Mais ma plus
grande déception relativement au
projet de PEPS, c’est l’apathie
publique. Elle est le symptôme
de plusieurs maux, dont le
désintéressement des citoyens
pour la chose publique et les
mirages de l’argent facile. Elle
est aussi le résultat de la
stratégie d’apaisement de PEPS
par le silence et la
condescendance, particulièrement
efficace dans un milieu à la
géographie enclavée et à la
population captive, souvent peu
rompue aux questions complexes.
À ce titre, il
faut remercier les « Fernand
Gignac » de ce monde pour
mener la bataille du
questionnement avec un arsenal
toujours inégal, devant des
machines
technico-administratives qui
s’auto-donnent raison et
s’auto-glorifient à même
l’argent de nos taxes. Fernand
Gignac et d’autres font le
travail que nos élus et les
médias locaux auraient dû faire.
Ils méritent tout notre
respect.
Au plan personnel
c.-à-d. strictement comme
contribuable de Sorel-Tracy,
j’ai toujours été favorable à ce
projet. Cependant, dans l’état
actuel des choses, j’aurais des
réserves importantes à donner à
PEPS un « go » pour le
poursuivre.
Je suis plus que
jamais convaincu que ce projet
doit faire l’objet d’une
vérification diligente complète
par un tiers indépendant. Les
gestionnaires de PEPS et son
conseil d’administration n’ont
pas démontré à ce jour qu’ils
méritaient notre confiance.
Contrairement à
ce que la rumeur publique
véhicule, ce n’est pas parce
qu’un train est en marche qu’il
faut nécessairement le laisser
aller.
Jocelyn Daneau
jocelyndaneau@gmail.com
Note : Les
audiences publiques du Bureau
d’audiences publiques en
environnement (BAPE) sur le
projet de Parc éolien Pierre-de-Saurel
débutent le 20 mai 2014. |