« Papa, tu
es le meilleur, je t’aime ! »
En mai dernier
à Ottawa, j’avais vu mon ami
Brian Brochet vivre les derniers
instants à l’approche de son
premier marathon. L’expérience
s’est répétée récemment au
marathon de Québec où j’ai
accompagné Yanick Lafleur qui
est parvenu à relever le plus
grand défi sportif de sa vie.
Mais, comme à chaque année dans
la vieille capitale, se pointe
sournoisement l’ennemi numéro un
des adeptes de la course à pied,
la chaleur. Ce que nous
ignorions, c’est le record de
température qui nous attendait.
Pour une 3e fois, j’allais
initier un coureur pour son
baptême à cet événement
mémorable. Je connais très bien
le marathon de Québec et je sais
qu’il nous attend dans le
dernier droit avec sa menace. On
ne doit jamais le prendre à la
légère.
Yanick avait bien dormi. Reposé,
je le sentais prêt et d’attaque.
Cet ex-joueur étoile au football
bénéficiait d’une solide base
sportive et je me disais que cet
atout allait l’aider. Dans les
jours précédents, il m’avait
demandé le temps que
j’anticipais pour lui. Je ne
suis pas tombé dans le piège et
je ne lui ai pas répondu.
Toutefois, je pouvais sentir
qu’il aspirait fracasser la
barre des quatre heures. À
Québec, il faut oublier les
objectifs car sur le boulevard
Champlain, plus rien ne tient.
Je lui avais rappelé
l’importance de boire lors de la
première moitié du trajet. Il
fallait éviter la
déshydratation.
Je constatais qu’il sautait des
points de ravitaillement. Je me
devais de le rappeler à l’ordre.
Il s’est ravisé car plus on
approchait du pont de Québec,
plus il réalisait que boire
devenait essentiel. Une fois
installé dans le four du
boulevard Champlain, il
fredonnait la musique qui
chatouillait son oreille depuis
le début du parcours. « Je ne
croyais jamais que j’allais te
parler et chanter sur Champlain
», m’a-t-il dit. Je n’ai pas
répliqué. Nous étions au début
du boulevard. Il restait encore
dix kilos au compteur.
Quelques minutes plus tard, la
fatigue l’a solidement envahi.
Comme il se produit souvent, le
souffle demeure intact mais les
jambes s’alourdissent et le
cerveau commence à lancer des
signaux de découragement. C’est
là que je devais jouer mon rôle
d’accompagnateur. Alors que nous
constations d’autres coureurs
étendus sur le parterre avec des
ennuis de déshydratation, des
crampes, des vomissements, etc.,
je me suis installé devant lui
pour le tirer.
«
On arrête. Je ne suis plus
capable », m’a-t-il dit, une
phrase qu’il ne voulait pas
prononcer. Mais quand on est au
bout du rouleau !!!! Puis, le
lapin de 4hres nous a dépassés.
Je l’ai entendu bougonner. Je
savais pourquoi. « J’ai juste
hâte de voir les miens, ça va me
remonter le moral », en parlant
de sa femme, ses deux enfants et
ses beaux parents.
Soudainement, ils sont apparus.
Juliane et Mathieu l’ont
accompagné pour quelques mètres.
En nous quittant, Mathieu a dit
: « Je suis fier de toi papa, tu
es le meilleur, je t’aime ».
Entendre un commentaire
semblable vient nous chercher.
Ça m’a ébranlé. Pour quelques
secondes, j’ai égaré le rythme
de ma respiration. Ouf !
Avec deux kilomètres à franchir,
je lui ai dit de délaisser sa
musique, qu’il se devait de
vivre sa réalisation, l’appui
des gens, les acclamations, le
privilège de franchir la ligne
d’arrivée.
Pendant que je m’occupais de
faire crier les personnes
regroupées le long des clôtures
pour lui procurer une dose
d’adrénaline, Yanick souffrait
le martyr mais appréciait la
réalisation d’un exploit qu’il
n’avait jamais imaginé. « Je ne
te remercierai jamais assez de
m’avoir accompagné », m’a-t-il
confié, visiblement exténué.
Quand nous sommes passés au fil
d’arrivée, je n’ai même pas
regardé le chrono. Je venais de
recevoir ma récompense par cette
simple petite phrase.
Notre temps : 4h08
(Impressionnant pour un premier
marathon et avec une telle
chaleur)
Daniel Lequin
danielmedaille@hotmail.com
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