Créer
l’amitié à l’état pur
Attablé dans
un restaurant d’Ottawa, Brian
Brochet affichait présent de
corps mais absent d’esprit. Il
pataugeait dans ses pensées,
l’évidence même. Ses yeux
démontraient le vide
caractéristique de celui qui
s’apprête à se lancer dans le
vide.
Je le regardais et je me
revoyais dans de tels moments.
Je me souvenais de l’inquiétude
qui bourdonnait dans ma tête à
la veille de mon premier
marathon à vie. Je constatais et
j’approuvais. Non loin, sa fille
Marie-Hélène savait très bien ce
qui se déroulait dans la tête de
son père.
«
Je l’ai rarement vu dans un tel
état mais je ne suis pas
inquiète pour lui. Il réussira
». Brian devait retrouver
l’appétit pour son traditionnel
repas aux pâtes. Sa grande
nervosité venait l’indisposer
mais n’ayez crainte, il allait
prendre sa revanche le lendemain
sur cet envahisseur.
Nous avions conclu un pacte en
février dernier. J’allais
l’accompagner pour cette
expérience. Je me suis donc
retrouvé à ses côtés dimanche
matin à la ligne de départ de la
40e édition du marathon de la
capitale nationale. Je voulais
qu’il apprécie au maximum ce
baptême de feu, lui fournir des
conseils au besoin, respecter
les silences, les moments de
concentration et surtout,
apprécier ce privilège unique de
côtoyer un ami qui franchira une
étape importante dans sa vie.
On venait à peine d’amorcer la
course qu’il échappait cette
phrase: « Je n’ai jamais entendu
le bruit d’autant de pas à la
fois sur l’asphalte ». Voilà qui
venait démontrer son
inexpérience. Par conséquent, je
me devais d’être attentif et à
l’écoute tout au long du
parcours.
Un objectif de temps roulait
dans sa tête. Normal pour tous
les défis que nous relevons en
autant que nous soyons en mesure
de s’ajuster au fur et à mesure.
Au début, il vérifiait sa
cadence, son rythme pour
constater que tout fonctionnait
rondement. Les lapins nous
dépassaient. Il gardait son
calme. Voilà un bon instinct.
Je lui répétais qu’il se devait
de regarder autour de lui,
d’observer, de vivre ce 42km,
qu’il allait s’en souvenir
longtemps. Par ces mots, je
voulais lui changer les idées.
Puis, la fatigue a fait
sournoisement son arrivée, cette
hypocrite qui vient tout gâcher.
La souffrance a débuté chez
Brian. Installé confortablement
dans les premières loges pour
voir le résultat de l’ensemble
de son entraînement lors des
derniers mois où par des
températures difficiles, il
n’avait pas bronché afin de
braver les rigueurs du climat,
je devenais de plus en plus
confiant pour lui.
Alors qu’il ne restait que
quelques kilomètres à franchir,
je lui ai dit de lever la tête,
qu’il devenait le meilleur,
qu’on allait l’applaudir, le
féliciter, l’acclamer. Il s’est
senti comme une vedette foulant
le tapis rouge. Pendant ce
temps, trop heureux de constater
le bonheur qu’il ressentait, je
me suis mis à célébrer avec les
gens massés le long du parcours.
Sourire fendu jusqu’aux
oreilles, j’y allais de « high
five » et les spectateurs
festoyaient. Je me suis
royalement retrouvé sur
l’adrénaline, comme rarement je
me suis senti. Je fêtais la
victoire personnelle de mon ami.
« Je te regardais et je me
demandais où tu pouvais prendre
toute cette énergie alors que
moi, je titubais, j’avançais à
pas de tortue, cerné par une
immense fatigue et des jambes
que j’avais peine à ressentir »,
m’a confié Brian après son
marathon.
Je lui ai simplement répondu que
sa persévérance, sa ténacité et
son acharnement me remplissaient
de joie. J’étais tellement
heureux de franchir le fil
d’arrivée à ses côtés et de
pouvoir l’accompagner pendant
42km, que je n’ai
exceptionnellement éprouvé
aucune fatigue, aucune douleur
physique et mentale, comme si un
être supérieur avait voulu me
démontrer que j’avais pris une
excellente décision.
Un geste semblable nous fait
découvrir des visages
authentiques de personnes qui
souvent, cachent
involontairement les plus belles
facettes de leur existence.
Brian et moi sommes maintenant
devenus davantage que de simples
connaissances, car le temps d’un
marathon, nous avons appris à
nous connaître en profondeur,
créant l’amitié à l’état pur.
Peace my friend Brian !
Résultats
Temps : 4h30 :43
Daniel Lequin
danielmedaille@hotmail.com
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