Une
rencontre providentielle
Mardi 3 mai
2016
Les oiseaux
chantaient aux petites heures du
matin. Que la vie est belle…..
Pourtant, la noirceur sévissait
encore dehors. Au cadran, 4h15,
c’est tôt, très tôt. Un 2e
marathon en deux semaines, c’est
toujours un peu inquiétant.
Malgré tout, je me sens
étonnamment bien. Je ne ressens
aucune fatigue, pas de séquelle
du dernier champ de
bataille.
À quelques minutes du départ de
l’épreuve, le temps frais nous
réveille et nous fait prendre
conscience du défi qui nous
attend. Les conditions idéales
m’enrobent d’une confiance
souvent absente dans des moments
semblables.
Vous savez, on ne sait jamais ce
que nous réserve un marathon.
Après quelques kilomètres, je
réalise qu’un coureur me
talonne. Je ne le vois pas mais
je sais qu’il est derrière moi.
À un point de ravitaillement,
une voix me dit que je suis
devenu son lapin, que je lui
fournis le bon rythme.
Sans même le regarder, je le
salue. Il n’en fallait pas plus
pour engendrer une conversation
qui allait marquer à jamais ce
marathon.
Il s’appelle Patrice Albert. Il
vient de Saint-Colomban dans les
Laurentides. Ouf ! Ce n’est pas
à la porte. Un 5e marathon pour
lui, la course a littéralement
changé sa vie. Une autre patate
de salon comme il s’est décrit
lui-même. Il s’est pris en main
pour changer radicalement son
mode de vie quand il a appris la
mauvaise nouvelle. En l’espace
de six mois, son poids a chuté,
lui qui n’a jamais été considéré
comme un grand sportif mais
plutôt du style motocycliste.
Je m’interrogeais à savoir si je
devais y aller plus en
profondeur.
« Je
cours pour me défouler. Être ici
me permet de refaire le plein,
de me changer les idées. J’en ai
besoin. Je dois canaliser le
stress, la rage, la maladie.
Courir me donne le sentiment
d’être plus vivant, plus calme,
plus souriant, plus heureux.»
Je me suis demandé pourquoi il
disait ça. Je sentais alors
qu’il voulait prolonger la
discussion.
Sa femme Jocelyne a été
diagnostiquée d’un cancer du
sein à l’âge de 29 ans. Il est
revenu, vingt ans plus tard et
là, c’est beaucoup plus sérieux.
Solidement ébranlé, je me suis
aperçu qu’en discuter lui
permettait d’évaporer son
chagrin, sa peine. On imagine
que l’atmosphère doit être assez
lourde à la maison. Au
contraire, nous explique-t-il.
« Nous
allons vivre cette étape
sereinement, sans larme, ni
malheur. »
Les kilomètres suivants furent
silencieux. J’ai dû prendre le
temps de digérer ces propos. Je
ne m’attendais vraiment pas à un
tel témoignage. Vers le 21e
kilomètre, je le sentais plus
fort que moi et je ne voulais
surtout pas gâcher sa course. Je
savais très bien que deux
semaines après Boston, j’allais
forcément ralentir le tempo dans
la 2e portion. Il m’avait confié
auparavant qu’il n’avait jamais
traversé une première demie
aussi rapide et que ce début
explosif de sa part laissait
présager une belle performance
dans l’ensemble.
Avant qu’il s’envole, je lui ai
crié de m’attendre à la ligne
d’arrivée, que je voulais lui
parler davantage. Tel que prévu,
je l’ai aperçu, les deux bras
levés vers le ciel, comme si
nous étions deux grands amis de
longue date. Son large sourire
trahissait sa fierté.
« J’ai
réalisé mon meilleur temps à vie
sur marathon avec un 3h42 et
c’est grâce à toi. Je suis
tellement fier ». Je
l’ai serré très fort contre moi.
Combiné à la fatigue de mon
marathon, ce moment fut très
intense. J’étais tellement
content pour lui.
Avant de se quitter, je lui ai
dit que nous allions garder
contact, que nous étions devenus
des amis pour toujours. Il en va
ainsi lors d’un marathon où
souvent, les coureurs y vont de
témoignages surprenants dans les
circonstances.
Au terme de son marathon à
Québec l’an dernier, Patrice a
écrit :
« La force de terminer, je
l’ai puisée en pensant à toi. Tu
as occupé mon esprit la majeure
partie de ma course mais surtout
lors des dix derniers
kilomètres. À chacun de mes
pénibles pas, je me disais que
tu te battais pas mal plus fort
et depuis plus longtemps que
moi. Que traverser un marathon,
c’est juste un jeu pour lequel
j’ai dû payer par surcroît. Que
je n’avais rien à me plaindre à
faire une course vers
l’inutilité. Je n’avais pas le
droit d’abandonner car toi, tu
n’abandonneras jamais. En
l’honneur de ton courage, de ta
détermination, pour essayer
d’obtenir l’énergie et le
sentiment de forcer pour toi, il
n’a jamais été question que
j’arrête de courir. »
Le marathon des Érables m’aura
fait vivre des moments uniques,
une rencontre providentielle
d’une grande valeur humaine, une
expérience de vie inestimable,
une facette qui m’incite à
attendre le prochain avec
impatience.
Bon courage Jocelyne et Patrice,
je vous aime.
Statistique de mon 65e marathon
Temps : 4h01 :28
Classement : 77 sur 156
Classement catégorie d’âge : 2
sur 4
Daniel Lequin
danielmedaille@hotmail.com
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