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Mercredi 13 octobre, 2021
Les travailleurs de rue confrontés quotidiennement à la misère humaine
(Stéphane Martin, 13 octobre 2021) Dans le cadre de la Nuit des sans-abri qui aura lieu le 15 octobre, le SorelTracy Magazine vous propose quelques articles sur le thème de l’itinérance. Dans ce dernier texte, on tente de démystifier le travail de rue qui existe à Sorel-Tracy depuis 1996. À l’époque, Louise Blain portait à elle seule le service offert sur le territoire.
Il me semble qu’on ne voit pas tant d’itinérants que ça à Sorel-Tracy, avons-nous vraiment besoin de travailleurs de rue ?
« Il y a toujours quelqu’un qui a besoin d’aide quelque part. Les gens ne voient pas que la réalité de notre ville a changé depuis plusieurs années. Ce n’est plus la même chose. Je pense que les gens ne font pas exprès pour ne pas voir. Je peux vous dire que ce service est essentiel. Nous avons actuellement deux travailleuses de rue et ça en prendrait deux ou trois autres de plus pour assurer un service aux municipalités environnantes. Plus les gens vont savoir qu’il y a du travail de rue qui existe, plus les gens vont être conscients du besoin qui existe. La souffrance humaine et la détresse, on ne publicise pas ça, on ne l’écrit pas dans le journal. Mais la réalité est bel et bien présente dans la région », explique la directrice de la Maison des jeunes de Sorel et responsable des travailleurs de rue, Lucie Champagne.
« Quand on parle d’itinérance, on ne parle pas toujours de la personne couchée sur un banc de parc. Les gens ne veulent pas voir la misère, quand ce n’est pas beau, on regarde ailleurs. Les gens changent de côté de rue quand ils voient quelqu’un qui souffre, qui parle seul ou qui cri dans la rue. C’est difficile de chiffrer le nombre de personnes itinérantes parce qu’on ne les connaît pas tous et que la demande d’aide est changeante. Les gens tombent dans la rue et en sortent et retombent et en ressortent. Le premier objectif de notre travail est de créer un lien significatif avec ces gens », ajoute la travailleuse de rue, Véronique [La tradition veut que l’on nomme les travailleurs de rue que par leur prénom].
On sait que vous distribuez des seringues et d’autres matériels en lien avec les drogues et la sexualité. Avez-vous l’impression d’encourager les gens dans leurs dépendances ?
Quand on donne des seringues, ce n’est pas pour encourager à consommer, mais pour encourager à consommer de façon sécuritaire. Ça veut dire que la personne ne réutilise pas les mêmes seringues, elle se blesse moins, elle ne prend pas la seringue de n’importe ce qui réduit les maladies qui peuvent se transmettre. Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. La personne va consommer qu’on lui donne du matériel propre ou pas », justifie Karine.
« Le meilleur exemple que je peux vous donner pour comprendre est Opération Nez rouge. Est-ce que l’on encourage les gens à boire parce qu’il y a Nez Rouge ? C’est la même chose, c’est juste mieux vu parce que l’alcool est légal. Les gens boivent et sont responsables parce qu’ils ne prennent pas le volant. Les gens dans la rue sont responsables parce qu’ils demandent des seringues propres pour consommer leur drogue de façon adéquate et sécuritaire », martèle Lucie Champagne.
On voit des mendiants à Sorel-Tracy et l’on est capable de les identifier. Pourquoi sont-ils toujours dans la rue ? Est-ce que vous parvenez vraiment à les aider ?
« Les gens évoluent à leur rythme. Dans la rue, ils ne vivent pas de stress, aucune pression et aucune obligation. Les filles vont souvent utiliser leur charme pour se trouver une place, mais n’en sont pas moins itinérantes. Certaines vont rester chez « un ami » pour un mois ou deux en disant qu’elles vont rendre service en s’occupant des repas et l’on se doute de ce qu’elles font le soir. Cela demeure des gens qui n’ont pas de domicile fixe, elles sont juste plus difficiles pour nous à trouver », explique la travailleuse Véronique.
« C’est facile pour la population de dire qu’on ne les aide pas. La réalité est que l’on ne peut pas faire plus que ce que la personne veut faire. On est capable d’établir un lien avec eux et c’est précieux, mais il faut accepter qu’ils ne soient pas dans le bon moment pour s’en sortir. On n’a pas de baguette magique comme travailleuse de rue. On n’aide pas en forçant les autres. Oui, ils quêtent pour subvenir à leurs besoins, mais ils n’ont peut-être pas envie d’avoir un logement, de payer des comptes d’Hydro et de faire face aux obligations de la vie. Il va toujours y avoir de l’itinérance, de la toxicomanie, des problèmes de santé mentale. Ça fait des millions d’années qu’il y en a et ce serait utopique de croire que cela va disparaître. C’est dérangeant pour la population de voir des gens dans la rue et ils ne voient pas tout le travail que l’on fait avec eux. C’est aussi ça le métier de travailleurs de rue », ajoute Karine.
Si tout est toujours à recommencer, qu’est-ce qui vous accroche à ce métier-là ?
« J’ai tendance à me voir comme une lueur dans le noir pour les gens que j’aide. On ne s’attend pas à obtenir de résultats, on apprend à connaître les gens dans leurs souffrances et on est là pour eux sans s’attendre à rien. J’aime mon métier, car il m’apporte le bonheur de rencontrer des gens », laisse savoir Véronique.
« Pour ma part, je suis là pour accompagner et non pour sauver le monde. Ce n’est pas un travail de valorisation, personne ne te dit merci tous les jours. Il y a des gens qui iront beaucoup mieux et tu ne le sauras jamais. Il faut se mettre un mur parce que les problèmes des autres ne t’appartiennent pas. Il ne faut pas être froid pour autant, mais si l’on veut aider, il ne faut pas être dans l’émotion. Il ne faut jamais se frustrer également et accepter d’avancer au rythme de la personne que l’on aide. Des jours, elle va faire 5 pas en avant pour en reculer de 6 le lendemain. Si l’on veut aider, il ne faut pas faire sentir la personne coupable, mais bien suivre son rythme », de conclure Karine.