La montagne, le cow-boy, la bulle et le cigare –
Ô publicité, quand tu nous tiens!
C'est connu, les concepteurs de pubs ont tendance à beurrer épais,
à faire dans l'exagération. En effet, les débordements semblent plutôt
fréquents chez eux; en vérité, on pourrait presque affirmer que c'est
devenu la règle, l'incontournable modus operandi, quoi! La montagne Ainsi, il ne faut plus nous étonner de nous voir offrir un marteau pour écraser une puce. N'est-ce point là d'ailleurs la même technique pas trop subtile – du remède de cheval – à laquelle a recours l'actuel président des U.S. of A. : «faire avaler» à la moitié de la planète une guerre massive contre un pays entier, dans l'unique dessein de «faire passer» le Saddam qu'il a de coincé dans la gorge, le George? Pourtant, ce dernier n'est-il donc pas le seul, ou à peu près, à s'étouffer de la sorte avec le dur à cuire irakien? Comme s'il s'agissait d'un vulgaire bretzel, ma foi!
Revenons à nos
publicitaires. Pour nous vendre le Toyota 4-Runner,
merveille sur roues à présenter comme un increvable «passe-partout»,
ils n'ont pas hésité à s'installer sur le plus haut plateau de tournage
qui soit : l'Everest! Tout un banc d'essai pour un simple «char», pas
vrai? Ambitieux, y'a pas à dire, mais parfaitement logique… quand on
sait que le produit à mettre en vedette s'adresse à des gens qui ne
risquent pas d'éprouver le moindre «vertige» à la vue d'une facture «
s'élevant plus haut » en dollars (40 000+) que l'Everest en pieds (29
000+). Puis,
histoire sans doute d'ajouter poids ou crédibilité (?) à leurs prétentions
déjà lourdes, ils n'ont ressorti des «boules-à-mites» nul autre que
Sir Edmund Hillary, premier conquérant – en principe – de la plus
grosse excroissance rocheuse sur la face de la terre (je dis «en principe»,
car c'est comme oser affirmer sans rire que Christophe Colomb a «découvert»
l'Amérique!). En l'occurrence, on appelle ça jouer à fond le human
interest factor, c'est-à-dire faire intervenir le côté humain,
donner à la démesure une dimension humaine, mais pas n'importe laquelle,
comme de bien entendu. Imaginez! Si votre sacro-saint «véhicule personnel» est capable de se farcir au petit-déj' la grosse pierraille d'aspect lunaire qui tapisse les contreforts de l'Everest!... Non mais! allez-vous la grimper «rien'q s'une fripe», et les doigts dans le nez, la montée du chemin Pierre à… Piedmont, dans les Laurentides! La recette de nos génies de la création publicitaire est simple : a) trouver un plan magnifique, genre l'Everest pris en contre-plongée, parfaitement encadré, c'est-à-dire trônant dans toute sa majesté, le pic enneigé pointant orgueilleusement vers le ciel, etc.; b) faire dire quelque chose de ronflant à un personnage prestigieux, eût-il de la barbe, au propre ou au figuré; c) braquer la caméra sur un 4-Runner se riant des «garnottes» gigantesques; d) brasser le tout vigoureusement, surtout le véhicule. Et voilà! messieurs-dames, vous êtes en voiture! Vous l'avez, votre 30-secondes convaincant à «servir» aux heures de grande écoute. Vous l'avez, votre pub accrocheuse, donc gagnante. Après pareil étalage, qui ne rêverait point tout éveillé de s'en payer un, de 4-Runner, fût-ce pour rouler exclusivement sur le plus plat et le plus lisse des bitumes urbains ou banlieusards? Le cow-boy Ce qui, tout naturellement, nous amène à la question suivante : est-ce que ça marche vraiment, ce genre de pub? Et surtout, la clientèle jugée «ciblable» par les experts patentés est-elle, du seul point de vue quantitatif, suffisamment importante? En d'autres termes, existe-t-il encore et toujours un marché «potentiel» intéressant pour ces bestioles rugissantes, énergiphages à la puissance mille et, partant, pollueuses «au boutte»? Eh bien! faut le croire… à en juger par le nombre effarant de quatre roues motrices qui sillonnent fièrement les rues de Montréal, tout de même loin d'être défoncées autant qu'est accidenté et hérissé d'aspérités le relief retenu par les «faiseurs d'images» pour leurs grandes manœuvres «éverestiennes». Notons-le en aparté, mais notons-le bien tout de même : ce constat d'envahissement du réseau routier par des mastodontes pourtant équipés pour gravir la face d'un singe est plutôt désolant, voire carrément gênant à l'heure du protocole de Kyoto, vous ne trouvez pas? Nous disions donc que le procédé est efficace : y'en a tout plein qui achètent! Permettez que je vous présente le propriétaire d'un de ces monstres métalliques indestructibles. Presque tous les matins, en sortant du métro, j'avise un Hummer 1re version, un peu apeurant dans sa livrée «guerre du Golfe», qui descend la rue Georges-Vanier. Derrière le volant, haut perché au point de dominer tous les autres automobilistes qui l'entourent : un quadragénaire au nez chaussé de lunettes type aviateur et au look viril artistement exacerbé par un chapeau de cow-boy australien. L'Indiana Jones citadin, qui vient des hauteurs westmountaises, traverse hardiment le territoire en développement de la Petite-Bourgogne, puis, une fois rendu à la hauteur de la rue Saint-Jacques, vire sec à gauche, prêt à s'engager résolument dans cette large voie qui débouche au cœur de la jungle financière de la métropôle (sic) québécoise. Parcours inverse en fin d'après-midi, j'imagine… qui ramènera notre cow-boy d'opérette à son point de départ : le home aussi cher que chéri, sinon puissamment grillagé, du moins dûment «protégé». Dieu sait le film d'aventures qu'il peut bien se passer à lui-même dans sa tête, chaque matin de semaine, ce drôle de zigoto, aux commandes de son char d'assaut monté sur pneumatiques! La bulle Je ne suis pas envieux une saprée miette, ça non! J'essaie même, en vérité, de saisir la motivation profonde du bonhomme en question. Peut-être est-il «normal», après tout, que dans un environnement de plus en plus rock'n'roll, avec cette nostalgie qui leur colle à l'inconscient – vous savez, la nostalgie de l'idyllique et on ne peut plus paisible séjour dans le sein maternel –, oui! peut-être est-il compréhensible que la femme et son «financé» soient d'insatiables preneurs de tout ce qui est susceptible de les réinstaller dans une «bulle» quasi parfaite, à sécurité max, où ils puissent se trouver enfin coupés du monde extérieur, cette menace sans cesse grandissante à leurs yeux… Ouais! on en vient à se demander si, en fin de compte, il n'est pas tout à fait «naturel» que l'homo sapiens cuvée XXIe siècle se trouve en quête permanente de l'invention miracle qui saura le rapprocher, en quelque sorte, du sentiment de quiétude originel, fût-ce une machine à quadruple… matricité (sic)! Que voilà une situation rêvée pour les «vendeurs», n'est-ce pas? Aux publicitaires d'en profiter… ce dont ils ne se privent d'ailleurs pas, les bougres! Le cigare
Enfin, à tant faire
que de charrier dans les bégonias, Messieurs les concepteurs de tout
poil, si jamais vous aviez à «penser» la campagne d'une marque de
cigares, que n'iriez-vous point jusqu'à retenir, même à grands frais,
les services en effet forcément onéreux de l'autre Hillary célèbre, la
Clinton, ni escaladeuse ni escaladée, elle, mais témoin privilégié –
façon de parler – de par sa «position» dans l'histoire avec un tout
petit «h»? Malgré
tout, les amateurs d'alpinisme en tous genres et autres observateurs
passionnés du comportement de la gent humaine voudront bien prendre note
et sauront apprécier : dans le contexte ô combien réducteur d'une telle
pub, Mme Clinton serait perçue d'abord et surtout comme l'épouse
legit du beau Bill, lui-même
fameux – fumeux, reprendront certains – «grimpeur» au cours de sa période
«ovale» dans le bureau de la même forme, sa spécialité étant alors
l'escalade du mont (de Vénus) Lewinsky! Qui ne se souvient de ces
performances «fumantes» qui furent si largement médiatisées? Mais,
il convient de nous concentrer plutôt sur Hillary. En effet, qui mieux
qu'elle saurait, de façon objective, introduire consommatrices et
consommateurs aux vertus aphrodisiaques insoupçonnées ou insoupçonnables
(du moins celles qui restent à découvrir) du phallique objet qu'est un
cigare? Qui mieux qu'elle pourrait vanter avec la retenue nécessaire les
mérites de cette chose qui, on l'a appris, peut parfois être appelée à
servir à bien d'autres fins que celles publiquement annoncées ou généralement
admises dans la société dite de bonne tenue?
Hein! Pourquoi pas? 4-Runner ou
cigare, il vous suffit d'appliquer la bonne vieille «recette» éprouvée,
quasiment infaillible. Il n'y a pas de raison pour que la magie n'opère
pas à nouveau, comme un charme, pas vrai? Nous disions donc : un produit X,
un lieu propice Y,
une «vedette» Z ayant tant soit peu rapport – l'idéal étant certes de dégoter,
comme vous l'avez fait pour Toyota, un porte-parole «hautement» crédible,
tel le vénérable Edmund H. Point à la ligne. Et voilà! Le tour est joué!
Poursuivez votre «beau» travail! Mais, désolé, je
n'achète toujours pas! Hélas! – plus pour vous que pour moi – je
ne conduis point, ni ne fais usage des produits du tabac… d'aucune
manière!!! Jean-Paul
Lanouette mercredi 12 février 2003
|