Un
peu de neige dans l'écran : simple
et voulu…
Je
n'avais que cinq ans, et elle, pas même un an…
Contrecœur, 1er
septembre 1953. – C'est la journée de mes cinq ans; aux côtés
de grand-pâpâ Ti-Louis, je regarde fièrement mon père finir
d'installer l'immense antenne Davis
qui, c'est garanti, nous permettra enfin de mieux pogner, oups! pardon, je veux dire de mieux capter
le «deux» (CBFT – Montréal) et le «six» (CBMT
– Montreal). Même que, semble-t-il, une structure pareille,
ça peut aller vous chercher les images américaines du «trois» (WCAX – Burlington) et du «cinq» (WPTZ – Plattsburgh), images qui, peu importe la taille de
l'antenne, ont cependant cette fâcheuse tendance à s'enneiger
lourdement dès qu'elles franchissent la frontière! Question de
climat, peut-être!?!
La télévision,
du moins en notre pays, est alors pas mal plus jeune que moi; en
effet, la «boîte à images» est à la veille de fêter le tout
premier anniversaire – seulement! – de son arrivée fracassante
dans nos salons. Tous les regards devant «naturellement» être
orientés vers elle, cette nouvelle «présence» allait à elle
seule déterminer l'entière disposition du mobilier dans la pièce
qui, auparavant, servait exclusivement à accueillir la «visite»;
cela, on en constate encore les effets, d'ailleurs!
Jamais je n'oublierai l'expression de satisfaction totale de
mon paternel lorsque, quelque temps plus tard, il constata qu'il était
possible, malgré la «poudrerie» qui balayait furieusement le
petit écran, de distinguer les joueurs se disputant un match de
baseball, qu'il était possible aussi, malgré le fort grésillement
(à se demander si l'unique micro n'était pas installé près d'un stand
à patates frites!), qu'il était possible, donc, de saisir les
diverses intonations du descripteur amerloque, ainsi que, surtout,
le nom des frappeurs se succédant à la plaque. Play
ball! Mon père, lui, en tout cas, était prêt…
De
l'image, ça oui! mais, pour le contenu…
Voyons un peu où nous en sommes, côté télé, un demi-siècle
plus tard!
Longueuil, juillet
2003. – Par la magie déjà dépassée du câble, je suis relié
à une quarantaine de «postes» ou chaînes, dont la moitié à
peine sont parfois «regardables», c'est-à-dire dignes d'échapper
au zapping systématique.
Image couleur grand format claire et nette (pas l'ombre de la queue
d'un flocon de neige!),
son stéréo plus saisissant que nature, capable de vous isoler le
vrombissement d'une mouche égarée sur un terrain de golf arpenté
par Tiger Woods et sa clique d'adorateurs.
Pas
plus tard qu'hier, en pianotant distraitement sur la télécommande,
ne voilà-t-il pas que je tombe sur un match de baseball : tiens, ce
voltigeur a un bouton sur le nez, et n'est-ce pas l'arbitre
officiant derrière le marbre qu'on entend se racler la gorge avant de «la
câller out»?
Vous le voyez… et l'entendez : image et son impec, les
mecs! Ah! si papa voyait ça! Pourtant, allez comprendre pourquoi,
je ne trouve rien de mieux à faire que de vite passer à une autre
chaîne… où me guette sans doute un de ces insipides reality
shows qui, désormais, tapissent quasi «mur-à-mur» la
programmation estivale, automnale, hivernale et… – qu'est-ce
qu'on dit déjà pour le printemps? ça ne finit pas en «al», me
semb' – … et printanière, merci!
Ouais!
tout ça me file non pas le cafard, mais l'envie de me «décâbler»
et de me mettre illico
en quête d'ancestrales «oreilles de lapin» qui ne manqueront pas
de remettre un peu de neige dans mon écran, un peu de friture dans
mes haut-parleurs stéréo et, qui sait? un peu de la satisfaction
de mon père sur mon visage… quand j'aurai enfin réussi, ou
presque, à stabiliser l'image maintenant dédoublée et plutôt décolorée…
Malheureusement,
on me dit que la simplicité
volontaire, tout à fait in
par les temps qui courent, n'a pas du tout le même goût que la
simplicité obligatoire
d'antan. Pas vrai, papa?
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