« En passant... » --- Textes de Jean-Paul Lanouette

« Merci de ne pas fumer! » – impoli, pis même pas français… 

            L'aut' jour, je ne me rappelle plus trop où, un petit écriteau plaqué sur une colonne m'a accroché l'œil. « MERCI DE NE PAS FUMER! » qu'il y avait d'écrit en lettres blanches sur fond rouge. Ça m'a fait tiquer… tellement, en fait, que j'en aurais allumé et grillé une sur-le-champ, même si je n'ai jamais fumé de ma sainte (?!) vie. 

            Eh bien, croyez-le ou non, ce merci-là m'a ramené quelque trente ans en arrière, plus précisément sur un terrain de tennis où je jouais par un beau soir d'été en compagnie d'un grand ami, Ti-Gilles Larose pour ne le point nommer. À ma droite, sur le court voisin, sévissait un jeune fendant qui s'pensait bon – vous voyez le genre? On n'entendait que lui; et lui, graine de champion plus «graine» que champion, il aurait sans doute voulu qu'on ne vît que lui, qu'on cessât séance tenante de jouer pour se pâmer en chœur devant son gracieux revers tout en fluidité. 

            Or, il se trouve que, chaque fois que l'une de ses trois balles se retrouvait de notre côté, le p'tit «frappé» nous lançait comme ça d'un ton cassant plein de suffisance, et cela, sans daigner jamais nous gratifier du moindre regard : « Merci pour la balle! » Comme dirait l'autre, il me les cassait joyeusement, ce bronzé crispant doublé d'une envahissante demi-portion. Après cinq mercis, j'étais pus capab'! La raquette me démangeait : il courait après les smashes au visage, ce p'tit morveux! Bien sûr, il n'était pas question que je m'abaissasse à le frapper, mais un autre «merci» de sa part et, c'est sûr, je sautais (ou pétais?) une coche! 

            Hélas! ce qui devait arriver arriva : la balle du m'as-tu-vu m'atterrit violemment sur le pied, me faisant rater lamentablement l'imparable volée que je m'apprêtais à exécuter, coup fumant qui eût laissé Ti-Gilles pantois sur sa ligne de fond. Sans attendre que retombe la poussière de roche, le «John MacEnroe des pauvres» m'apostrophe : « Merci pour la balle! ». Oh! le pauvre inconscient! Il ne sait pas à quoi il s'expose à jouer de la sorte avec des nerfs qui n'ont rien à voir avec ceux de ma raquette! 

            Je m'avance lentement vers l'endroit où gît la balle perdue de «monseigneur», tout juste à côté de celle que je viens de fouetter involontairement dans le filet… par sa faute, oui! par sa faute, par sa très grande faute! Je me penche pour la ramasser – «sa» balle –, puis je regarde l'impudent personnage droit dans les yeux. C'est à ce moment précis que je lui déballe cette charmante répartie en prenant soin de bien articuler et de bien détacher chacun de mes mots : « C'est après qu'il faut dire merci, p'tit con! On doit d'abord dire s'il vous plaît… » Je me tourne alors résolument vers la très haute clôture de «broche» ceignant les trois courts... dans l'intention évidente de faire mon Claude Raymond. Ah! si vous aviez vu ma «motion»! « Elle est partie! » Ouais! il la cherche encore, sa balle, ce jeune «frais-chié» indélicat…

            À cet égard, les règles de la bienséance sont pourtant simples et claires : pour demander quelque chose à quelqu'un, c'est s'il vous plaît, et, une fois le service rendu, c'est le temps de sortir le merci, et pas avant! Escamoter le s'il vous plaît, y substituer un merci qui devance l'action à laquelle ce dernier est censé s'appliquer après coup seulement, présumer en quelque sorte l'acquiescement automatique d'autrui, c'est faire preuve de grossière impolitesse, point à la ligne. 

Certes, face à l'«impoli», ma réaction fut pour le moins…vive, voire un tantinet excessive. Je l'avoue! Mais, il fallait que la leçon de savoir-vivre portât, que l'impertinent s'en souvînt toute sa vie! En toute modestie, je crois bien lui avoir servi un ace, ce jour-là! Maintenant que j'y pense, il ne m'a jamais remercié pour ce «service» bien particulier. Quel ingrat! 

Tout ça pour dire que, si l'écriteau dont il est fait état en début de texte s'était plutôt lu comme suit : « Prière de ne pas fumer » ou, plus carrément, « Défense de fumer! », jamais vous n'auriez entendu parler de ce noir épisode tennistique de mon pas très glorieux passé sportif! 

En terminant, petite précision d'ordre linguistique. « Merci de ne pas fumer », non seulement c'est impoli comme tournure, mais encore ce n'est pas vraiment du français. En effet, il s'agit là de la traduction littérale de "Thank you for not smoking". En anglais, il est parfaitement correct  et normal de remercier les gens à l'avance, et cette manière de s'exprimer semble tout aussi bien reçue de la part des destinataires du message, qui ne s'en formalisent pas une miette. Question de culture ou de langue… 

La question à se poser alors est la suivante : mon p'tit baveux à raquette était-il impoli ou anglicisé? Les deux, je dirais. Qu'en pensez-vous?

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca

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