« Merci de ne pas fumer! » – impoli, pis même pas
français…
L'aut' jour, je ne me rappelle plus trop où, un petit écriteau
plaqué sur une colonne m'a accroché l'œil. «
MERCI DE NE PAS FUMER! » qu'il y avait d'écrit en lettres
blanches sur fond rouge. Ça m'a fait tiquer… tellement, en fait,
que j'en aurais allumé et grillé une sur-le-champ, même si je
n'ai jamais fumé de ma sainte (?!) vie.
Eh bien, croyez-le ou non, ce merci-là
m'a ramené quelque trente ans en arrière, plus précisément sur
un terrain de tennis où je jouais par un beau soir d'été en
compagnie d'un grand ami, Ti-Gilles Larose pour ne le point nommer.
À ma droite, sur le court voisin, sévissait un jeune fendant qui s'pensait bon – vous
voyez le genre? On n'entendait que lui; et lui, graine de champion
plus «graine» que champion, il aurait sans doute voulu qu'on ne vît
que lui, qu'on cessât séance tenante de jouer pour se pâmer en chœur
devant son gracieux revers tout en fluidité.
Or, il se trouve que, chaque fois que l'une de ses trois
balles se retrouvait de notre côté, le p'tit «frappé» nous lançait
comme ça d'un ton cassant plein de suffisance, et cela, sans
daigner jamais nous gratifier du moindre regard : «
Merci pour la balle! » Comme dirait l'autre, il me les cassait
joyeusement, ce bronzé crispant doublé d'une envahissante
demi-portion. Après cinq mercis, j'étais pus capab'! La raquette
me démangeait : il courait après les smashes
au visage, ce p'tit morveux! Bien sûr, il n'était pas question que
je m'abaissasse à le frapper, mais un autre «merci»
de sa part et, c'est sûr, je sautais (ou pétais?) une coche!
Hélas! ce qui devait arriver arriva : la balle du m'as-tu-vu
m'atterrit violemment sur le pied, me faisant rater lamentablement
l'imparable volée que je m'apprêtais à exécuter, coup fumant qui
eût laissé Ti-Gilles pantois sur sa ligne de fond. Sans attendre
que retombe la poussière de roche, le «John MacEnroe des pauvres»
m'apostrophe : « Merci pour
la balle! ». Oh! le pauvre inconscient! Il ne sait pas à quoi
il s'expose à jouer de la sorte avec des nerfs qui n'ont rien à
voir avec ceux de ma raquette!
Je m'avance lentement vers l'endroit où gît la balle perdue
de «monseigneur», tout juste à côté de celle que je viens de
fouetter involontairement dans le filet… par sa faute, oui! par sa
faute, par sa très grande faute! Je me penche pour la ramasser –
«sa» balle –, puis je regarde l'impudent personnage droit dans
les yeux. C'est à ce moment précis que je lui déballe cette
charmante répartie en prenant soin de bien articuler et de bien détacher
chacun de mes mots : « C'est après qu'il faut dire merci,
p'tit con! On doit d'abord dire s'il
vous plaît… » Je me tourne alors résolument vers la très
haute clôture de «broche» ceignant les trois courts...
dans l'intention évidente de faire mon Claude Raymond. Ah! si vous
aviez vu ma «motion»! « Elle est partie! » Ouais! il la cherche
encore, sa balle, ce jeune «frais-chié» indélicat…
À cet égard, les règles de la bienséance sont pourtant
simples et claires : pour demander quelque chose à quelqu'un, c'est
s'il vous plaît, et, une
fois le service rendu, c'est le temps de sortir le merci,
et pas avant! Escamoter le s'il
vous plaît, y substituer un merci
qui devance l'action à laquelle ce dernier est censé s'appliquer
après coup seulement, présumer en quelque sorte l'acquiescement
automatique d'autrui, c'est faire preuve de grossière impolitesse,
point à la ligne.
Certes,
face à l'«impoli», ma réaction fut pour le moins…vive, voire
un tantinet excessive. Je l'avoue! Mais, il fallait que la leçon de
savoir-vivre portât, que l'impertinent s'en souvînt toute sa vie!
En toute modestie, je crois bien lui avoir servi un ace,
ce jour-là! Maintenant que j'y pense, il ne m'a jamais remercié
pour ce «service» bien particulier. Quel ingrat!
Tout
ça pour dire que, si l'écriteau dont il est fait état en début
de texte s'était plutôt lu comme suit : « Prière de ne pas fumer
» ou, plus carrément, « Défense de fumer! », jamais vous
n'auriez entendu parler de ce noir épisode tennistique de mon pas
très glorieux passé sportif!
En
terminant, petite précision d'ordre linguistique. «
Merci de ne pas fumer »,
non seulement c'est impoli comme tournure, mais encore ce n'est pas
vraiment du français. En effet, il s'agit là de la traduction littérale
de "Thank you for not
smoking". En anglais, il est parfaitement correct
et normal de remercier les gens à l'avance, et cette manière
de s'exprimer semble tout aussi bien reçue de la part des
destinataires du message, qui ne s'en formalisent pas une miette.
Question de culture ou de langue…
La
question à se poser alors est la suivante : mon p'tit baveux à
raquette était-il impoli ou anglicisé? Les deux, je dirais. Qu'en
pensez-vous?