« En
passant... »
Textes de Jean-Paul Lanouette
Immortalité à pile!
L'homme
: poilu ou pas?
Doit-il
être velu, l'homme, ou glabre, c'est-à-dire imberbe, rasé, épilé,
«pleumé»…? Voilà la toute dernière version de la grande
interrogation existentielle de Hamlet, ce shakespearien personnage
qui, dans le plus classique des soliloques, se demandait comme ça,
l'air de s'adresser au crâne humain qu'il tenait à bout de bras
devant soi, s'il valait mieux « être ou ne pas être ». L'homo sapiens du XXIe siècle a nivelé ses préoccupations
par la base, revu ses aspirations à la baisse, désormais plus
soucieux de son apparence
que de son essence : « Être ou ne
pas être… poilu? » qu'il lance désormais en détaillant
l'image de son costume d'Adam – plus ou moins «fripé» – que
lui renvoie sans ménagement le miroir «pleine grandeur» (une
psyché, que ça s'appelle).
D'entrée, il faut reconnaître le rapport tordu de l'homme
soi-disant moderne à son pelage : honni
le poil, mais béni le cheveu! Y'a comme une contradiction là,
vous trouvez pas? Car, vous conviendrez avec moi que, hormis un
autre poil, rien ne ressemble plus à un poil qu'un cheveu. Alors
que ce dernier, s'il a l'heur de proliférer sur toute la surface crânienne,
confère ipso facto charme
et vigueur à son dépositaire, le poil, lui, assailli de toutes
parts parce que devenu pilus non gratus ou, en d'autres termes, une excroissance
indésirable, le poil, donc, a perdu des plumes : il figure en tête
de liste des choses déclarées définitivement out par les branchés.
On y
voit, dans ce poil, le soyeux lien par trop apparent qui rattache
l'homme d'Internet à celui de Cro-Magnon;
le système pileux, cuir chevelu non compris, ravalerait donc le bipède
au rang de la bête. Eh oui, et hélas! on assimile la toison à
l'animalité. Dès lors, il devient impérieux de se démarquer de
l'être hirsute pour mieux se rapprocher de la rutilante machine à
surface parfaitement lisse, machine à qui la chimérique immortalité
semble plus facilement accessible.
Le
chien : avec puces ou à puce?
Pourtant,
entre Babette, côté poil,
et Aibo, côté machine,
pas la moindre hésitation possible! Babette, c'est mon superbe terre-neuve
de bientôt trois ans qui dégage chaleur, odeur, etc., et Aibo, un cabot
robot, froid bidule sans âme «créé» par Sony
(il s'agit d'un chien électronique à 3000
$ dont on ose dire dans la notice publicitaire : « Ses quatre
instincts et ses six émotions lui confèrent l'autonomie d'action
d'un véritable toutou. » À
hurler!).
Alors, pour paraphraser le général de Gaulle, je clame du
haut de mon balcon de banlieusard : «
Vive le poil, vive le poil… libre! » Et je ne suis pas seul
à célébrer ainsi la pilosité! Que l'on songe seulement à tous
ces «dégarnis de la coiffe»
(autre façon politically
correct de parler des chauves)
chez qui le poil au menton pourra compenser l'absence parfois mal
assumée de «végétation» dans l'hémisphère nord de la caboche.
On aura beau s'acharner à chasser l'animal qu'il y a chez
l'homme en l'épilant sur toute l'étendue de son corps, occiput
excepté, on aura beau essayer de faire grimper quatre à quatre les
barreaux de l'échelle de l'évolution au contemporain de Bill Gates,
jamais, et c'est heureux, on ne saura l'affranchir des besoins
naturels (boire, manger, dormir…) qu'il partage avec pas mal de
mammifères, à peu près tous poilus… pour leur plus grand
confort et notre total ravissement! Alors, je vous le demande, si
c'est bon pour eux, pourquoi ce ne le serait plus pour nous, qui
avons même presque idolâtré un premier ministre répondant à
l'affectueux surnom de… Ti-Poil?
Semblable
à la bête ou à la machine?
Personnellement,
j'aimerais mieux ressembler à un terre-neuve qu'à un chien électronique
«mis bas» par Sony. Le
premier, tant qu'il coule au sein de votre famille les jours de son
existence toujours trop brève, enseigne à vos rejetons le respect
de l'être censément «inférieur» – de toute forme de vie en
fait –, puis, à sa mort, il trouve encore le moyen d'être utile
et noble en permettant à vos chéris de faire l'apprentissage du
deuil (la mort ne fait-elle point partie intégrante de la vie?),
oui! d'apprivoiser le décès d'un être cher, celui-ci fût-il un
vulgaire (?) quadrupède.
Lorsqu'il
est mouillé, le chien «en
vrai» pue, dégage de douteux effluves; il perd son poil, bave,
aboie – parfois sans raison apparente, mais souvent pour avertir
ses maîtres, ou plutôt ses compagnons à deux pattes, de la présence
d'importuns, voire de cambrioleurs; enfin, caractéristique la plus
importante, il vous aime sans
condition ni restriction.
Quant
au second, l'électronique, on peut dire que la seule mort à
craindre dans son cas, c'est celle de ses piles, qu'il suffira alors
de recharger ou remplacer : adieu les larmes, plus besoin de
consoler personne; il jappe sur commande, c'est-à-dire quand on le
veut bien, mais jamais pour nous alerter si besoin est; c'est, comme
qui dirait, «pas d'trouble»,
ç'a pas d'odeur; ça ne perd
peut-être pas de poil, mais, tant qu'à moi, ça ne gagne pas non plus à être
connu.
Cela
constitue au mieux une façon efficace de se
donner bonne conscience auprès des enfants qui réclament un
toutou… en mettant entre leurs mains, plutôt qu'un être de chair
qui exige entretien et affection sur une base continue, une «bébelle»
virtuelle, un faux clone,
une caricature de chien mal articulée et dont on doit vite se
lasser. Ça fait que… poil,
pas poil, la machine a encore pas mal de croûtes à manger!
Alors,
que sera-ce? un Sony
ou un newfie? rasoir ou toison?