« On a tiré sur le président des États-Unis… »
Depuis quarante ans, tous les 22 novembre, des flashes avec
trame sonore m'assaillent la boîte à idées. C'est beaucoup plus
net, en tout cas, que les sautillantes images muettes et à gros
grain de ce film d'amateur 8mm nous montrant un président se faire
éclater la cervelle dans une Lincoln décapotable!
Chargé
par un prof d'aller quérir quelque livre de référence, je pénètre
dans une bibliothèque déserte, hantée par le vieux franciscain
faisant office de bibliothécaire; en ce début de vendredi après-midi,
tout le monde est en classe. Au moment de signaler mon « emprunt »
au noble vieillard flottant dans un rêche froc de bure brun, je me
rends compte que celui-ci a l'air bouleversé et, ma foi, l'œil
humide. « Qu'est-ce qu'il y a, père, ça ne va pas? » D'une
voix éteinte et chevrotante, il arrive, au prix d'un effort suprême,
à balbutier des mots d'une tonne qui écrasent littéralement mes
jeunes épaules d'ado insouciant de quinze ans : « On a
tiré sur le président des États-Unis… Ils viennent de le dire
à la radio… ». Mon livre sous le bras, je descends
l'escalier quatre à quatre, pressé d'annoncer l'horrible nouvelle
à mes confrères, eux qui, enfermés dans cette bulle étanche
qu'est la classe, sont encore forcément ignorants du drame.
En direct à la télé : moins de 48 heures plus tard,
au sous-sol de la prison de Dallas, on procède au transfert du
suspect – déjà coupable! – capturé dans une salle de cinéma
l'après-midi même du forfait. Se frayant un chemin parmi les
policiers en chapeau de cow-boy, un dénommé Jack Ruby se charge,
en ce jour du Seigneur, de « venger » l'assassinat du
premier président amerloque qui fût… « catholique ».
Faisant feu presque à bout portant dans les entrailles de Lee
Harvey Oswald, ex-marine
marié à une Russe, il lui arrache un rictus mille fois remontré
sur tous les écrans du monde. Je ferme les yeux, et je le revois
pour la mille et unième fois…
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