Le poids des mots
Savoir
choisir le terme massue, qui « fesse » d'aplomb
Après
avoir vainement tenté de nous faire prendre des vessies pour des
lanternes en nous vantant les mérites prétendus d'une réingénierie
qui n'est rien d'autre qu'une façon purement anglaise (reengineering)
de décrire de très « amaigrissantes »
restructurations, voilà que nos brillants spécialistes de
l'enflure verbale ont décidé de remettre ça. Cette fois, ce sont
les défusions qu'ils se mêlent de débaptiser sans ménagement!
Ouais!
à l'aube des lourdes consultations populaires auxquelles, pour une
rare fois fidèle à ses promesses électorales, le gouvernement
Charest s'apprête à procéder à grands frais, force est de le
reconnaître : bien malin (ou retors?) celui qui a suggéré ou
imposé l'utilisation systématique et exclusive du mot de démembrement
– plutôt que de celui de défusion
– dans l'ensemble des communications et documents portant sur la
question!
En effet, messieurs-dames, y'a toute une différence entre
donner son aval à un démembrement et voter en faveur d'une simple
(?) défusion.
Qui
dit démembrement dit partition d'un tout, atteinte à une intégrité réputée
indivisible : on passe de l'entier à la fraction. Appliqué à
l'homme, le mot évoque les supplices moyenâgeux et les
attentats-suicides : difficile d'être « pour », me
semble-t-il… Demandez seulement à John Bobbitt, célèbre démembré
(au-dessous de la ceinture!!!) « remembré » in
extremis, ce qu'il pense du… démembrement.
Quant
à défusion, terme technique qui ne titille guère la fibre émotionnelle
du bon peuple, cela correspond platement à une inversion de
processus, à un retour en arrière : on délaisse l'entier
gonflé artificiellement pour revenir, en quelque sorte, à une série
d'entités de taille plus modeste (« à dimension humaine,
comme avant », ne manqueront point de faire ressortir
d'aucuns). Appliqué à un choix, le mot pourrait évoquer, aux yeux
de certaines gens férus de tradition, un bon vieux set
carré câlé :
« Changez de côté, vous vous êtes trompés! »
Tout
ça pour dire que, comparé ou opposé à défusion,
qui est somme toute plutôt « drable » et neutre, démembrement porte une très forte charge affective susceptible
d'influer grandement sur la décision des personnes appelées à se
prononcer sur l'avenir de « leur » grosse ville.
Celui
qui ne veut pas qu'on touche à son chat l'appelle tigre
Par
son choix de termes, le gouvernement ne montre-t-il pas de façon
par trop évidente de quel côté il penche… à en tomber dans le
ridicule le plus consommé? Or ça, excusez-moi, mais, comme disent
nos bien chers cousins d'outre-Atlantique, c'est pas très « réglo »
comme procédé! En fait, ménager les apparences est un art dont on
semble pas mal « se fouter », du moins dans la
gestion de ce dossier devenu embarrassant, ô combien!
Désolé,
M'sieu Chose, mais on vous voit et vous entend venir de loin avec ce
gros sabot que vous vous êtes si bien enfoncé dans la bouche (un
seul sabot aux pieds et l'autre entre les dents, non seulement ça
marche mal, mais ça parle mal en diable!). De quoi me filer, contre
toute logique bassement épicière destinée à « faire peur
au monde », l'irrépressible envie de grossir les rangs de
moins en moins clairsemés des défusionnistes, ces affreux « démembreurs »,
rien que pour le plaisir d'être désobligeant à mon tour – à ma
façon et selon mes maigres moyens s'entend.
Je ne
vous dis donc pas merci – et encore moins félicitations – pour
vot' « beau » programme!
En
passant et en terminant… La défusion
risquerait, selon de savantes analyses un peu beaucoup
tendancieuses, de nous « coûter un bras ». Est-ce pour
cela que les gros maires et les « brasseux d'affaires »
amis du pouvoir s'estiment fondés à agiter avec force « sparages »
le spectre du démembrement?
Pourquoi donc les soupçonné-je plutôt d'être prêts à toutes
les entourloupettes, terminologiques ou
autres, pour ne point perdre une partie de leur « royaume »
gonflé à l'hélium? Je dois être de mauvaise foi…
En
guise de post-scriptum
Par dérision plutôt
que par noble souci d'objectivité ou de « neutralité »…
– À ceux qui seraient tentés de me demander si, en fin de
compte, au tréfonds de mon être, je suis pour ou contre les défusions/démembrements,
je ferai cette réponse classique de politicien désireux de ne pas
se mouiller : « Ni pour ni contre, bien au contraire! »