« Garder ses options ouvertes »
Chez un peuple qui, à quelques mois d'intervalle, peut voter
« libéral » au provincial, puis « indépendantiste/souverainiste »
au fédéral, normal de savoir manier les mots, jongler avec les
concepts, ménager non seulement les susceptibilités et les
principes, mais encore la chèvre et le chou, affirmer des choses
sans rien dire, éluder le définitif pour se cantonner couardement
dans le peut-être… avec des « on verra » plein la
bouche. Ah! l'art subtil d'avoir l'air mouillé sans se jeter à
l'eau!
J'en
veux pour preuve le choix de termes de M. Pierre Corbeil, de la Régie
de l'énergie, qui est venu nous apprendre en début de semaine que
le projet de construction de la centrale thermique du Suroît était
« souhaitable », mais « pas indispensable ».
J'applaudis la trouvaille, que dis-je? je crie bravo! en redemande
presque.
Posséder
des « billets de saison » au Centre Bell, gagner le gros
lot au nouveau 6/49 à deux « piastres », désirer très
fort sa tendre moitié même après plus de vingt années de couche
commune, rouler à urne ouverte en Mercedes cabriolet, rester jeune,
chevelu et beau, être patron et néanmoins aimé, nager dans le
bonheur « tôtal » et en faire profiter tout le monde
autour de soi et ailleurs, tout ça, le croiriez-vous, gens de peu
de « pouvoir », est… souhaitable, mais, fort
heureusement, non indispensable. Ouais! toutes ces belles et bonnes
choses, on peut vivre sans, et être heureux, oh que si! Et, n'en déplaise
aux grands planificateurs hydro-québécois – ceux qui « savent »
–, c'est idem pour la
centrale au gaz par eux projetée envers et contre Kyoto!
Désolé,
M'sieu Corbeil! Reconnaissez-le : personne ne risque rien à
monter sur une tribune pour lancer truismes aussi patents à la face
de Québécoises et de Québécois « au courant »!
La
centrale précitée, les citoyens n'en veulent pas, c'est clair!
Mais, plus évident encore, Hydro y tient mordicus, elle. D'où :
problème! Pourquoi alors ne pas reporter de nouveau la décision à
plus tard, en faisant habilement valoir que c'était, somme toute,
la meilleure solution envisageable? Comment diable avait-on pu ne
point y penser plus tôt? C'est si limpide… En franglais, on
appelle ça : garder ses options ouvertes.
À
court d'arguments spécieux pour vendre sa « machine à CO2 »,
en mal de poudre à jeter aux yeux des citoyens pas chauds à l'idée,
Hydro ne peut que se réjouir de ce ixième report, à l'automne
cette fois. Car on ne lui a pas opposé une fin de non recevoir, et
c'est ce qui compte; tous les espoirs restent donc permis. « Laissons
retomber la poussière, laissons s'exprimer (lire : se défouler)
les opposants au projet… À l'aube de l'hiver, notre salade sera
sans doute plus facile à vendre aux frileux.»
Comme
l'impression qu'on s'acharne à essayer de noyer un poisson qui,
pourtant, commence à sentir sérieusement le pourri…