« Coupez! »
Je ne sais pas si c'est parce que je vieillis ou quoi, mais
disons que de récentes images de « mon » Téléjournal
m'ont rappelé que je ne suis pas blindé, loin s'en faut!
Je l'avoue : ces derniers temps, ma tolérance à
l'horreur s'est vu éprouver au-delà de la zone dite de confort (il
serait sans doute plus juste de parler de zone d'habitude, non?).
Après tant d'années à me farcir plus ou moins consciemment le
ciboulot d'images toutes plus « graphiques » (lire
explicites) les unes que les autres – de l'Holocauste à l'Irak,
en passant par le Vietnam, sans oublier l'incontournable Hollywood
–, je me croyais bien à l'abri derrière la façade de mon écran
de télé.
Ça,
c'était jusqu'à ce qu'on me « garroche » à la face
des carcasses calcinées, puis, quelque temps plus tard, une exécution
ku-klux-klanesque, le tout
entrecoupé de photos-à-la-une où l'on voit l'homme (et même sa
fiancée, comme dirait Foglia) se ravaler lui-même au rang de la bête
– dans certains cas, on l'a vu, l'animal n'était pas celui qui se
trouve à l'extrémité sud de la laisse… Y'a pas à dire, ces
manifestations d'« hommerie » dont on me martèle les
prunelles sans ménagement ces jours-ci témoignent on ne peut mieux
de « l'insoutenable lourdeur de l'être ».
Tout
bien considéré, j'aime cent fois mieux me laisser surprendre par
une parcelle de mamelle accidentellement (?) dévoilée en plein
« Super Boule », pas vous?!
J'ai
la désagréable impression qu'on en donne plus que le client n'en
demande. La quotidienneté de l'horreur à la télé et dans nos
journaux ne risque-t-elle point, en fin d'émission, de faire de
nous des zombies, c'est-à-dire des citoyens blasés jusqu'à l'os,
que dis-je? jusqu'à l'âme?
Que
m'apporte-t-on vraiment en me montrant tout sans restriction? De
quelle résistance veut-on repousser les limites? Craindrait-on que
toute retenue ne vienne frustrer l'incurable voyeur qui sommeille en
moi d'un seul œil?
Moi, vous savez, quand il est question de l'intolérable ou
du full choquant, je sais me contenter des mots. En effet, si Bernard (Derome)
m'en parle en me regardant droit dans les yeux, ça me suffit :
pas besoin de le constater de
visu. Est-ce faire l'autruche que de vouloir décrocher d'une
escalade d'images qui conduit tout droit à l'« enfer sur
terre »? Vivement le sevrage, donc : je n'en perdrai
aucunement mon sens critique, soyez-en assurés, chers
communicateurs « à tout prix ».
J'en ai plus que marre de ce cinéma « réalité »
qui, à l'image des émissions de télé du même nom, ne me fait
aucunement « grandir » et favorise plus les discussions
de brasserie que la vraie réflexion! Aussi, est-ce sans la moindre
retenue que je me permets de crier : « Coupez! » – on
voudra bien excuser, ici, la cruelle ironie dont je fais
involontairement preuve par mon choix de terme…
Une image vaut mille mots, vous dites? Envoyez les mots, je
préfère, du moins par les temps qui croulent.