(Version
préliminaire d’abord publiée sur le site cybernéen
« Impératif français »)
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On le
parle de mémoire pas besoin de traducteur
On a tous sans le savoir un Larousse dans le coeur
Avec ses tournures de province et ses pointes d'accent
Il a fait trembler les princes, tomber les présidents
[...]
Si le
rêve de quelques-uns est d'en faire un patois
Une langue de rien, un parler d'autrefois
Ne prenons pas la gomme à effacer les mots
À effacer les hommes qui chantent à la radio
[...]
Qu'on
écrive les Droits de l'Homme ou « Ne me quitte pas »
Se comprendre d'abord c'est s'entendre déjà
Avec ma femme je l'avoue les « je t'aime » sont naturels
Dois-je dire « I love you » pour être universel ?
Laissez
chanter le français
Laissez chanter le français
Pierre
Bachelet, Laissez chanter le français
Ça devient
tout à fait insupportable ce charabia franglais, gens de ZD-net
France.
Dans chacun
des courriels quotidiens d'information que vous m'acheminez (e-mail,
as you say), un mot sur trois, ou quatre, n'est pas français.
Mais qu'est-ce donc à la fin que cette maladie contagieuse française
– car la Belgique et la Suisse s'y mettent allègrement à leur tour
dans la foulée – qui consiste en France à se gausser dans
l'indifférence générale de la France même ?
Vous jetez
littéralement votre idiome aux ordures, comme si celui-ci était
congénitalement inapte à nommer et à penser le monde. Or pour ma
part je ne peux plus, mais vraiment plus, manger de ce pain-là. De
ce pain noir. Décidément indigeste.
L' anglais
vous vient désormais à l'esprit spontanément ; les guillemets en
surnuméraires, fussent-ils « français », ne changeant rien à
l'affaire. À croire que le français est devenu rien moins, rien de
plus, qu'une langue seconde dans votre propre maison, dans vos
propres châteaux – de Versailles, de Blois, de Chenonceau, de
Chambord, de Fontainebleau. Ou de Montségur. Les entreprises et les
commerçants de chez vous (en priorité quoique nullement en
exclusivité, car la société française dans sa quasi-totalité
s'abandonne en effet « avec bonheur » à cette joyeuse déliquescence
nationale) ont-ils donc perdu jusqu'à la plus infime parcelle de
dignité, à l'exemple d'un peuple totalement colonisé de l'intérieur
par quelque bactérie mangeuse de chair ?
Il est vrai
que zdnet.fr net ne constitue qu'une illustration ponctuelle,
quoique exemplaire, de l'auto-éradication de la francité depuis son
berceau même. Et vraisemblablement, les phoques de madame Bardot
(nonobstant la beauté du geste) semblent aux yeux des Français
infiniment plus cruciaux pour l'avenir de l'humanité que la
disqualification définitive d'une langue et d'une culture. La leur
de surcroît.
Celle des
Molière, des LaFontaine, des Vaugelas, des Racine, des François 1er,
des Montaigne, des Diderot, des Voltaire, des Chateaubriand, des
George Sand, des Balzac, des Flaubert, des Lamartine, des Colette,
des Pasteur, des Mallarmé, des Marie Curie, des Clemenceau, des
Jaurès, des Simone Weil, des Queneau, des Prévert, des
Mendès-France, des Malraux, des Blanchot, des Brassens, des Camus,
des Anne Sylvestre, des Deleuze, des Derrida.
Or une
France non française n'a plus d'intérêt pour quiconque.
Pas plus qu'une Pologne américaine, une Chine italienne ou un Québec
canadian. Voilà ce qu'il faudrait peut-être un instant
méditer tous ensemble.
Quand nous
serons tous « identiques », et que nous aurons extirpé avec force
asepsie toutes nos différences, l'autre – mon trop semblable
– ne sera plus d'aucun intérêt. Car ce ne sera plus que du même.
Qui soudain n'aura plus rien à m'offrir ou à partager, ni,
réciproquement, de moi à recevoir, recueillir ou accueillir. Sous le
couvert de l'Universel – au nom de quelque Nous vide de toute
substance, « pacifié » sous l'égide d'une puissance plus ou moins
occulte, et d'ailleurs moins réfléchie, choisie et assumée
qu'instillée en douce par le biais des fissures béantes inhérentes
au refus véritable de la pensée, de l'acte créateur et de la liberté
– nous construisons dans notre présent moyen-âge un monde où l'homme
devient pour lui-même inutile, superflu. Sans intérêt. Appelons-le,
ce monde, le monde sac-de-billes. Ou l'Aliénation comme sommet de
Civilisation.
Si la
« différence » se révèle fauteur de guerre à l'occasion*,
il est vrai, elle est en revanche la voie indépassable et obligée du
lien constructif, de la communication authentique et – osons
l’obscénité de ce terme ringard pour tout Français qui se
« respecte » – de l'amour. Et ce, dans toutes les déclinaisons
imaginables de cette main tendue – du respect et de la
reconnaissance à l'amitié et l'admiration.
En conséquence
(soyons presque brefs en cette présente), voilà pourquoi,
ZDnet.fr, je me retire de votre service d'abonnement que je
résilie à l'instant. Congruence intellectuelle, santé mentale et
oxygénation culturelle obligent.
Tant qu'à lire
de l'anglissh à pleines pages, n'est-ce pas, aussi bien se diriger
directement et sans détour vers les sites cybernéens (web sites,
as you say tout de go) proprement britanniques,
étatsuniens ou australiens.
Vaut mieux
l'original. Et il faut bien convenir qu'une France non française
sera toujours une vulgaire copie – tout calque étant d'essence
vulgaire par son caractère de pastiche sinon d'imposture.
Visiblement,
la Fille de Clovis, de Charlemagne, de Louis XIV et de Napoléon opte
désormais pour le statut de rémora par opposition à celui de la
force tranquille de l’orque, voire du magnifique pachyderme des
savanes du Tchad ou du Sénégal où, incidemment, la langue de
l'ex-métropole se voit autrement étreinte, soignée, attifée – avec
tendresse, respect, fierté, intelligence et, par-dessus tout,
loyauté. Puisque en la matière, il faut bien le dire, les
« colonisés » de jadis (dont les Québécois, à leur manière, de 1759
à 1959) semblent depuis lors s’être investis d'un amour-propre qui
paradoxalement, tragiquement aussi, fait cruellement défaut chez les
anciens « maîtres », lesquels s'accordent dorénavant dans la plus
parfaite insouciance l’insigne honneur de chausser les boots
du valet. Et ma foi ! de les trouver chaudes et confortables à telle
enseigne qu'il ne leur vient plus à l'esprit d'en changer.**
Comment en
quelques années à peine, une décennie tout au plus, une nation aussi
fière et cultivée que la vôtre a-t-elle pu sombrer dans un
asservissement pareil : volontaire, satisfait, heureux...?
Nation
toujours fin prête à sonner la retraite et à justifier par tous les
sophismes possibles – sous couvert tantôt de pragmatisme, tantôt
d’ouverture (béante comme piège à ours), tantôt de lucidité – la
démission et l'exil intérieur. Et moi qui croyais que la
Collaboration n'avait été qu'un dramatique accident de l'Histoire au
pays des Jeanne d'Arc et des Charles de Gaulle. Hélas ! il
semblerait que les Jacques Doriot, les Joseph Darnand et les Robert
Brasillach de notre époque, voire les Maurice Papon, les René
Bousquet, les Klaus Barbie et les Paul Touvier, soient remontés aux
barricades pour en finir – une fois pour toutes – avec ce concept
ridicule que l'on appelle : dignité des hommes et des peuples.
So, Welcome
all Yellow Cabs !
Ça fait mal,
très mal, vous savez, de voir un être aimé (car les Québécois
restent profondément attachés à la France, du moins à la haute idée
qu'ils persistent désespérément, à tort ou à raison, à s'en faire)
culbuter de la sorte dans l'insignifiance de sa propre négation
tranquille, qu'il vit du reste comme étant tout à fait naturelle
et, pour ainsi dire (parce que ça ne veut rien dire, tout justement)
dans l'ordre des choses.
« Chose ».
Voilà manifestement le concept-pivot de notre humanité dépensante.
Quand la
dignité disparaît progressivement des rapports humains, individus ou
collectivités, il n'y a plus rien qui tienne. Tout, hommes et
choses, se réduit alors à une même valeur uniforme, objectale,
interchangeable. Marchande.
Comment un
pays tout entier – les exceptions, de Dutourd à Orsenna, Druon,
Pivot, Berger ou Cassen, Duteil à la rigueur (vivants et disparus
ici réunis), se faisant fort rares et plutôt discrètes parmi la gent
informée et réfléchie des lieux – peut-il viser à son propre
anéantissement ? Voilà une pathologie aussi répandue que « le bon
sens » selon Descartes – et que l’on nommera servitude volontaire –
à proposer en examen aux Pontalis et aux Lacan de votre camp, de
notre temps.
Sur-le-champ.
Jean-Luc Gouin
LePeregrin@yahoo.ca
Capitale nationale, Québec,
9 février 2005
*
Qui donne parfois sur des énormités auxquelles même les grands de ce
monde, sociologiquement sinon dans leur personnalité singulière, et
loin s'en faut, n'échappent nullement : « Le nationalisme, c'est
la guerre ! » (dixit François Mitterrand, à la faveur de
son second mandat présidentiel si je n’abuse personne). Bref,
éliminons les enfants : il n'y aura plus de bagarres dans les cours
d'écoles ; éliminons les femmes : on résoudra du coup les conflits
conjugaux ; éliminons la francité : on s'épargnera le travail de
Résistance face à l’absolutisme anglo-américain. En un mot : Soyons
veules ! Ça nous évitera le harassant labeur qui est de nous
conduire comme des hommes. Soyons « cartésiens », toutefois. Et
saisissons bien que pour obtenir la paix, la sainte paix, il
nous faudra en dernier ressort éradiquer « le mal » à sa racine :
l'homme tel qu'en lui-même. À cette condition, et à cette condition
seulement, se déploiera enfin le grand rêve de l'Universel : la fin
de l'humanité comme ultime finalité de la civilisation. Ah...
écrivait le Cioran de De l'inconvénient d'être né : « N'être
pas né, rien que d'y songer, quel bonheur, quelle liberté, quel
espace... » Fabuleux projet, en effet. Et toujours à portée de main
d'homme. Suffit d'interdire l'avenir.
**
Il n’y a pas jusqu’au Monde – symbole incontestable
(?) de la France pensante, éclairée, vigilante et instruite des
souffrances de ce monde (à tout le moins, avant qu’Edwy Plenel et
alliés idéologiques « francofrancophobes » {Alain Minc, Jean-Marie
Colombani…} n’aient investi les lieux) – qui n’accueillît ses
lecteurs à coups de Desk, de E-mail, de Newsletters,
de Blogs, de Shopping, de Check-list, de Web,
de Webmaster, de Sponsors, de Big Picture, de
Cocooning, de PlugIn et autres douceurs typiquely
hexagonales. France-Culture, icône analogue du
raffinement intellectuel grand’public dans la matrie des Foucault et
des La Rochefoucauld (et dieu sait combien, a contrario,
cette antenne européenne reste à tous égards supérieure aux chaînes
publiques de Radio-Canada, ô combien dérisoires depuis
qu’elles se voient assujetties à la funeste inculture de ces gérants
à la Rock-Détente nommés par nos Jean Chrétien de service, et
qui s’appellent Robert Rabinovitch, Daniel Gourd ou Sylvain Lafrance),
France-Culture, disais-je donc, n’échappe pas non plus
à ce dépérissement calamiteux en nous offrant – parmi moult
illustrations hélas ! toutes aussi ostensibles les unes que les
autres par leur caractère systématique d’acculturation/dénaturation
– une section « Hugo Story » (dont au surplus, cela dit au
passage, la plupart des hyperliens ne mènent nulle part). Victor
Hugo en personne fondu comme beurre en poêle dans le Chicken
Salad de tous les MacDonald’s de l’ensemble du territoire
de la République. Bref rien n’est plus tabou désormais, alors même
que tout se dissout dessous la chape de l’englissement réclamé à
cors et à cris par… les francophones européens.
À n’en pas
douter, Friedrich W. Hegel lui-même, indéfectible admirateur du
génie français en dépit (notamment) de la Terreur robespierrienne,
eût été un témoin inconsolable du spectacle désolant de cette
bascule Maître/Serviteur (« Her / Knecht Dialektik »)
– dont jadis il thématisa le principe, on le sait, depuis ses foyers
de la romantique Iéna. C’est d’ailleurs aux fenêtres de ceux-ci
qu’il eut, dans une vive émotion, l’occasion d’apercevoir l’Empereur
de ces étonnants Français - « cette âme du monde concentrée ici dans
un point assis sur un cheval » qui venait tout juste de pilonner la
paisible cité…