Le poil, c’est…
au poil!
Doit-il être velu, l’homme, ou
glabre, c’est-à-dire imberbe, rasé, épilé, « pleumé », quoi?
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« Vive le poil! »
(Adèle, Babette et… Lanouette) |
Voilà la toute dernière
version de la grande interrogation existentielle de Hamlet, ce
shakespearien personnage qui, dans le plus classique des soliloques, se
demandait comme ça, l’air de s’adresser au crâne humain qu’il tenait à
bout de bras devant soi, s’il valait mieux « être ou ne pas être ». L’homo
sapiens du XXIe siècle, lui, a nivelé ses préoccupations
par la base, revu ses aspirations à la baisse, désormais plus soucieux
de son apparence que de son essence : « Être ou ne pas
être… poilu? » qu’il lance désormais en détaillant l’image de sa nudité
que lui renvoie sans ménagement la psyché, ce miroir « pleine grandeur »
qui ne saurait mentir.
D’entrée, il faut reconnaître le rapport tordu de l’homme soi-disant
moderne à son pelage : honni le poil, mais béni le cheveu! Y’a comme une
contradiction là, vous trouvez pas? Car, vous conviendrez avec moi que,
hormis un autre poil, rien ne ressemble plus à un poil qu’un cheveu.
Alors que ce dernier, s’il a l’heur de proliférer sur toute la surface
crânienne, confère ipso facto charme et vigueur « samsonienne » à
son dépositaire, le poil, lui, assailli de toutes parts parce que devenu
pilus non gratus ou, en d’autres termes, une excroissance
indésirable, le poil, donc, a perdu des plumes : il figure en tête de
liste des choses déclarées définitivement out par les branchés.
Sans doute qu’on y voit, dans
ce poil, le soyeux lien par trop apparent qui rattache l’homme
d’Internet à celui de Cro-Magnon. Le système pileux, cuir chevelu non
compris, ravalerait donc le bipède au rang de la bête. Eh oui, et hélas!
on assimile la toison à l’animalité. Dès lors, il devient impérieux de
se démarquer de l'être hirsute pour mieux se rapprocher de la rutilante
machine à surface parfaitement lisse, machine à qui la chimérique
immortalité semble plus facilement accessible.
Alors, pour paraphraser le général de Gaulle, je clame du haut de mon
balcon de banlieusard : « Vive le poil, vive le poil… libre! » Et je ne
suis pas seul à célébrer ainsi la pilosité! Que l’on songe seulement à
tous ces « dégarnis du coco » chez qui le poil au menton pourra
compenser l’absence de « végétation » dans leur hémisphère nord.
On aura beau s’acharner à chasser l’animal qu’il y a chez l’homme en
l’épilant sur toute l’étendue de son corps, caboche exceptée, on aura
beau essayer de faire grimper quatre à quatre les barreaux glissants de
l’échelle de l’évolution au contemporain de Bill Gates, jamais, et c’est
heureux, on ne saura l’affranchir des besoins naturels (boire, manger,
dormir…) qu’il partage avec pas mal de mammifères, à peu près tous
poilus… pour leur plus grand confort… et notre total ravissement – la
fréquentation des zoos en fait foi, non?
Alors, je vous le demande, si
c’est bon pour « eux », pourquoi ce ne le serait plus pour « nous », qui
avons même presque idolâtré un premier ministre répondant à l’affectueux
surnom de… Ti-Poil?
De toute
façon, l’expression « à poil » paraît solidement implantée (sans jeu de
mots) dans nos mœurs les plus légères, consacrée qu’elle est par des
siècles d’usage, et je vois mal comment une invitation aussi plate que
« à peau » pourrait la détrôner, que ce soit dans le Petit Robert…
ou dans le lexique des réalisateurs de films porno!
Jean-Paul Lanouette, traducteur agréé et… poilu agréable
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ERRATUM :
Pas d’quoi vous
faire dresser le
poil sur les bras, ni les cheveux
sur la tête, mais…
Excusez-la! Dans le brillant exposé sur le poil que je vous livrais il y
a peu (c’est bien sûr l’exposé, et non le poil, qui vous était alors
présenté!), dans mon savant laïus, donc, j’ai commis ce que l’on
pourrait appeler un « télescopage de références ». Impardonnable,
vraiment! Et j’ai honte, of course!
En effet,
lorsque je parle de
« […] la grande
interrogation existentielle de Hamlet, ce shakespearien personnage qui,
dans le plus classique des soliloques, se demandait comme ça, l’air de
s’adresser au crâne humain qu’il tenait à bout de bras devant soi, s’il
valait mieux “être ou ne pas être” »,
j’affiche hélas une inculture crasse, ô combien!
Car quiconque a
des lettres – ou se targue d’en avoir tant soit peu – devrait savoir que
la scène où Hamlet se pose « ze » question (Acte III, scène I)
n’est pas la même où il observe pensivement le crâne qu’il tient dans la
main (Acte V, scène I).
C’est en ce
matin du dimanche 3 juin 2007 que, assailli par le doute, je suis allé
vérifier grâce à Google si le to be or not et la « tête
de mort » allaient de pair… pour constater, primo, que je
m’étais fourré le doigt dans l’œil, et, secundo, que je ne suis
pas le seul à commettre cet « impair littéraire[1] »
qui consiste à réunir en un seul ces deux « moments forts » de la pièce
du grand William S.
Or, bien mince
consolation que celle d’avoir tort en gang. « Bienvenue chez les
faux intellos! me suis-je dit. Me v’là mûr pour Guy A. Lepage et son
prétentieux Tout le monde en parle! » Il ne me reste plus qu’à
battre ma coulpe, comme s’il s’agissait d’un poulpe à attendrir…
Errare humanum
est
Si le fait d’arborer
du poil me rappelle constamment mon « animalité », celui
de faire des erreurs vient régulièrement me confirmer –
aujourd’hui, entre autres – mon… « humanité », dans ce qu’elle a
de moins reluisant, il est vrai.
Faut-il m’en réjouir,
ou si je dois au contraire m’en désoler? C’est là une autre question… à
me poser, celle-là, en me grattant le crâne.
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[1] On voudra bien
me pardonner, j’espère, cette ou cet hypallage hardi(e)!