mercredi 16 février 2011
Pour en finir
avec cette vue méprisante du
haut vers le bas
Réponse à la
Chronique de Nicklaus Davey
Les belles-sœurs
de Michel Tremblay sont des
papotteuses qui parlent joual
mais cela ne les empêche pas de
dire des choses intelligentes
sur leurs souffrances, sur leurs
rêves, sur les autres, sur la
politique et sur leur « petite
vie ». Parfois elles disent leur
révolte, avec humour, face à
l’injustice qui les atteint
jusqu’au plus intime
d’elles-mêmes ; d’autres fois,
elles rient du peu d’années
qu’elles ont passé à l’école, de
la langue pleine de fautes
qu’elles parlent, des idées mal
achevées, peu claires, qu’elles
essaient de mettre en mots.
Ces
belles-sœurs ne sont pas des
expertes qui prétendent pouvoir
offrir des recettes permettant
de solutionner les problèmes de
la société : elles sont tout
simplement des gens bien
ordinaires qui s’intéressent à
la vie, à leur vie et à celle
des autres, à leur famille et à
la cité, apportant leur point de
vue sur les choses sans la
fausse prétention de
l’intellectuel, dans la modestie
de celles et de ceux qui osent
dire quelque chose tout en ayant
peur qu’on rira d’elles ou
d’eux.
Et pourtant
elles prennent courageusement la
parole parce qu’elles se sentent
portées par le devoir
d’intervenir non seulement dans
les conversations privées mais
aussi dans les débats publics :
elles ne veulent pas en effet
laisser aux autres le soin de
prendre tout seuls, à leur
place, des décisions qui les
concernent. Ce qu’elles ont à
dire, elles le disent souvent
maladroitement, sans y mettre
les formes, parfois en passant à
côté de la question dont on
débat.
C’est ainsi que la démocratie
est faite ou qu’elle devrait
être faite, surtout à son palier
le plus près des gens qui est
celui de la vie municipale. Je
ne parle pas ici de la
démocratie des seuls jours
d’élections mais de la
démocratie plus réelle et plus
fondamentale, celle-là qui se
pratique dans les assemblées
publiques, là où le droit de
parler et de donner son opinion
doit être considéré comme un
droit primordial.
Les assemblées
municipales sont bel et bien un
lieu où les membres du Conseil
ont à débattre entre eux afin de
prendre les meilleures décisions
possible pour l’ensemble de la
collectivité ; elles sont aussi
– il ne faut pas l’oublier – des
sortes d’écoles où les citoyens
pratiquent la vie démocratique
en s’engageant dans les débats
de la cité, en donnant leur
opinion, fut-elle mal informée,
et en la formulant dans le style
qui est le leur, boiteux pour
certains, peu clair et tout
croche pour d’autres. On ne
vient pas à l’assemblée
municipale comme on va au
théâtre ; les membres du conseil
ne sont pas des acteurs qui sont
les seuls à tenir un rôle.
En tant que premier magistrat,
le maire d’une ville est le
garant de la liberté de parole
des citoyens et le protecteur de
leur droit à se faire entendre,
même lorsqu’une personne a peu à
dire, qu’elle le dit fort mal et
qu’on a l’impression qu’elle
fait perdre son temps aux
autres. On n’ira jamais trop
loin dans la protection de la
liberté de parole ; bien sûr on
se doit d’exiger que le citoyen
qui intervient publiquement le
fasse dans le respect des
opinions des autres, dans un
style qui ne blesse personne et
dans l’à-propos par rapport au
sujet discuté.
Il est
légitime de rappeler à l’ordre,
avec politesse, la personne qui
ne se soumettrait pas aux règles
d’un décorum minimal. Pour moi,
ce n’est pas l’abus du droit de
parole qui me fait peur mais
bien plutôt l’inverse : le refus
de donner la parole à qui la
demande m’apparaît être une
sorte d’affront – peu importe de
qui il s’agit – ; un tel refus
est, selon les cas, tantôt un
véritable abus d’autorité tantôt
une censure, l’un et l’autre
étant rarement justifiables.
Va-t-on demander aux vieux –
surtout s’ils sont d’anciens
syndicalistes – de ne plus se
lever pour parler dans les
assemblées ?
Va-t-on
essayer d’identifier les sages –
il s’en trouve dans Sorel-Tracy
– et les prier de venir donner
leur avis pour le bénéfice de
tous ?
Va-t-on exiger
d’avoir la tête de l’emploi pour
participer, en tant que citoyen,
aux débats de l’assemblée
municipale ?
Quels que
soient les critères sur lesquels
un Conseil municipal pourrait
éventuellement s’entendre pour
décider du profil de celle ou de
celui qui aura droit de parole,
ces critères seront toujours
forcément injustes, partiaux et
anti-démocratiques. Voilà ce qui
me fait peur quand on se met à
regarder les autres du haut de
son piédestal et qu’on semble
penser que certains sont des
ignorants, des mal léchés et des
schnocks grincheux qui n’ont
absolument rien à contribuer
pour l’amélioration de la vie de
la cité. Cette sorte d’élitisme
qui n’a jamais rien donné de bon
m’indispose profondément.
J’invite ceux qui en appellent à
limiter le droit de parole à
méditer sur ce qui vient de se
passer au Caire. Sur la place
centrale de la capitale
égyptienne, ce sont des gens
bien ordinaires qui ont entendre
comme un immense cri qu’ils ont
lancé en direction d’un
Président corrompu qui a caché
des dizaines de milliards
d’argent public dans des banques
étrangères.
Ce ne sont pas
les grands intellectuels du pays
qui se sont tenus debout mais
bien plutôt des hommes et des
femmes ordinaires, souvent peu
éduqués et pauvres. Ces hommes
et ces femmes ont été capables
de faire un excellent diagnostic
sur leur situation désastreuse
et sur la mauvaise gestion des
affaires publiques ; ces hommes
et ces femmes ont aussi proposé
une thérapie à leur mal.
Pourquoi les gens ordinaires
d’ici seraient-ils incapables de
pareille lucidité ?
Yvon Bibeau, Conseiller de la
Ville de Sorel-Tracy
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