LE SORELTRACY MAGAZINE     *  Dernière mise à jour : dimanche 29 juillet 2012 15:43

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NÉCROLOGIE

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dimanche 29 juillet 2012

UN EXTRAORDINAIRE AFFRONT À LA NATION QUÉBÉCOISE
Lettre ouverte au Président de la République française, M. Nicolas Sarkozy

[ Mars 2008]

Re : PAUL DESMARAIS récipiendaire de l’insigne de la Grand-Croix de l’Ordre national de la Légion d’honneur

Le Président Sarkozy a commis récemment ce qu’il serait convenu d’identifier comme un faux pas diplomatique majeur. Or, signe des temps (?), l’« événement » est pour ainsi dire passé inaperçu. À l’Élysée, à Matignon, au Quai d’Orsay indifféremment. Pourtant il n’y a pas si longtemps encore – fût-elle oblique ou symbolique, elle n’en reste pas moins retorse – pareille gifle à la légitime Volonté de Liberté des Québécois n’aurait pas même franchi le seuil de la facétie imaginaire, toutes couleurs politiques confondues, chez un Michel Rocard, un Philippe Seguin, un Edgar Faure, un Raymond Barre, un Pierre Mauroy ou un Valéry Giscard d’Estaing. Ni même chez un Jacques Chirac. A fortiori chez l’homme du 18 Juin, soudain métamorphosé en homme de Montréal, 27 ans plus tard, le temps d’un radieux 24 Juillet qui lui aura rappelé rien moins, et je cite, que « l’atmosphère de la Libération ». Mais qu’est donc la France devenue, monsieur le Président…?

Addendum du 28 Juillet 2012 : Jusqu’à tout récemment ce texte était (depuis Mars 2008) accessible par le biais du site cybernéen du Nouvel Observateur. Or on informait l’auteur ce printemps (en pleine campagne électorale présidentielle) que celui-ci se verrait – faute d’espace… – éradiqué des lieux. D’où la ressaisie de cette intervention publique (en copie rigoureusement conforme à l’originale) sur la présente aire du site québécois Sorel-Tracy Magazine.

« Prends garde, France, de ne pas perdre ton âme »
(depuis l'exemplaire d'un tract de la Résistance, Paris/1941,
en regard à la passivité généralisée des Français face à l'Occupant)

 

M. Michel David, un chroniqueur respecté de la presse québécoise, écrit ce qui suit dans un article intitulé « Un ennemi bien placé », et publié dans le quotidien Le Devoir du 19 février 2008 :

« [...] M. Sarkozy, qui effectuera une première visite au Québec l’automne prochain, à l’occasion du Sommet de la francophonie, ne pouvait cependant pas ignorer que l’homme qu’il honorait aussi ostensiblement était aussi l’ennemi juré des souverainistes québécois. Le choix de la décoration n’était sans doute pas fortuit. Les premiers ministres québécois ont généralement droit au rang de commandeur de la Légion étrangère (sic). Exceptionnellement, René Lévesque avait été nommé grand officier. M. Desmarais, lui, a eu droit à l’honneur suprême [la Grand-Croix]. »

Si on excepte, lapsus calami, qu’il s’agit en l’occurrence de la Légion d’honneur et non point de la Légion étrangère, les faits rapportés par M. David sont tout à fait exacts.

Ainsi le 15 février 2008, par le truchement d'un acte présidentiel, et dès lors on ne peut plus officiel (et qui, je le crains, se révélera à terme tout ce qu'on voudra sauf providentiel), la France a témoigné de la plus insigne considération à l’égard de l'un des plus puissants Québécois (sic) à mener campagne depuis toujours – tambours battant, millions sonnants – contre le noble et louable projet de Libération nationale du peuple québécois.

Dessous l’oriflamme la mécanique de l'aliénation

Que ce soit,

a) par le biais d'un empire de presse aux cent ramifications, en amont comme en aval, nommé Gesca, et aussi surnommé Pravda du Québec, lequel conglomérat de médias se décline non tant d’abord en termes de capacité d'information que surtout de volonté affirmée de propagande procanadienne (il faut lire en effet, jour après jour, semaine après semaine, année après année, voire décennie après décennie, les éditoriaux des Alain Dubuc, des Lysiane Gagnon, des André Pratte, ainsi que les colonnes réservées massivement et en priorité – mais en toute neutralité, on n'en doute point – aux « collaborateurs » d'occasion qui ont l'intelligence de partager spontanément, pour l'essentiel, les avis politiques de M. Desmarais et Family, pour prendre toute la mesure de cette monstrueuse mécanique d'orientation de l'opinion publique) ; que ce soit,

b) par son « intimité » tricotée serrée au fil des décennies avec les pouvoirs politiques de toute nature (hier, auprès de ce détracteur sans merci d'un Québec vertical qu'aura incarné pendant toute sa carrière politique, fort longue (1963…), le député fédéral Jean Chrétien, devenu bientôt premier ministre du Canada, et dont la fille incidemment, et pour l'anecdote [?], épousa l'un des Desmarais fils... ; et aujourd'hui, auprès de Jean Charest, premier ministre du Québec aussi puissamment inspiré par le « Maîtres chez Nous ! » de Jean Lesage ou le « Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle que le maréchal Pétain, naguère, pouvait se voir ému par la France... libre et républicaine) ; ou que ce soit enfin, de manière générale,

c) par le concours de son immense fortune disséminée dans les mille tentacules de la bien nommée Power Corporation of Canada (puisqu'une raison sociale dans la langue de René Lévesque restait sans nul doute inimaginable dans l'esprit de ce Franco-ontarien de naissance, très fier, on le constate d'emblée, de sa francophonissime identité), fortune toujours utile, on peut le présumer, pour faire vaciller les réfractaires ou les récalcitrants à la « pensée unique », d'une part, convaincre des ‘toniques’ vertus du statut d'éternelle Provincia de la Belle Province au sein du ‘vrai’ pays, d'autre part, *

reste, en dernière analyse, que cet octogénaire milliardaire honoré en grandes pompes à l'Élysée aura été, son existence durant, l'un des plus lourds et des plus intransigeants obstacles à l'avènement du pays des Félix Leclerc et des Gaston Miron depuis long de temps réclamé par l’Histoire.

Alors en conséquence, monsieur le Président de la République, deux courtes adresses à votre attention cloront cette interpellation.

Le prétendant éconduit

D'abord, permettez-moi de vous déclarer combien je fus longtemps un amoureux de la France. Un authentique amoureux. Et à tous égards. Aux plans philosophique, littéraire, historique, politique, scientifique, culturel de manière générale (les Arts, la civilité et l’art de vivre, les régionalismes sous toutes leurs formes, les traditions vinicoles et culinaires, et la langue bien sûr…). Or si je me suis vu devenir nettement moins, disons, disposé envers cette France, dans la dernière décade, voire un peu plus, c'est que la séduisante Marianne m'a bel et bien largué. C'est qu'elle a décidé, cette infidèle, et de son propre chef encore (car personne, non, personne ne lui a jamais réclamé une capitulation pareille ; laquelle, il faut bien le dire, confine à une forme à peine voilée d’asservissement volontaire), de révéler sans fards à la Planète entière tout le mépris que désormais elle éprouve pour elle-même en s'angloaméricanisant tous azimuts. Jusqu’au bout des ongles. Et ce, si je puis dire, à la manière de quelque colonie d'autrefois, qui pouvait se persuader qu'elle devenait d'autant plus « honorable » (c'est-à-dire : « française », ou « anglaise », ou « espagnole », voire « portugaise », « allemande » ou « italienne » ; c'est-à-dire : respectable) qu'elle reniait du même élan – avec empressement sinon dans la joie, dans une extrême complaisance dans tous les cas – sa propre identité.

Or puisque nous habitons nous-mêmes, Nous, Québécois, un Continent anglo-saxon, pour qui au surplus un petit coin de territoire français sur « ses » plates-bandes (et dont je vous croyais l’ami et l’indéfectible allié) apparaît comme une injure à l'intelligence, voire un outrage à la dignité humaine (j’exagère à peine), eh bien je vous informe, monsieur le Président – si tant est que ma modeste personne puisse en juger avec correction en vertu de son entendement et de ses compétences –, que nous n’avons certainement nul intérêt désormais, à la lumière de notre vie collective francienne des Amériques, à entretenir ou à perpétuer des rapports privilégiés avec une France en processus accéléré, convaincu (et enthousiaste !) d’auto-défrancisation de son être. Car à la fin, tant qu'à s'inféoder à l'anglo-américanisation sans appel et sans limites, aussi bien s'adresser, n’est-ce pas, directement à Méphistophélès plutôt qu'à ses chambellans. Fussent-ils tous tout feu, tout flammes.

Le camouflet

Ensuite et enfin, et ce sera la ligne à la fois cardinale et conclusive de mon propos, oindre des honneurs « suprêmes » ce capitaine d’industrie, et ennemi juré de l'Indépendance du Québec ainsi que le rappelle sans détour M. David, et tout ami personnel qu'il fût pour vous par ailleurs (et dont au reste je ne vous conteste ni le choix, ni le droit), constitue rien moins, M. Sarkozy, qu'un extraordinaire affront à la nation québécoise tout entière.

Ce geste, Monsieur le Président de la République, porte un nom : écart diplomatique d’une impressionnante magnitude. Or bien que nous soyons ici, en pays de Gilles Vigneault, affublés d’un chef d’État pour qui tout recul national représente un gain par définition, et vis-à-vis duquel par conséquent vous ne prêtez le flanc à aucune gronderie ou réprobation, icelle fût-elle voilée, bien au contraire (la présence de M. Jean Charest auprès de l’heureux élu à la faveur du très solennel événement le confirme à sa face même), je ne vois pas pour l’heure comment, et pour ma part, il nous sera possible un jour, collectivement, de le pardonner à la France.

Monsieur le Président, quoique également consternées, mes salutations respectueuses accompagnent cette présente,


Jean-Luc Gouin,
Québec, le 11 mars 2008
(intervention saisie derechef en ces lieux ce 28 Juillet 2012, quantième du 99e anniversaire de naissance de feue ma mère, Marcelle Gélinas)


* Province (du latin provincia) : Dans l’Antiquité, pays ou territoire conquis par Rome hors de l’Italie et gouverné selon les lois romaines.

 

Note : Histoire de désanonymer’ l'auteur de ces lignes au bénéfice du lecteur, JLG pourrait se définir comme suit : philosophe de formation (Ph.D.), polygraphe d'activité (philosophie allemande/Hegel en particulier, langue française, la Question nationale québécoise, questions d’intérêt public de manière générale) et sans doute, j'imagine, « diatribun » de tempérament.

 

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