mardi 27 août 2013
Pourquoi
Renaud-Bray est contre le prix
unique du livre neuf
Par Robert
Barberis-Gervais
Blaise Renaud,
jeune pdg à 26 ans du réseau des
31 libraires Renaud-Bray, a
participé à l’émission 24 heures
en 60 minutes lundi le 19 août
2013. Il est contre la
proposition qui est en train de
faire consensus dans le milieu
du livre soit un prix unique du
livre neuf pendant neuf mois
avec possibilité d’un escompte
de 10%. Blaise Renaud est contre
cette proposition actuellement
discutée en Commission
parlementaire. Les travaux de la
commission sont accessibles en
direct ou en différé sur le site
de l’Assemblée nationale.
J’aurais aimé que le journaliste
Sébastien Bovet lui pose la
question pointue suivante :
« M. Renaud, est-ce que vous
êtes contre le prix unique parce
que ça vous empêcherait de
pousser des libraires
indépendants à la faillite en
vous installant à proximité et
en offrant des rabais de 35%
pour attirer une clientèle en la
détournant de la libraire
indépendante qu’ils
fréquentaient habituellement, ce
que, par exemple, vous avez fait
à St-Eustache ? »
En effet, j’ai appris récemment
que des libraires indépendants
sont poussés à la faillite par
Renaud-Bray. Voici le témoignage
de René Forget, propriétaire de
la libraire Icitte à Longueuil
qui vend des livres usagés.
Comme je bouquinais chez lui, le
libraire me montra un livre qui
vient de paraître sur Pierre
Laporte. Cette biographie de
Pierre Laporte publiée aux
éditions du Septentrion a été
signée par Jean-Charles
Panneton. Je posai à René Forget
la question suivante : « Comment
se fait-il que vous ayez un
livre sur Pierre Laporte qui
vient de paraître ? »
Réponse : « Je viens d’acheter
le fonds d’une librairie
indépendante de St-Eustache qui
a été poussée à la faillite par
Renaud-Bray qui s’est installé
tout près et a fait une vente à
35%. Renaud-Bray a reçu 3
millions $ en subventions et
fait du capitalisme sauvage. Le
prochain sur la liste, c’est
Joliette. »
Je ne ferai pas l’historique de
Renaud-Bray. Le Fonds de
solidarité de la FTQ y a investi
1,7 million et la Société de
développement des entreprises
(la SODEC), 1.5 million.
Dans le numéro de l’excellente
revue gratuite « Le Libraire »
de septembre-octobre 2012,
Dominique Lemieux raconte ce qui
arrive à la libraire Morency qui
occupe depuis douze ans un local
des Promenades Beauport à
Québec. Mme Elizabeth Morency se
sent menacée parce que
Renaud-Bray a réservé un local à
proximité.
Selon Dominique Lemieux, «
Renaud-Bray répète le même
manège qu’à Granby ou qu’à
Lévis. Comme les libraires
indépendants de Joliette, de
Vaudreuil, qui se préparent à
l’arrivée de la chaîne à
proximité. La dynamique de
Renaud-Bray est la même : elle
s’installe près d’une libraire
existante, utilise sa force de
frappe pour fragiliser
l’indépendant et prendre le
monopole du secteur. »
« C’est légal, c’est
stratégique, mais ce n’est pas
fair-play. Ce n’est pas le genre
de décision qui enrichit
l’écosystème du livre. Ce n’est
qu’un pas de plus vers une
uniformisation malsaine, vers
une hégémonie du marché. Cette
façon d’agir ne fait que prouver
– encore – l’arrogance de la
chaîne coup de coeur. » Et
j’ajouterai la chaîne coup de
coeur qui fait des coups de
cochon aux libraires
indépendants.
Je partage le point de vue de
Dominique Lemieux, Directeur
général des librairies
indépendantes du Québec qui
comptent 91 librairies qui sont
une richesse culturelle
indéniable. La politique
d’expansion de Renaud-Bray
menace l’existence de plusieurs
d’entre elles. Une
réglementation qui imposerait un
prix unique du livre neuf
pendant neuf mois avec
possibilité d’un escompte de 10%
enlèverait la possibilité à
Renaud-Bray d’offrir des rabais
à 30-35% pour détourner le
lecteur de la libraire
indépendante de sa région et
ainsi la pousser à la faillite
comme cela est arrivé à
plusieurs reprises récemment.
Cette réglementation ne
réglerait pas tous les problèmes
mais c'est un pas dans la bonne
direction. C'est l'opinion de
Denis Vaugeois qui est le père
de la loi 51 promulguée en 1981,
régissant l'industrie du livre
et dont tout le monde fait
l'éloge.
M. Blaise Renaud a témoigné
mardi le 20 août (on peut le
voir sur vidéo sur le site de
l'Assemblée nationale) à la
Commission parlementaire sur le
prix unique du livre neuf avec
possibilité d’escompte de 10%.
Le jeune entrepreneur a joué un
numéro de virtuose sur
l’industrie du livre qui
comprend quatre joueurs
principaux :
auteurs-éditeurs-distributeurs-librairies.
Au lieu des librairies, on
devrait plutôt parler des points
de vente comme les pharmacies,
Bureau en gros, et surtout les
supermarchés qui offrent des
rabais substantiels sur les
best-sellers comme Costco et
Wall Mart.
M. Renaud s’en est pris aux
distributeurs. Je vous invite à
aller voir la vidéo sur le site
de l’Assemblée nationale. C’est
très intéressant.
La députée libérale de Laporte
qui fait de bonnes
interventions, après avoir
souligné que la libraire
indépendante Le Fureteur de
St-Lambert est dans son comté, a
posé LA question à un million :
"M. Renaud, comment
expliquez-vous que des
librairies indépendantes ferment
leurs portes et déclarent
faillite ?"
La réponse a été brillante mais
le propriétaire des 31
Renaud-Bray a oublié de dire la
responsabilité des méthodes
d’expansion de sa chaîne de
librairie dans ces faillites. Il
n’était certes pas pour
s’incriminer lui-même. C’est
dommage car les députés auraient
alors compris pourquoi le
brillant jeune homme d’affaires
était contre le prix unique du
livre neuf. C’est qu’il veut
continuer ses pratiques
déloyales.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
mardi 27 août 2013
barberis@videotron.ca
|