LE SORELTRACY MAGAZINE     *  Dernière mise à jour : vendredi 02 août 2013 10:22

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Robert
Barberis-Gervais

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vendredi 02 août 2013

En marge de l'essai: "Desmarais, la dépossession tranquille" de Richard Le Hir
Limites et dangers du concept de coupable par association

Par Robert Barberis-Gervais

L'auteur de "Desmarais: la dépossession tranquille" s'est bâti une statue sur le site web Vigile.net et, par tempérament, on peut avoir le goût de déboulonner les statues. Mais il faut résister à cette tentation qui renaît devant des affirmations répétées du genre: "Moi, je l'avais prévu"; "Moi, je vous l'avais dit"; "Moi, j'ai pris conscience de…". On doit quand même être juste et reconnaître l'intérêt et la valeur de cet essai et son effet stimulant. Car même les approximations et les projections hasardeuses dans l'avenir donnent à réfléchir.

Richard Le Hir est sorti de l'ombre comme président de l'Association des manufacturiers puis comme ministre responsable des études sur la souveraineté dans le gouvernement Parizeau dans le contexte du référendum de 1995. Cette dernière fonction ne lui a pas réussi. L'expérience a été, il le dit lui-même à Antoine Robitaille en octobre 2010 "énorme et difficile". Les études devaient informer et rassurer et elles ne l'ont pas fait. Certains disaient même qu'à chaque fois que le ministre apparaissait à la télévision, le camp du OUI perdait des votes. Il a quitté ses fonctions de ministre dans le désordre et, conséquence de son échec, il a gardé une certaine animosité à l'égard des souverainistes. Il n'aime pas qu'on y revienne mais il faut assumer son passé. Le fait est qu'il a attaqué le camp du OUI (voir "Pour en finir avec 1995", mai 2005, où il commet la faute grave de comparer Parizeau à Goebbels), qu'il a fait une profession de foi fédéraliste en 1998 devant les Amis de Cité libre, cet antre du fédéralisme trudeauiste, et qu'il a même offert ses services à Alliance Québec qui accusait le camp du OUI d'avoir annulé des votes dans les comtés anglophones, accusation qui a été rejetée par le juge Allan Gold. Rappelons-nous que suite au référendum de 1995, le juge Gold a été saisi d'une enquête pour déterminer si des votes ont été trafiqués. Bien qu'il soit juif et anglophone, cette responsabilité, dans un litige mettant en jeu des francophones québécois, lui a été offerte sur la base de son intégrité. L'accusation a été rejetée: il n'y avait pas eu plus de votes annulés que d'habitude. Ce qui permet de redire que la thèse du référendum volé soutenue par Robin Philpot tient toujours et que c'est une erreur de soutenir le contraire comme Richard Le Hir l'a fait dans une entrevue à Antoine Robitaille, du Devoir: "15 ans après le référendum toujours "rien de réglé" (30 octobre 2010). On peut lire: "Richard Le Hir refuse la thèse du référendum volé. Chaque côté a triché: "J'ai l'impression que ça s'est annulé." Le livre de 205 pages de Robin Philpot publié en septembre 2005 aux Intouchables ne rapporte pas "des impressions" mais des faits. C'est un autre exemple du manque de rigueur de l'ex-porte-parole des manufacturiers.

D'un point de vue indépendantiste, ce qui vient d'être résumé fait partie du passé trouble, controversé et, à mon avis, pas du tout glorieux de Richard Le Hir, passé dont on peut parler dans le cadre d'un exercice normal de la liberté d'expression puisque ce qui vient d'être évoqué est strictement exact et documenté et exprime une perception largement répandue dans les milieux indépendantistes informés. Ce passé autorise à se poser la question suivante: l'ex-avocat et ex-ministre était-il un joueur d'équipe? Ses critiques ne sont pas toutes futiles mais vient un moment où il faut choisir son camp et, sans renoncer à sa liberté de pensée, ne pas faire le jeu de l'adversaire en adoptant son point de vue entre autres sur "l'argent et les votes ethniques".

Depuis quelques années, l'ex-politicien qualifié par euphémisme de maladroit par maints observateurs, publie des textes qui ont de nombreux lecteurs sur le site web Vigile.net. C'est là qu'il a publié l'essentiel de son livre sur Paul Desmarais. Il est utile de savoir pour la connaissance du personnage que Vigile a été poursuivi pour diffamation par le promoteur immobilier Vincent Chiara suite à un article dont le titre donne le sujet de la poursuite: "Les tentacules de la mafia". Cette poursuite coûte cher en frais d'avocats et n'est pas encore réglée. Il est aussi utile de savoir qu'un des articles de Le Hir a dû être retiré de la Tribune libre de Vigile après une mise en demeure des avocats de Claude Blanchet, le mari de Pauline Marois. Le sujet de l'article: l'île Bizard, le dézonage agricole et autres aménités qui ont conduit à la construction du "château" récemment vendu. Ce dernier texte intitulé "Quo vadis Pauline? avait pour surtitre: "Les Bizard-reries de Claude Blanchet". Il est daté du 4 janvier 2012 a été retiré le 13 janvier 2012 par Bernard Frappier, le webmestre et fondateur de Vigile. Il reprenait des accusations déjà exprimées dans le journal The Gazette en les amplifiant. Le 21 janvier 2012, Daniel Breton adhérait au Parti québécois et renforçait le leadership de Pauline Marois. Depuis ce temps, les élections du 4 septembre 2012 ont eu lieu et Pauline Marois est première ministre. Aux dernières nouvelles, après ce parcours sinueux, il appuie malgré tout le Parti québécois même s'il ajoute, comment pourrait-il en être autrement, qu'il le fait "en se pinçant le nez". Parlant de Pauline Marois, son intervention rapide au lac Mégantic et son empathie pour les sinistrés lui ont valu l'éloge unanime des acteurs et des commentateurs politiques et un regain d'estime dans la population.

L'essentiel de la thèse (car c'en est une) du livre de Richard Le Hir est que Power Corporation et le milliardaire Paul Desmarais ne sont pas des bâtisseurs mais qu'ils sont des prédateurs. Il a répété plusieurs fois dans des entrevues faites à l'occasion de la sortie de son livre en avril 2012 que ces financiers sont des loups à qui on ne peut pas reprocher d'être des loups. Cette considération cynique sur Power qui convoite des proies est accompagnée d'une dénonciation des bergers qui devraient défendre l'intérêt public et qui ne le font pas. Car la stratégie principale de ces prédateurs consiste à se faire des alliés dans les gouvernements pour arriver à leurs fins en faveur de leurs intérêts privés au détriment de l'intérêt public. Car toute leur action consiste à se faire des relations pour réussir à réaliser leurs projets. Tout est dans le réseau. Pour percevoir ce monde de relations en une image fulgurante, il faut revoir le vidéo où Paul Desmarais reçoit à Sagard, Jean Charest, Lucien Bouchard et les grands de ce monde qui l'ont aidé à développer son empire ou qui vont l'aider à l'agrandir.


Ce monde de la haute finance a reçu un choc en 2008 et s'oriente maintenant vers des produits plus concrets comme le pétrole et le gaz de schiste. Il faut lire le livre de Richard Le Hir (et celui de Robin Philpot: "Derrière l'Etat Desmarais: Power", octobre 2008, Les Intouchables) pour entrevoir les tentacules de l'empire Power et les menaces qu'il fait peser sur les intérêts collectifs des Québécois sans oublier l'action de Power contre l'indépendance et pour le Canada "avec la puissance des sept quotidiens les plus importants du marché québécois" (publicité de Gesca) dont La Presse et Le Soleil. Pour attirer des annonceurs, Gesca affirme ceci:

"Des médias de masse pour un impact maximal
Que ce soit par l'imprimé ou en ligne, les médias d'information de Gesca vous permettent d'atteindre une clientèle recherchée et difficile à rejoindre partout au Québec. Cela vous assure un impact maximum auprès de 1.5 million de lecteurs des grands centres urbains du Québec chaque semaine et 2,5 millions de visiteurs uniques chaque mois."

Dans sa dénonciation de l'empire Power-Desmarais, Le Hir agit comme ce que les Anglais appellent un "whistle blower". Il nous avertit que Power, selon lui, a dans sa mire Hydro-Québec et le Mouvement Desjardins; il est en train de préparer la publication d'un autre livre sur la Caisse de dépôt et placement et Henri-Paul Rousseau.

Les mécanismes de l'analyse lehirienne s'appuient, par exemple, sur la présence d'un porte-parole de Power sur le conseil d'administration d'Hydro-Québec ou sur la possibilité de transformer les Caisses populaires en banques comme le permettrait une loi fédérale ou sur le fait que Monique Leroux, la présidente du mouvement Desjardins, a reçu une distinction d'un organisme fondé par Paul Desmarais. Cette méthode est dangereuse car elle est presque entièrement fondée sur les relations ou les rencontres entre acteurs économiques et conduit à ce que les Anglais appellent: "to jump to conclusions" ou, en français, "les procès d'intention". Par exemple, si Pauline Marois était présente à une réunion sociale où la femme de Paul Desmarais a été honorée ou décorée, elle est compromise pour toujours avec l'empire Power puisqu'elle fait partie du "réseau de relations" dont l'empire a besoin pour se développer. On voit bien les limites de ce genre de raisonnement. Richard Le Hir n'a pas le ridicule d'affirmer que si Pauline Marois a choisi le comté de Charlevoix, c'est pour être proche de Sagard mais il laisse publier des textes sur Vigile (où il exerce un pouvoir certain) qui répètent cette sottise. C'est un bon exemple où la liberté d'expression a le dos large car elle ne devrait pas permettre de publier n'importe quoi: la vérité et l'exactitude ont aussi leurs droits.

Après avoir mis en garde contre cette tendance à décrire des coupables par association sinon des associations de coupables qui est un danger inhérent à la méthode Le Hir, je tire deux conclusions personnelles de son essai.

Le hasard veut que je m'intéresse beaucoup à Louis-Ferdinand Céline ces temps-ci. Dans une entrevue qu'on peut retrouver sur YouTube, Céline fait l'éloge du chien à la tête d'une meute qui tire un traîneau au Groenland. C'est la plupart du temps une chienne. Or, la chienne est la seule à sentir qu'il y a, à cent mètres, une faille dans la neige qui conduira à la mort de l'équipage. Et elle hurle pour signaler le danger. Elle est raffinée dit Céline qui se compare à cette chienne de tête comme écrivain qui a averti des malheurs de la guerre. Richard Le Hir souhaiterait sans doute que cette métaphore soit évoquée à son propos mais si je la lui applique, il m'accusera avec raison de flatterie car, de fait, dans son cas, je crois que cette métaphore est un peu trop élogieuse. On peut en effet se demander si la privatisation d'Hydro-Québec par l'empire Power ou le fait de s'emparer du Mouvement Desjardins transformé en banque sont des dangers réels ou plutôt des épouvantails à moineaux inventés pour dramatiser l'analyse, procédé devant lequel l'essayiste ne reculerait certainement pas étant donné ses tendances au sensationnalisme et au catastrophisme. Par rapport à Hydro-Québec, par exemple, la nomination de Pierre-Karl Péladeau devrait diminuer considérablement ce danger et cela, il serait le premier à l'admettre puisqu'il a écrit un éloge tout azimut de cette nomination faite par Pauline Marois. Mais il se justifiera en prétendant qu'il plane dans les hauteurs du long terme et d'une analyse des dangers du capitalisme mondial menacé d'implosion. De toutes façons, il aura toujours une réponse à vos objections et aura toujours le dernier mot. Car lui, il voit et vous, vous ne voyez pas. Alors, comme dirait Céline, cause toujours mon lapin.

Ma deuxième conclusion, c'est que la description qui est faite dans cet essai des manoeuvres de l'empire financier Power et de Paul Desmarais en faveur d'intérêts privés augmente notre admiration pour des hommes politiques comme René Lévesque, Jacques Parizeau et Camille Laurin qui ont agi efficacement toute leur vie dans l'intérêt public des Québécois. Et que, dans le présent, on pourrait évaluer l'actuel gouvernement en se demandant: Pauline Marois et son équipe ne travaillent-ils pas actuellement, dans les conditions difficiles d'un gouvernement minoritaire, dans l'intérêt collectif des Québécois! Plus modestes que le pourfendeur du milliardaire canadien, certains de plus en plus nombreux dont je suis répondent OUI et en ne se pinçant pas le nez.

Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
vendredi 02 août 2013
barberis@videotron.ca

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