LE SORELTRACY MAGAZINE     *  Dernière mise à jour : dimanche 11 août 2013 08:53

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Barberis-Gervais

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dimanche 11 août 2013

Deux manières de s’opposer à Pétrolia sur l'île d'Anticosti

Par Robert Barberis-Gervais

Il fallait voir le reportage de « La Semaine verte » de samedi le 3 août, sur l’île d’Anticosti. Les compagnies Junex et Pétrolia, qui détiennent les permis d’exploration sur l’île d’Anticosti, soutiennent que le sous-sol de l’île nord-côtière renferme 40 milliards de barils de pétrole de schiste et qu’on devra donc procéder à la fracturation de la pierre pour l’extraire. Toutefois, les coûts de l’opération s’avéreraient élevés ce qui pourrait retarder le début des forages.

Ce reportage très bien fait donne la parole au pdg de Pétrolia André Proulx qui décrit ses projets. Ça prendra du temps pour faire l’exploration et il faudra investir environ 150 millions pour les infrastructures nécessaires à l’exploitation et au transport du pétrole extrait du sous-sol. Quand on entend dire que la fracturation se fera autrement qu’avec de l’eau, on peut être sceptique.

Un spécialiste de la faune a expliqué l’énorme problème posé par la présence de plus de 160,000 chevreuils sur l’île : on en tue 10,000 par année mais il s’en reproduit 30,000 par année. Pour se nourrir, les chevreuils nuisent à la flore de l’île. Ces informations obligent à nuancer considérablement les éloges qui sont faits de l’île d’Anticosti comme joyau de la biosphère.

Parlons de politique. Sur sa page Facebook en date du 31 mars 2013, le ministre de l’environnement Yves-François Blanchet écrit : « Des millions de litres de pétrole sont consommés chaque jour au Québec. Il faut réduire et nous affranchir de cette source d’énergie nocive. En revanche, dans l’intervalle, il faut les extraire quelque part et le moins mal possible, les raffiner et les transporter, ces millions de litres. Et protéger ce faisant notre environnement... »

« Le ministre Blanchet apaise les inquiétudes sur la fracturation hydraulique » : tel est le titre d’un communiqué du ministère de l’environnement provenant de Québec en date du 5 juin 2013. Comme le ministre a déjà été mal cité, il vaut la peine de lire une longue citation où s’exprime la position du gouvernement du Québec.

« En ce qui concerne la situation particulière sur l’île d’Anticosti, j’ai fait savoir à plusieurs reprises qu’elle fera l’objet d’une évaluation environnementale spécifique. Nous en ferons connaître la teneur au moment opportun. Mais je tiens à rappeler qu’il n’y a actuellement aucun permis de forage à l’étude pour l’île d’Anticosti », a précisé le ministre Blanchet. « Par ailleurs, le gouvernement du Parti Québécois a déposé un projet de loi décrétant un moratoire sur l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, a rappelé le ministre. Or, les partis d’opposition font présentement obstacle à l’adoption de ce projet de loi », a fait observer le ministre. « Notre gouvernement agit de manière concrète, responsable et rigoureuse en matière d’exploitation des ressources et de protection de l’environnement. Je respecte absolument l’opinion des groupes ou citoyens qui ne souhaitent pas que le Québec explore ou exploite ses ressources en hydrocarbures. Ce n’est cependant pas la position du gouvernement du Québec. Nous entendons toutefois faire preuve de fermeté et de rigueur dans l’application de normes environnementales exemplaires en vue d’encadrer de telles activités au Québec », a conclu le ministre.

Ceci étant dit, il existe deux manières de s’opposer aux projets de Pétrolia sur l’île d’Anticosti. La première consiste à prendre la position des écologistes sur le pétrole. La seconde consiste à examiner les sociétés qui sont associées à Pétrolia.

On doit s’opposer à l’exploration et à l’exploitation du pétrole sur l’île Anticosti pour des raisons défendues par les environnementalistes comme Hugo Séguin qui répond à André Pratte qui soutient que le projet d’oléoduc Trans-Canada est « bon pour le Québec ». L’écologiste écrit dans La Presse : « (…) les carburants fossiles sont la source première des émissions de Gaz à effet de serre et une bonne partie des réserves d’hydrocarbures doit rester sous terre pour limiter les conséquences des changements climatiques ». (Hugo Séguin, Opinion, « Place à un débat de fond », La Presse, 7 août 2013)

Le creusage de 12,000 puits pour l’exploitation "aurait pour effet de transformer ce joyau de la biosphère qu’est l’Île d’Anticosti en fromage gruyère, le potentiel d’accidents avec la fracturation hydraulique est beaucoup trop élevé tant pour la nappe phréatique de l’Île que pour les fonds sous-marins environnants, et c’est sans parler de la perturbation de la faune.

Pour illustrer le potentiel d’accidents, on rappelle l’explosion d’un puits sur la plate-forme Deepwater Horizon appartenant à la pétrolière BP dans le Golfe du Mexique il y a trois ans qui fut un rappel aussi spectaculaire que cuisant des risques associés l’exploration pétrolière dans des milieux fragiles, tout comme la tragédie de Lac-Mégantic l’a été pour les risques reliés au transport ferroviaire du pétrole brut. Quand on est, comme le Québec, dans la position privilégiée de pouvoir compter sur une inépuisable source d’énergie renouvelable comme l’hydro-électricité, il y a des risques qu’il faut savoir réduire à leur plus strict minimum." (Richard Le Hir)

Remarquez que ces propos ne contredisent absolument pas le fait que « des millions de litres de pétrole soient consommés chaque jour au Québec ». A notre connaissance, les écologistes qui conduisent une auto non électrique consomment de l’essence et ne sont pas branchés sur une prise de courant d’Hydro-Québec. A moins de se promener en bicyclette comme Françoise David.

La deuxième manière de s’opposer aux projets de Pétrolia sur l’île d’Anticosti consiste à examiner qui sont ceux qui financeront ces projets. Si Paul Desmarais est impliqué directement ou indirectement dans ce financement, il faut sonner l’alarme car Paul Desmarais est le prédateur par excellence qui défend ses intérêts privés au détriment de l’intérêt public. Si Total est impliqué d’une manière ou d’une autre, il faut le dénoncer.

Il s’agit alors de faire des recherches sur un nouveau partenaire de Pétrolia, Maurel et Prom pour découvrir quels sont les hommes d’affaires impliqués, quel est leur passé et s’ils ont quelque chose à se reprocher, on le soulignera dans le but de les discréditer. En découvrant les antécédents d’un acteur de Maurel et Prom, un observateur un tant soit peu perspicace se demandera s’il n’est pas en train de jouer un rôle dans l’industrie pétrolière pour le bénéfice de Total, de l’Empire Desmarais, et le sien propre, en usant de moyens clandestins.

Que penser de ces deux manières de s’opposer à Pétrolia ?

Que Paul Desmarais agit pour promouvoir ses intérêts privés, c’est une évidence. Mais que tous les investissements de Power Corporation soient nécessairement contre l’intérêt public, ça reste à prouver cas par cas. Dans le cas présent, s’il y avait extraction de pétrole et que l’Etat québécois en tirait des redevances raisonnables, l’investissement de Desmarais par compagnie interposée ne serait pas totalement contre l’intérêt public. Et, même si Hydro-Québec n’avait pas cédé ses droits à Pétrolia et que tous les profits allaient aux Québécois, dans la logique écologique anti-pétrole du joyau de la biosphère à préserver, il faudrait s’opposer au projet d’extraire du pétrole de l’île Anticosti.

Pour discréditer le projet d’extraire du pétrole de l’île d’Anticosti, projet décrété comme mauvais dès le départ, on examine les sociétés qui font partie des actionnaires de Pétrolia. Que Maurel et Prom ait investi dans Pétrolia, ce n’est pas un secret : c’était dans le journal Affaires et c’est sur le site web de Pétrolia. Pour savoir qui est impliqué, il suffit des talents d’un bon recherchiste qui passe par Wikipedia et Google, moyens d’informations admirables. On peut alors faire les liens entre tout ce beau monde. Il n’est même pas nécessaire de voyager, de faire des entrevues, somme toute de faire une véritable enquête selon les exigences du journalisme d’investigation.

Alors le projet de Pétrolia sur l’île d’Anticosti non seulement est mauvais pour des raisons écologistes mais, en plus, regardez qui sont ces gens qui dirigent Maurel et Prom. Ils sont rattachés d’une façon ou de l’autre à Paul Desmarais et en plus ils ne sont pas irréprochables. On fonctionne ici dans l’esprit de la commission Charbonneau. Tous coupables ces capitalistes, coupables directement de certains méfaits qui les ont amenés devant les tribunaux, ou coupables par association puisqu’ils sont associés à l’empire Desmarais. En montrant les lacunes et les infractions aux lois de ceux qui financent Pétrolia, on assassine le projet d’extraire du pétrole déjà décrété dès le départ comme mauvais et à rejeter.*

Que conclure ?

Que les écologistes attirent l’attention sur la question du pétrole et de ses impacts sur le climat et soutiennent que « l’humanité doit s’éloigner le plus rapidement possible des énergies polluantes », c’est pertinent et légitime. L’électrification des transports et des automobiles répond à cette préoccupation. Doit-on en conclure pour autant que le Québec ne doit en aucune façon bénéficier de cette ressource et continuer à utiliser du pétrole qui vient d’ailleurs, c’est sûrement matière à débat.

M’apparaît toutefois hautement contestable, la démarche qui cherche à démoniser les sociétés associées à Pétrolia qui financeront le projet surtout si elles ont le malheur d’être rattachées à l’empire Power. On est ici sur le terrain glissant des coupables par association sinon des associations de coupables. Cela fait penser à un film policier de Jean-Pierre Melville où le directeur de la police exprimait sa philosophie de l’humanité : « Tous coupables » disait-il.

Je pense qu’il faut contester le rouleau compresseur de ce manichéisme malsain.

*A ce sujet, voir un texte de Richard Le Hir en date du 1er août 2013 publié sur la Tribune libre de Vigile intitulé : « Main basse sur Anticosti, L’étrange nouveau partenaire de Pétrolia, Maurel et Prom, ou le faux-né de Total et de l’empire Desmarais ».

Robert Barberis-Gervais,

Vieux-Longueuil,
dimanche 11 août 2013
barberis@videotron.ca

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