mardi 31 décembre 2013
Dany
Laferrière, l’Académie française
et l’argent
par Robert
Barberis-Gervais
Sur un mur, chez
moi, je regarde tous les jours
une peinture laminée de Bruegel,
la Chute d’Icare. C’est un
immense tableau. A l’avant-plan,
un cultivateur travaille sa
terre avec sa charrue tirée par
un cheval. Un peu plus bas, un
berger et ses moutons. A droite,
un pêcheur à la ligne. Au loin,
un bateau transporte des
marchandises. C’est la vie
économique. Et, plus bas, en
petit, Icare qui est tombé dans
l’eau, cul par-dessus tête.
Icare, c’est l’idéaliste qui a
voulu sortir du labyrinthe par
le haut en se fabriquant des
ailes tenues ensemble par de la
cire qui a fondu quand il a
voulu trop s’approcher du soleil
ne suivant pas les conseils de
son père. La Chute d’icare de
Bruegel est une illustration du
"primum vivere, deinde
philosophare". Il faut d’abord
vivre, gagner sa vie, avoir de
quoi subsister et vient ensuite
la philosophie. Retenons la
leçon de Bruegel et d’Aristote
qui soutient qu’il faut un
minimum de bien-être pour
pratiquer la vertu.
Prenez le cas de Maria Mourani.
On a beaucoup analysé ses
nouvelles idées, comment une
passionnée de l’indépendance du
Québec est devenue une ardente
fédéraliste faisant l’éloge de
la charte des droits de Trudeau
père, dénonçant la Charte de la
laïcité québécoise et allant
même jusqu’à répéter le cliché
de la faiblesse du gouvernement
Marois en économie…comme une
libérale. Tout cela parce
qu’elle voulait continuer à
porter au cou sa croix maronite.
Or, la clé de son comportement
nous fut donnée par Louis
Plamondon. Il nous informa
qu’après avoir combattu en vain
le redécoupage de la carte
électorale, elle fut bien
obligée de constater que dans
son nouveau comté, si on
transpose les résultats de la
dernière élection fédérale, le
Bloc et elle-même auraient perdu
par 5,000 voix. Pour rester
députée, il lui fallait sortir
du Bloc et la Charte des valeurs
fut un excellent prétexte. Son
objectif, rester députée et
conserver son salaire de
160,200$ et son budget de
300,000$ pour son bureau à
Ottawa, son bureau de comté et
le 25,000$ pour ses dépenses de
logement, de repas et pour ses
déplacements. Sans oublier sa
pension. Telle est l’explication
simple mais vraie de ce que
d’aucuns ont appelé sa trahison
c’est-à-dire le reniement de
tout ce à quoi elle avait cru si
passionnément. Il suffisait d’un
peu de réalisme pour comprendre.
Dans le cas de Dany Laferrière,
on a suivi un processus
semblable. On a parlé de cet
exploit qui consiste à être élu
à l’Académie française. Du culot
qu’il fallait. De l’honneur qui
rejaillissait sur Haïti, sur le
Québec comme l’a souligné
Pauline Marois , sur le Canada,
sur les Noirs.
Suivant la leçon de Bruegel et
d’Aristote, il est du plus grand
intérêt de s’intéresser aux
aspects financiers de l’élection
de Dany Laferrière à l’Académie
française. On ne peut se
contenter de rester dans le
culturel en se voilant la face,
comme c’est souvent le cas, et
en oubliant l’aspect économique
de toute l’affaire. On a vu les
inconvénients de ne pas tenir
compte des motivations
financières de la conversion au
fédéralisme de Maria Mourani. Ne
faisons pas la même erreur une
deuxième fois.
J’ai été mis sur la piste par un
commentaire non signé. Le voici.
« Enfin madame Carrère d’Encausse,
une spécialiste de l’ex-URSS,
qui s’est constamment trompée,
n’entendra sûrement pas les
appels de RBG, confortablement
nichée, dans son appartement de
fonction, de 8000 pieds carrés,
quai Bourbon à Paris,
complètement meublé par
l’Institut, pas chez Ikea.
L’Académie c’est aussi et
SURTOUT l’accès à des
privilèges, une carte de visite,
des appartements dans les plus
beaux endroits de Paris, cédés
gracieusement, à vie, meublés
par l’Institut etc. »
La secrétaire de l’Académie
jouit sans doute de privilèges
particuliers. Mais plaçons-nous
du point de vue de Dany
Laferrière. Il vit surtout de
ses droits d’auteur payés par
des éditeurs qui ne nagent pas
dans l’argent et qui, souvent,
dépendent de subventions
gouvernementales. Il est donc
dans une situation d’insécurité
financière. Situation fort
inconfortable pour ce père de
famille qui aime voyager.
Peut-on blâmer Dany Laferrière
d’avoir cherché la sécurité
financière ? Certainement pas.
Il n’y a aucun scandale
là-dedans. Le scandale, ce
serait de refuser d’en parler.
Alors il a pris les grands
moyens pour être élu. Il a écrit
aux 37 membres de l’Académie une
lettre personnalisée pour avoir
leur vote. Il lui a sans doute
été difficile de ne pas tomber
dans l’obséquiosité. Toujours
est-il qu’il a obtenu 13 votes
sur 23 et il a été élu.
Nathalie Petrowski s’est demandé
pourquoi son écrivain préféré a
voulu entrer à l’Académie. Elle
a écrit : « Pourquoi vouloir
sacrifier son indépendance, sa
liberté de parole et sa liberté
tout court, pour se joindre à
une bande de vieux croutons au
sein d’une institution douée
pour les intrigues de couloirs
et considérée par plusieurs
comme rigide, pompeuse et
rétrograde ? Qu’avait-il besoin
de ça dans sa vie ? Et comment
peut-il sérieusement envisager
de se promener avec son épée et
ses dorures sans crouler de rire
? » ( « Star Académie », La
Presse, 15 décembre 2013)
Nathalie Petrowski a une
sécurité d’emploi à vie à La
Presse : comment pourrait-elle
comprendre un écrivain à statut
précaire ! Elle n’a donc pas
trouvé de réponse à ses
questions. En effet, « pourquoi
vouloir sacrifier son
indépendance, sa liberté de
parole et sa liberté tout court
? »
Si on poursuit la recherche, on
découvre un article sur le
blogue « Marcher vers le soleil
» intitulé : « Dany Laferrière,
l’Académie française…et l’argent
». L’auteur écrit : «
L’appartenance au club sélect
des immortels n’apporte pas que
des avantages honorifiques mais
aussi des avantages parfaitement
matériels. Et ces avantages ne
découlent pas seulement de
l’impact positif sur les tirages
de livres… »
Il donne l’exemple de Jacques
Laurent auteur de bons romans et
de « Caroline chérie » qui avait
souvent attaqué l’Académie dans
sa revue « Arts » et qui, à la
surprise de tous, y entra. Chose
assez rare chez les Français
plutôt cachottiers sur les
questions d’argent, Jacques
Laurent, candide, avoua que
c’était pour avoir une sécurité
financière.
Je laisse la parole à l’auteur
du blogue. « En effet,
L’Académie française est riche.
Fondée par le cardinal de
Richelieu en 1635 avec le motif
officiel de normaliser et
promouvoir la langue française
et avec le motif officieux
d’exercer un contrôle sur
l’intelligentsia du temps,
l’Académie a bénéficié de
multiples dons et legs surtout à
l’époque de l’Ancien Régime.
Pour préserver son prestige,
l’Académie Française ne peut
tolérer qu’un de ses membres
vive dans la pauvreté. Par
conséquent, elle verse
discrètement aux académiciens
moins fortunés une généreuse
rente. Devenir l’un des quarante
immortels apporte l’assurance
d’être à l’abri du besoin
jusqu’à la mort. »
Voilà la clef de l’énigme. Les
démarches de Dany Laferrière
pour entrer à l’Académie
française, c’est aussi une
question d’argent… Etre membre
de l’Académie française lui
assure une enviable sécurité
financière. Il n’y a rien de
déshonorant là-dedans. Mais il
fallait en parler pour avoir un
portrait complet de l’opération
séduction menée auprès des
membres de l’Académie française
par l’écrivain haïtien qui a
habité au Québec.
D’un point de vue
individualiste, Dany Laferrière
ressemble à un joueur de hockey
qui vient de signer un contrat
de plusieurs millions par année.
Comment ne pas se réjouir pour
lui ! La question alors qui se
pose est la suivante : est-ce
que des voix autorisées d’Haïti,
du Québec et du Canada ont eu
raison de vouloir s’approprier,
comme collectivités, une partie
de la gloire du nouvel
académicien ? Je vous laisse
répondre à cette question tout
en vous suggérant de ne pas
oublier qu’il est probable que
la motivation principale de Dany
Laferrière a été d’assurer sa
sécurité financière. Et, que
s’il n’y a aucun scandale à
souligner cet aspect de la
question, il y a des
inconvénients à l’ignorer.
La Chute d’Icare de Breugel nous
aura instruit : on ne doit
jamais oublier les conditions
matérielles des décisions qui
sont prises par les individus.
On voit la pertinence de ce
principe en l’appliquant à Maria
Mourani et à Dany Laferrière. Ce
qui nous évite de tomber dans
l’angélisme et l’idéalisme.
Comme membre de l’Académie
française, Dany Laferrière aura
plus que jamais les moyens de
faire le dandy et de dédaigner
le nationalisme sauf celui
d’Haïti, sa mère patrie.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
mardi 31 décembre 2013
barberis@videotron.ca
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