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mercredi 27 février 2013

A la Commission Charbonneau
Nicolo Milioto, Théâtre 601

Par Robert Barberis-Gervais

La juge France Charbonneau n’a pas remercié Nicolo Milioto à la fin de son témoignage. Elle lui a dit froidement qu’il pouvait partir. Or, madame la juge est une personne chaleureuse : elle a montré beaucoup de satisfaction suite au témoignage de l’ingénieur de Génius, Michel Lalonde. L’autre commissaire Renaud Lachance venait de dire ironiquement à l’entrepreneur italien que tous ceux qui avaient mentionné son nom et il y en avait sept, devant la commission, selon lui, étaient des menteurs. "Je vous ai dit "ma vérité" a répliqué Milioto avant d’ajouter que c’était "la" vérité.

Le propriétaire de Mivela Construction, spécialité trottoirs, venait de nier avec véhémence les affirmations de Martin Dumont. Tout le monde se souvient que Martin Dumont a affirmé qu’un jour Nicolo Milioto lui a donné l’ordre d’aller pisser avec lui, que Dumont a obtempéré et qu’il a accepté une enveloppe contenant dix mille dollars pour Bernard Trépanier, collecteur de fonds pour Union Montréal (et aussi pour le Parti libéral du Québec) après avoir entendu l’entrepreneur italien lui dire qu’il était mieux de faire la commission s’il ne voulait pas se retrouver coulé dans le ciment d’un trottoir d’une rue de Montréal. L'écrivain français Jean-Jacques Rousseau aurait sans doute dit de ce récit de Martin Dumont : "Ce n’est pas ainsi qu’on invente".

Nicolo Milioto a dit : "Je n’ai jamais rencontré Martin Dumont. Ou il se trompe ou il est un menteur professionnel. Je le jure devant Dieu que je dis la vérité."

C’était la première fois que le témoin jurait devant Dieu pendant un témoignage rempli de trous et de "je ne sais pas", "je suis pas bon pour retenir les noms", "on jouait aux cartes, on parlait pas d’affaires", "je ne posais pas de questions, ce n’est pas mes affaires".

Ça me rappelle une histoire qu’un ami m’a racontée. Il était poursuivi pour diffamation : une personne en autorité l’avait accusé de l’avoir traitée en public d’alcoolique. Dans une réunion du conseil d’administration, il avait fait l’erreur de lui demander si elle était à jeun quand elle avait promis d’acheter des ordinateurs pour son département pendant un accueil du personnel où la bière et le vin coulaient puisque cette promesse n’était pas respectée car le montant de l’investissement n’apparaissait pas dans le budget du collège. Déjà que la mention "à jeun" n’était pas appropriée, c’est le moins qu’on puisse dire, il y a plus grave. Pendant l’assez long interrogatoire qui précéda le procès, la directrice, se rappelant ce qui avait été dit au fameux conseil d’administration devant 25 témoins, soutint que le professeur-membre du conseil d’administration avait dit : "Cette fois-là, vous étiez à jeun", ce qui voulait dire que, dans l’exercice de ses fonctions, elle était habituellement "paquetée" puisque, exceptionnellement, "cette fois-là", elle était "à jeun". Et elle ajouta : "Et je le jure", comme pour montrer à la fois qu’elle était consciente de la gravité de l’accusation et qu’elle disait la vérité. Or, cette phrase n’avait jamais été dite. Elle avait été inventée de toutes pièces pour justifier l’accusation de diffamation. Le "je le jure devant Dieu" de Nicolo Milioto m’a rappelé cette expérience traumatisante vécue par mon ami.

En résumé, tous ceux qui ont mentionné le nom de Nicolo Milioto devant la Commission Charbonneau ont menti ou ne savaient pas de quoi ils parlaient puisque le spécialiste des trottoirs, c’est lui, pas eux. Le principe est simple : il n’était pas question qu’il s’incrimine en admettant avoir commis des actes illégaux ou criminels.

Il n’y avait que cinq entrepreneurs sur 50 qui avaient tous les contrats de la ville de Montréal pour les trottoirs pendant des années, des Italiens qui proviennent tous du même village de Sicile, Cattolica eraclea. Mais ce n’est pas de la collusion ou à cause de la proximité avec la mafia ( Nicolo Rizzuto vient du même village de Sicile). Ils avaient tous les contrats parce qu’ils sont les plus compétents pour faire des trottoirs. Les Italiens sont bons dans les trottoirs, ce sont les meilleurs. Moi, Nicolo Milioto, je travaillais 70 heures par semaine. Je visitais les chantiers. Je suis parti de rien de Sicile à 18 ans. Je suis père de famille. Mes cinq enfants sont allés à l’université. On avait les contrats, parce qu’on était les plus productifs. On donnait de l’ouvrage à des pères de famille qui avaient besoin de gagner. A Montréal, c’est compliqué faire les trottoirs. Il faut mettre de la signalisation. Faire des ponts pour traverser la rue. Faire attention aux fils sous terre, aux tuyaux pour le gaz. Si on les brise, on paie. Ce n’est pas n’importe qui qui peut faire ça. On avait les contrats à cause de notre compétence. Et en plus, le parrain Nicolo Rizzuto était une bonne personne. (Il a été assassiné en novembre 2010.)

Le code des trous de golf pour l’alternance des contrats expliqué par Alain Gravel et Marie-Maude Denis à l’émission de Radio-Canada "Enquête", ça ne s’applique pas aux cinq compagnies qui se répartissaient les contrats de trottoirs de la ville de Montréal. Le système de collusion décrit par le rapport Duchesneau non plus. Pourquoi tout le monde m’a attaqué ? se demande Nicolo Milioto. Parce que dès le début, on a montré des vidéos de réunions au club Consanza où il manipule de l’argent donné par Lino Zambito et met des liasses d’argent comptant dans ses bas "en cachette". "On m’a "étiquetté" dès le début" accuse-t-il. Ça explique tout. Il est la victime de la Commission, dit-il "le maillon faible".

La juge Charbonneau a eu beau le menacer d’outrage au tribunal ou de parjure, ou le tancer avec ironie plusieurs fois sur sa mémoire sélective, il a appliqué la règle de l’omerta, mot qu’il connaît bien : citer le moins de noms possibles de "paysans", se mêler de ses affaires et surtout, ne pas s’incriminer même sous la protection de l’immunité. André Cedilot, l’auteur du livre Mafia Inc, sur le clan des Siciliens, l’a bien expliqué.

Plusieurs fois, il a affirmé qu’il a commis une erreur : celle d’avoir manipulé tant d’argent. Il n’aurait pas dû faire ça. "Je le regrette" a-t-il dit. Mais tout le reste, les cadeaux, les billets de hockey, les bouteilles de vin, les billets de golf et même un peu de ciment dans l’entrée, c’est normal entre amis, "c’est des petits plaisirs" qui rendent la vie plus douce et facilitent les affaires. Il a dit: "Je vous mets au défi de prouver que la ville m’a fait des cadeaux. Les contrats, je les ai eus, parce que les Italiens sont les meilleurs dans les trottoirs."

Le passage de Nicolo Milioto devant la Commission Charbonneau, c’est du grand théâtre 601, donc de la fiction. Avez-vous regardé son visage tourmenté ? Avez-vous vu la grosseur de ses mains ? Comme pour Jean Charest qui a nié avoir eu une conversation avec Marc Bellemare, celle où il lui aurait dit à propos de la nomination des juges : "Si Fava te l’a dit, fais-le", nous sommes placés dans une situation où un des deux a menti : Jean Charest ou Marc Bellemare. Qui a menti sur la collusion, la corruption et les liens avec la mafia ? Alain Gravel et Marie-Maude Denis, Jacques Duchesneau, Lino Zambito, Martin Dumont, Michel Lalonde, Michel Leclerc (de Terramex) etc. ou Nicolo Milioto ?

Qu’est-ce que ma grand-mère Sicilienne Teresa Guastella aurait pensé de lui ? Je ne sais pas. Je me mêle de mes affaires. Ne pose pas de questions et joue aux cartes et pas à l’argent, c’est illégal. Joue pour savoir qui va payer l’expresso…

Robert Barberis-Gervais, Vieux-Longueuil, 26 février 2013
barberis@videotron.ca

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