jeudi 30 mai 2013
La Commission
Charbonneau manque-t-elle de
rigueur?
par Robert
Barberis-Gervais
Il est pratiquement impossible
de regarder la Commission
Charbonneau à la télévision sans
réagir.
Jusqu’ici je me suis retenu.
Mais suite à l'apparence du deux
poids deux mesures en comparant
le passage rapide d’André Morrow
(époux de Liza Frulla…) au rejet
de la demande de Guy Chevrette,
je me lance dans la mêlée en me
posant des questions sur la
crédibilité du témoin vedette
Gilles Cloutier.
Gilles Cloutier est un
organisateur qui a été pendant
dix ans sur la liste de paie de
Roche où il se rapportait à
Marc-Yvan Côté, ancien ministre
libéral qui, selon la Commission
Gomery sur le scandale des
commandites, se promenait avec
une valise pleine de cash dans
l’Est du Québec. On a appris
lors du contre-interrogatoire de
l’avocat Massicotte de Roche que
Gilles Cloutier n’a rapporté en
contrats à Roche que 262,000$
pendant dix ans, ce qui ne
justifiait pas son salaire trois
fois plus élevé en dix ans que
cette somme. Ce qui veut dire
que comme la plupart des
organisateurs politiques de ce
type, il se donnait de
l’importance, une importance
qu’il n’avait pas.
Il avait sans doute une façon
d’organiser des élections
municipales qui était efficace
mais sa méthode impliquait deux
budgets, un officiel et un
officieux qui ne respectait pas
la loi électorale puisqu’il
dépassait la plafond des
dépenses permises par la loi. A
ce propos, on a assisté à un
échange surréaliste entre Me
Sonia Lebel et un avocat qui
contre-interrogeait Gilles
Cloutier. Cet avocat a essayé de
faire dire au témoin que sa
façon d’organiser des élections
était malhonnête. Me Sonia Lebel
est intervenue pour dire que
voler une élection impliquait
qu’on remplissait des boîtes de
scrutin de faux bulletins de
vote et que comme Gilles
Cloutier n’avait jamais fait
cela, il n’avait jamais volé une
élection. Avec ce genre de
raisonnement, Robin Philpot
n’aurait jamais pu intituler son
livre sur le référendum de 1995
: "Le référendum volé".
On a ensuite appris suite à une
enquête d’un journal de Montréal
que Gilles Cloutier n’a jamais
été le propriétaire de la
fameuse maison de Pointe-au-Pic
où il offrait des vacances à des
"amis" dans le développement des
affaires mais qu’il en était le
locataire. Pris en flagrant
délit de mensonge, Cloutier a
admis qu’il avait menti "par
orgueil" dit-il. La question
s’est alors posée : pourrait-il
mentir aussi par partisannerie
politique ?
Pour évaluer sa crédibilité
comme témoin, examinons
l’histoire rocambolesque de
l’échange de sa maison avec
celle d’un Hells Angels, Denis
(pas fiable) Houle, en 2000, à
Blainville, avec un paiement de
105,000$ cash que Cloutier a
reçu. Il s’agissait de raconter
une histoire pour qu’on ne pense
pas que le sieur Cloutier
faisait affaire volontairement
avec un Hells Angels. Racontant
une visite à Piémont au repaire
des Hells, c’est là qu’il aurait
appris qui était Pas fiable
Houle. Vertueux comme il était,
il n’était pas question de faire
affaire avec un motard
criminalisé. Refusant la
transaction, Pas fiable "l’écume
à la bouche" "sortit son gun" et
c’est sous la menace que la
transaction se fit. Quand j’ai
entendu "l’écume à la bouche",
je me suis dit : on est dans
Balzac. A la réflexion, on était
dans Dostoievsky: lui-même
épileptique, le grand écrivain
russe a écrit un roman "L'Idiot"
où le personnage principal le
prince Mychkine est épileptique.
Même l’histoire du gun a été
niée par un témoin.
Puis vint l’histoire de
Chevrette que Cloutier a pris la
peine de répéter deux fois sans
que personne ne le lui demande.
Il faut croire qu’il y tenait à
ce 25,000$ donné à un ami de
Chevrette et à l’accusation
faite contre Chevrette d’avoir
magouillé (répété cinq fois)
dans le dossier de la route 125.
A ce propos, une entrevue de
Chevrette à Anne-Marie Dussault
nous a appris que Guy Chevrette,
lors d’une rencontre avec les
enquêteurs de la Commission
Charbonneau, avait nié toutes
les accusations de Cloutier. Or,
Me Sonia Lebel n’a pas cru Guy
Chevrette puisque, le lendemain,
elle a laissé parler Gilles
Cloutier. Elle a préféré croire
Gilles Cloutier. Commence-t-elle
à le regretter?
Mais la cerise sur le sundaie,
la voici. Vous vous souvenez de
l’histoire si touchante qui nous
avait amené les larmes aux yeux.
Gilles Cloutier aurait influencé
le maire de Saint-Stanislas-de-Kosta
Maurice Vaudrin pour obtenir un
contrat pour Roche en l’invitant
à une soirée des Expos puis à
assister à une partie du
Canadien au Centre Bell.
Cloutier a raconté comment il
avait demandé à Jean Béliveau de
remettre un chandail autographié
au petit-fils du maire qui les
accompagnait, un geste qui avait
arraché des larmes au maire. Or
semble-t-il, on est encore dans
Balzac: c'est de la fiction,
c'est une histoire inventée.
En effet, la veuve du maire,
Huguette Longtin, est
catégorique. Son mari n’a jamais
assisté à une partie des Expos,
n’a jamais mis les pieds au
Centre Bell et n’a jamais
rencontré Jean Béliveau. Elle a
appelé ses deux seuls
petits-fils : ils n’ont jamais
accompagné leur grand-père à une
partie du Canadien. Et "ils sont
fâchés" rapporte Pierre-André
Normandin dans La Presse du
samedi 25 mai 2013 page A11.
Celui-ci ajoute : "De plus,
Huguette Longtin affirme que
Gilles Cloutier se trompe quand
il dit avoir appris à son défunt
mari à truquer une grille
d’évaluation pour favoriser
l’octroi d’un contrat à Roche.
Elle brandit une résolution du
conseil municipal démontrant que
Maurice Vaudrin n’a pas siégé au
comité technique en question.
« Je n’ai pas d’ordres à donner
à la Commission, mais je
souhaiterais que Gilles Cloutier
soit accusé de parjure pour tous
les mensonges qu’il a dits »,
plaide Mme Longtin.
Dans le monde juridique, on dit
que l’abondance des détails
établit souvent la véracité d’un
témoignage. Nous sommes ici
devant un exemple contraire.
L’écume qui sort de la bouche de
Denis pas fiable Houle, c’est
trop. Le chandail de Jean
Béliveau, la famille du maire
l’aurait encore gardé
précieusement si c’était vrai.
La Commission Charbonneau est
donc dans l’eau bouillante:
a-t-elle manqué de rigueur? Je
termine par une question à Me
Sonia Lebel, procureure-chef de
la Commission. Etes-vous
toujours fière de votre témoin
chouchou Gilles Cloutier ? Et
avez-vous eu raison de le
chouchouter ? Permettez au
professeur de Lettres que j’ai
été de vous rappeler qu’Honoré
de Balzac est un des plus grands
romanciers du XIXè siècle
français et qu’il était un grand
inventeur d’histoires… fictives…
comme Gilles Cloutier, un des
témoins vedettes de votre
commission d’enquête. Me Lebel,
tirerez-vous profit de cette
cuisante leçon ?
Par souci de clarté, j’ajoute
que je ne sais pas si Guy
Chevrette a été irréprochable
pendant toute sa carrière
politique de 25 ans.
Ce que je sais toutefois et ce
que je dis, c’est que le témoin
Gilles Cloutier n’est pas très
crédible.
Ce que je sais aussi c’est que
la procureure-chef Sonia Lebel
de la Commission Charbonneau l’a
traité comme si il était un
témoin crédible. C'est bien
embêtant.
Sans parler de la fâcheuse
tendance des avocats et avocates
de la Commission à tourner
autour du pot et leur tendance à
la répétition. On commence à le
savoir ce qui s’est passé à
Montréal et à Laval. On pourrait
passer à autre chose.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
jeudi 30 mai 2013
barberis@videotron.ca
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