mercredi 16 avril 2014
La décision de
déclencher des élections n'était
pas obligatoire
par Robert
Barberis-Gervais
Mercredi, le 5
mars, la première ministre du
Québec a déclenché des élections
pour le 7 avril 2014. C'est
Pauline Marois qui a pris cette
décision. Elle s'est justifiée
en disant que l'opposition
rejetterait le budget qui venait
d'être déposé. Citons Bernard
Drainville qui a envoyé une
lettre publiée dans Le Devoir du
lundi 14 avril 2014 dont voici
le lien:
Mot-clé Charte des valeurs
québécoises | Le Devoir
www.ledevoir.com/motcle/charte-des-valeurs-quebecoises
Une semaine après la débâcle du
Parti québécois (PQ), Bernard
Drainville répond aux critiques
soulevées par ... La charte des
valeurs, un premier bilan.
Citons Drainville:
«Si nous croyions que la
neutralité religieuse de l’État
doit s’incarner aussi dans
l’apparence de ses employés,
nous avons pu constater que cet
enjeu divisait davantage les
Québécois. Et malgré le fait que
nous n’étions pas prêts à faire
de compromis sur le principe,
nous étions ouverts au compromis
sur les moyens, y compris à
limiter à certaines classes
d’employés l’interdiction du
port des signes dans un premier
temps. J’ai la profonde
conviction que, si les partis
d’opposition n’avaient pas
annoncé leur intention de voter
contre le budget Marceau, nous
aurions pu, avec la CAQ, en
arriver à un compromis qui
aurait permis l’adoption de la
charte».
Que serait-il arrivé si des
élections n'avaient pas été
décrétées?
Le budget ayant été déposé, il y
aurait eu un discours du budget.
Et une présentation des crédits.
La CAQ se sentant fragile, une
négociation aurait eu lieu avec
le gouvernement qui aurait pu
accepter quelques amendements
pour permettre à la CAQ de ne
pas s'opposer au budget. La
thèse officielle répétée par
Bernard Drainville dans la
partie du texte cité plus haut,
c'est que les partis
d’opposition ont annoncé leur
intention de voter contre le
budget Marceau. S'il fallait
prendre au pied de la lettre
l'intention du Parti libéral, il
en est tout autrement de la CAQ.
On connaît le style tonitruant
de François Legault: il aime
jouer les matamores et il se
croit obligé de le faire pour se
faire entendre comme deuxième
opposition. Mais étant donné sa
situation précaire dans les
sondages (peu importe leur
valeur réelle) alors que la CAQ
était à 15% d'appuis, il est
loin d'être sûr qu'il aurait
tout fait pour qu'il y ait des
élections. Ce n'est donc pas sa
responsabilité si la décision a
été prise d'aller en élections.
Si les élections n'avaient pas
été déclenchées par Pauline
Marois, pendant les tractations
sur le budget, la commission
parlementaire sur la Charte des
valeurs aurait continué à siéger
jusqu'à ce que le projet de loi
amendé soit présenté à
l'Assemblée nationale pour un
vote. Parmi les amendements, le
concept de prépondérance du
français aurait été remplacé par
celui de langue commune. La CAQ
aurait pu accepter que les
employées des garderies soient
ajoutées aux enseignants du
primaire et du secondaire et aux
directeurs d'école quant à
l'interdiction du port de signes
religieux ostensibles. Un
amendement aurait pu dire que
les droits acquis seraient
respectés et qu'aucune femme
musulmane déjà employée de l'Etat
au moment de l'adoption de la
Charte ne serait congédiée. La
Charte amendée aurait été
adoptée par un vote majoritaire
de l'Assemblée nationale. C'est
Bernard Drainville lui-même qui
l'écrit après l'avoir dit: «J’ai
la profonde conviction que nous
aurions pu, avec la CAQ, en
arriver à un compromis qui
aurait permis l’adoption de la
charte.» C'est le déclenchement
des élections qui la empêché
d'en arriver à un compromis avec
la CAQ.
Pendant ce temps, la Commission
Charbonneau aurait continué ses
travaux portant sur le Ministère
des transports en lien avec le
financement des partis
politiques. On aurait appris que
le système des prête-noms hélas
a été appliqué à tous les partis
mais dans la proportion deux
tiers un tiers en faveur du
Parti libéral. Cela, on le
savait: c'est écrit noir sur
blanc dans le rapport Duchesneau.
Mais le Parti québécois, sur le
terrain de l'intégrité, n'aurait
pas pu montrer patte blanche
complètement. Les signataires
d'affidavit impliquant Claude
Blanchet auraient été obligés de
sortir de l'ombre… en dehors
d'une campagne électorale.
Toute cette activité politique
fébrile nous aurait amené au
moins jusqu'à l'automne. Si un
vote de non confiance avait été
présenté à l'Assemblée nationale
et voté à la majorité des voix,
le gouvernement n'aurait pas eu
le choix de faire des élections
mais il aurait pu dire qu'il
avait respecté l'esprit de la
loi sur des élections à date
fixe même si elle ne s'applique
pas à un gouvernement
minoritaire.
Parmi les militants ou parmi les
ministres, il y en avait qui ne
voulaient pas du déclenchement
des élections à la date du 5
mars 2104: qui pourrait dire
aujourd'hui qu'ils avaient tort?
Le ministre Bernard Drainville a
dit et écrit qu'il était prêt à
s'entendre avec la CAQ sur la
Charte des valeurs. Ne peut-on
pas supposer qu'il aurait
préféré continuer la Commission
parlementaire sur la Charte pour
aboutir à une entente avec la
CAQ? Et que donc, il n'était pas
d'accord avec la décision de
déclencher des élections? Même
si Drainville est mon député, je
n'ai pas d'information
privilégiée; je ne fais que
réfléchir à haute voix. S'il y a
quelqu'un de frustré de n'être
pas allé jusqu'au bout de sa
démarche sur la Charte des
valeurs, c'est bien Bernard
Drainville et ce n'est pas moi
qui le dit, c'est lui dans sa
lettre au Devoir.
Si on les interroge, des
ministres en profitent pour dire
qu'ils ne faisaient pas partie
des stratèges qui ont conseillé
à Pauline Marois de déclencher
des élections. Ainsi dans une
réunion tenue avant l'annonce
officielle qu'il y aurait des
élections où il consultait des
militants de son comté sur
l'opportunité de déclencher des
élections, Bernard Drainville,
sibyllin, a insisté pour dire
que la décision revenait à
Pauline Marois. De même,
s'interrogeant sur les causes de
la défaite, Jean-François Lisée,
sur son blogue, a écrit qu'il
était pour une clause grand-père
à propos des signes
ostentatoires et que la preuve
qu'il n'avait pas été consulté,
c'est la position prise par
Pauline Marois quand on lui
reprochait des congédiements à
venir: elle ne parla jamais des
droits acquis par les femmes
portant le voile. (Ce qui, mon
avis, est une des graves erreurs
de la campagne.)
Si des élections n'avaient pas
été déclenchées, on aurait une
Charte des valeurs. La
Commission Charbonneau aurait
terminé ses travaux. Le thème de
l'intégrité aurait pu être
éventuellement joué fort
différemment et d'une façon plus
équilibrée dans une élection à
venir.
L'exercice que nous venons de
faire nous aide à avoir une idée
des éléments qui ont été
analysés avant de prendre LA
décision d'aller en élections.
Et nous permet de comprendre
pourquoi ceux qui ne voulaient
pas d'élections précipitées
après seulement 18 mois de
pouvoir avaient raison.
Reste à analyser les causes de
la cinglante défaite. Mais avant
de le faire, il n'était pas
mauvais de voir que la décision
du 5 mars d'aller en élections
n'était absolument pas
obligatoire et inéluctable et
qu'elle a été prise avec en tête
une stratégie…qui n'a pas
marché. On verra comment.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
mercredi 16 avril 2014
barberis@videotron.ca
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