mardi 29 avril 2014
La Charte des
valeurs a mobilisé le vote des
non-francophones
par Robert Barberis-Gervais
On ne se demandera pas qui est
responsable de quoi mais
qu’est-ce qui s’est passé. Le
but est de comprendre le vote du
7 avril 2014. Il faut avoir
recours à une science humaine
qui s’appelle la sociologie
électorale où s’est illustré
pendant des décennies Pierre
Drouilly. Claire Durand (et
Pierre Serré qui publie dans
l’Action nationale) a pris la
succession de Pierre Drouilly
qui dirige avec Pierre-Alain
Cotnoir une maison qui fait des
sondages internes pour le Parti
québécois.
Résumons d’abord l’analyse de
Claire Durand publiée dans « La
Presse » du 19 avril 2014 sous
le titre : « Le vote, la Charte,
nous et les autres ». En se
basant sur les résultats de
l’élection, elle analyse la
participation et les préférences
de vote et essaie de voir si on
peut en déduire un impact de la
Charte. Voici ce qu’elle
observe.
« La participation électorale a
diminué de 3,2% dans l’ensemble
du Québec entre 2012 et 2014.
(…) La forte participation des
non-francophones se traduit par
le fait que les 17
circonscriptions de la région de
Montréal comprenant plus de 50%
de non-francophones ont toutes
un taux de participation plus
élevé qu’à l’élection de 2012. À
l’opposé, le taux de
participation a diminué dans
pratiquement toutes les
circonscriptions comprenant plus
de 50% de francophones.
L’élection de 2014 aura donc été
très mobilisatrice pour les
non-francophones ».
Comment les non-francophones
ont-ils voté le 7 avril 2014 ?
Le sur-titre dit tout :« Tous
derrière le PLQ ». Selon Claire
Durand, « l’élection de 2014 se
caractérise par un retour à un
vote presque homogène en faveur
du PLQ chez les
non-francophones. En 2012, on
estimait le vote pour le PLQ à
76% alors qu’en 2014, les mêmes
estimations donnent un appui de
93% au PLQ, soit une hausse de
17 points. (…) les deux partis
qui appuyaient une interdiction
élargie du port de signes
religieux (le PQ et la CAQ) ont
perdu leurs appuis de façon
significative chez les
non-francophones et ceci, malgré
les positions constitutionnelles
opposées de ces partis. »
Comment les francophones se
sont-ils comportés ?
« Chez les francophones,
l’estimation donne une
augmentation du vote pour le PLQ
de huit points entre 2012 et
2014 (de 21% à 29%) et une
baisse du même ordre pour le PQ
(de 38% à 32%). La CAQ maintient
ses appuis aux alentours de 30%
et Québec solidaire augmente ses
appuis, de 5% à 8%. Chez les
francophones, c’est uniquement
le Parti québécois qui a perdu
des appuis. L’appui à la Charte
ne s’est donc pas traduit en
appui au PQ ».
Claire Durand analyse le vote
dans trois circonscriptions de
la région de Montréal.
« Le PQ a perdu trois
circonscriptions au PLQ dans la
région de Montréal, soit
Crémazie, Laval-des-Rapides et
Sainte-Rose. Toutes ces
circonscriptions se
caractérisent par la présence
d’une forte proportion de
personnes de langue maternelle
autre que française, soit 26%
dans Sainte-Rose, 30% dans
Laval-des-Rapides et 32% dans
Crémazie. Dans ces
circonscriptions, la
participation a diminué moins
que dans l’ensemble de la
province et, dans
Laval-des-Rapides et
Sainte-Rose, la proportion de
votes pour le PLQ a augmenté
plus que dans l’ensemble du
Québec. »
Quelle est la conclusion
qu’en tire la sociologue ?
« En conclusion, les
non-francophones se sont
mobilisés plus fortement dans
cette élection que dans toutes
les élections qui ont eu lieu
depuis le référendum de 1995. De
plus, leur vote est redevenu
très homogène. Effet de charte
ou effet de la crainte d’un
référendum ? On peut penser que
l’effet référendum avait déjà eu
lieu en 2012. L’augmentation de
la participation des
non-francophones en 2014
apparaît donc surtout due à
l’impact du projet de Charte de
la laïcité. Les francophones
déterminent toujours le résultat
des élections, mais le vote des
non-francophones, qui
constituent plus du tiers de la
population de la grande région
de Montréal, peut de moins en
moins être négligé ».
Des analyses de la sociologue
Claire Durand basées sur les
résultats de l’élection du 7
avril, il faut conclure que la
Charte des valeurs québécoises a
mobilisé les non-francophones et
divisé les francophones. Cette
mobilisation des
non-francophones expliquerait la
défaite du Parti québécois, par
exemple, dans Ste-Rose,
Laval-des-Rapides et Crémazie.
S’il est vrai que la majorité
des francophones soit environ
60% appuyait la Charte, étant
donné que le Parti québécois n’a
obtenu que 25.38% (1,074,120
votes) du vote essentiellement
francophone, cela veut dire que
seulement la moitié des
francophones favorables à la
Charte ont voté pour le Parti
québécois. On pouvait donc être
pour la Charte et voter pour un
autre parti que le Parti
québécois, la CAQ (23.05%,
975,607 votes) par exemple, qui
était favorable en bonne partie
avec la Charte sur
l’interdiction du port de signes
religieux ostensibles pour les
directeurs d’écoles et les
enseignants du primaire et du
secondaire. C’est ce qu’on peut
appeler un vote divisé. De plus,
Québec solidaire qui était
contre la Charte a obtenu 7.63%
(1.6% de plus qu’en 2012) du
vote soit 323,124 votes.
Puisque plus de 60% des
francophones et une partie des
non-francophones étaient
favorables à la Charte, l’idée
que la Charte des valeurs
pourrait contribuer à la
victoire électorale du Parti
québécois s’est avéré une fausse
bonne idée. On l’a dit et
c’était vrai que l’appui à la
Charte n’aboutissait pas
nécessairement à un vote pour
obtenir un gouvernement
majoritaire du Parti québécois
qui aurait adopté telle quelle
la Charte des valeurs. Les
résultats des élections du 7
avril en font l’éclatante
démonstration.
Peu importe sa valeur
intrinsèque comme expression
d’une politique basée sur la
laïcité de l’Etat et la volonté
de proposer l’égalité
homme-femme compromise par le
voile intégriste, la Charte des
valeurs est une cause de la
défaite du Parti québécois aux
élections du 7 avril 2014. Elle
a divisé les francophones et
mobilisé les non-francophones
multiculturalistes et
pro-canadiens inconditionnels
déjà échaudés par la possibilité
d’un autre référendum. L’ambiguité
sur le référendum aussi a divisé
le vote francophone.
Il aurait donc fallu adopter la
Charte des valeurs avec une
entente PQ-CAQ avant d’aller en
élections. Pour cela, il aurait
fallu moins se traîner les pieds
en commission parlementaire sur
la Charte avec des Mémoires qui
n’en finissaient plus. Avec une
position claire sur le respect
des droits acquis par les femmes
employées de l’Etat portant le
voile comme le souhaitaient Guy
Rocher, Michel Gauthier,
Jean-François Lisée et votre
humble serviteur qui proposait,
en plus, qu’on explique aux
femmes voilées que selon des
théologiens musulmans crédibles,
si une femme a à choisir entre
son voile et son emploi, qu’elle
choisisse son emploi. L’entente
avec la CAQ aurait été possible
car la CAQ en position de
faiblesse dans les sondages (peu
importe leur valeur
scientifique) aurait pu ne pas
s’opposer au budget. Il aurait
fallu aussi adopter une position
différente sur le référendum.
Avant de sonner le glas du
projet indépendantiste et avant
de se demander ce qu’il faudrait
faire à l’avenir, il faut
absolument regarder en face ces
erreurs stratégiques graves. Ne
croyez-vous pas ? La première
ministre, cinq ministres et 18
députés en ont payé le gros prix
: ils ont perdu. Qu’est-ce qui a
contribué à diviser le vote
francophone ? L’existence de
quatre partis politiques ; la
cacophonie des médias et
l’hostilité des journalistes ;
le tintamarre pseudo-vertueux
des "inclusifs" y compris des
Jacques Parizeau, Lucien
Bouchard, le subtil Bernard
Landry qui a réussi le tour de
force d’être contre et pour la
Charte, Gilles Duceppe, ceux que
certaines femmes appellent avec
un mépris justifié « les boys »
qui ne pouvaient tolérer qu’une
ex-attachée politique réussisse
là où ils avaient lamentablement
échoué et une femme en plus.
Saupoudrer le tout de misogynie
et d’envie à l’égard d’une femme
riche.
Il faudra bientôt se placer dans
une perspective post-Marois,
post-étapiste avec dans l’équipe
un nouveau joueur de concession
comme on dit au hockey,
Pierre-Karl Péladeau. Comme Marc
Bergevin qui est allé chercher
Thomas Vanek qui change toute la
dynamique du club de hockey «
les Canadiens », il faut
remercier Pauline Marois d’avoir
poussé cet homme d’envergure
charismatique qui aime les gens
vers un engagement politique en
faveur d’un Québec indépendant.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
mardi 29 avril 2014
barberis@videotron.ca
|