jeudi 20 février 2014
Jeux Olympiques
L’ouverture sur le monde versus
le nombrilisme national
par Robert Barberis-Gervais
A
l’occasion des Jeux olympiques
de Sotchi, un fédéraliste
éminent que je ne nommerai pas
invite à une ouverture sur le
monde et rejette ce qu’il
appelle le nombrilisme national.
Il a tellement peur du
nationalisme québécois qu’il en
vient à rejeter le nationalisme
canadien qui s’exprime à forte
dose avec une multitude de
drapeaux du Canada à chaque
épreuve olympique. De quoi
devenir allergique à la couleur
rouge.
Ainsi il reproche à Steven
Harper d’avoir envoyé huit
télégrammes de félicitations. En
effet, peu de temps après que le
couple Virtue-Moir a décroché la
médaille d’argent en danse sur
glace, le bureau du premier
ministre Harper a émis un
communiqué félicitant les
patineurs. « Les Canadiens sont
fiers de la performance de Tessa
Virtue et de Scott Moir, a
déclaré M. Harper. Tessa et
Scott continuent d’être une
source d’inspiration et de
montrer au monde entier que les
athlètes canadiens figurent
parmi les meilleurs. » Ce
communiqué était le huitième
publié par le bureau du premier
ministre depuis le début des
Jeux. À l’issue de chaque
journée où des athlètes
canadiens ont gagné une place
sur le podium, M. Harper a
exprimé sa fierté et loué leur
performance « remarquable », «
extraordinaire », «
spectaculaire », « incomparable
».
Pour le penseur de l’Idée
fédérale, cette attitude du
premier ministre du Canada
exprimant une certaine fierté
canadienne est déplorable : elle
est qualifiée de nombrilisme
national. Pauline Marois est
aussi à blâmer. Avant même le
début des Jeux, Mme Marois a
souhaité bonne chance aux
Québécois partis pour Sotchi,
déclarant que « pour le Québec,
ils sont tous des ambassadeurs
et des ambassadrices en or ». De
plus, faute gravissime, elle ne
manque pas une occasion de
vanter les performances des
athlètes québécois.
Et l’antinationaliste patenté de
conclure qu’il est dommage qu’à
tous les deux ans, politiciens
et médias nous poussent vers le
nombrilisme national plutôt que
vers l’ouverture au monde.
Ce raisonnement est tellement
crétin que pour en montrer la
crétinitude, j’ai décidé d’en
faire la démonstration par
l’absurde.
Je tiens donc à féliciter
chaleureusement les Pays Bas qui
en sont rendus à 20 médailles
aux jeux olympiques de Sotchi.
Je me réjouis particulièrement
du dernier triplé néerlandais en
patinage de vitesse de 10,000
mètres. Il s’agit du quatrième
balayage néerlandais au Centre
de patinage Adler et les
représentants des Pays-Bas ont
remporté un total de 19
médailles en patinage de vitesse
longue piste depuis le début des
Jeux de Sotchi. Je veux
féliciter les parents de ces
superbes athlètes et je suis
impressionné par les programmes
de développement des élites
sportives aux Pays Bas. Vive les
Néerlandais aux couleurs orange.
Cette ouverture sur le monde que
je viens d’exprimer me remplit
d’une joie profonde que je vous
invite à partager au lieu de
vous complaire comme Steven
Harper et Pauline Marois dans le
nombrilisme national canadien ou
québécois.
N’est-ce pas complètement
quétaine d’être fier de la
formidable performance du couple
formé de Tessa Virtue et Scott
Moir qui ont gagné la médaille
d’argent en patinage artistique
et ne doit-on pas déplorer le
chauvinisme des experts en
patinage artistique de
Radio-Canada qui ont prétendu
que les Américains avaient été
moins expressifs et moins
fusionnels que les Canadiens qui
méritaient la médaille d’or.
Pourquoi pleurer les déboires et
les chutes de Charles Hamelin et
Marianne St-Gelais qui n’ont pas
gagné de médailles en courte
piste ? Souhaiter la victoire de
ces Québécois éminemment
sympathiques, n’est-pas montrer
un nombrilisme déplorable ! Au
contraire, manifestant une fois
de plus notre ouverture sur le
monde, même s’il s’agit de nos
proches voisins, applaudissons à
la victoire du couple américain
en patinage artistique. Citoyens
du monde apatrides et habitants
de la planète terre,
élevons-nous au-dessus des
particularismes nationaux sinon
nationalistes et avec grandeur
d’âme et altruisme, versons une
larme d’émotion en pensant aux
parents du jeune couple
américain Soyons remplis
d’admiration devant le programme
américain de formation des
élites sportives qui aspirent à
réaliser leur rêve de participer
aux Jeux olympiques.
Réjouissons-nous de la victoire
américaine en patinage
artistique.
N’ayons pas la petitesse
d’esprit de souhaiter que les
Canadiennes gagnent la médaille
d’or au hockey et que les
Canadiens gagnent la médaille
d’or au hockey. Ce serait tomber
dans le nombrilisme national.
Que la joie envahisse nos coeurs
devant les exploits de la
Norvège. En effet, la récolte de
médailles de la Norvège a de
quoi surprendre. Moins d’une
semaine avant la fermeture des
Jeux de Sotchi, le petit pays
d’Europe est quatrième au
chapitre des médailles, avec
sept médailles en ski de fond,
quatre en biathlon, trois en
combiné nordique, deux en ski
alpin et une médaille en surf
des neiges. La Norvège compte
sept médaillés d’or.
Réjouissons-nous mes frères en
humanité des succès de ce petit
pays où le programme
sport-études offre des
conditions rêvées aux jeunes
athlètes. Bravo donc à la
Norvège.
Empreint de cette ouverture sur
le monde, il me faut déplorer le
nombrilisme national québécois
qui, dès le début des Jeux, m’a
fait éprouver un grand plaisir
et une forte émotion en voyant
les magnifiques soeurs Justine
et Chloé Dufour-Lapointe
décrocher les médailles d’or et
d’argent à l’épreuve des bosses
en ski acrobatique, Justine et
Chloé ayant offert des descentes
sans faille dans la dernière
étape de la finale. D’autant
plus qu’en tant que Montréalais
de naissance et de jeunesse, je
ne pouvais qu’être touché par
ces exploits sportifs d’une
famille montréalaise. De même,
je m’en veux de m’être réjoui de
la médaille d’argent de
Dominique Maltais au snowboard
cross du surf des neiges.
Il est temps de conclure. Tous
les sentiments de joie et de
fierté que nous éprouvons devant
les médailles d’or, d’argent et
de bronze gagnées par les
athlètes canadiens et québécois
sont à réprimer. C’est du
nombrilisme national. Ainsi donc
au nom de l’ouverture sur le
monde, nous devons nous réjouir
des succès de tous les pays de
la planète mais il nous est
interdit de nous réjouir des
succès des Canadiens et des
Québécois.
Une logique impitoyable impose à
celui qui rejette le
nationalisme québécois de
rejeter aussi le nationalisme
canadien et, quant à y être, à
rejeter tous les nationalismes.
Et, en toute logique, à abolir
les Jeux Olympiques.
Ces Jeux Olympiques de Sotchi
nous auront donné l’occasion de
constater à quelle absurdité
peut conduire l’option politique
qui s’oppose à tout prix à ce
que le Québec devienne un pays.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
jeudi 20 février 2014
barberis@videotron.ca
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