jeudi 30 janvier 2014
Lucien
Bouchard encourage les maux
qu'il dénonce
Par Robert
Barberis-Gervais
Dans un texte
paru dans la section « Débats »
de« La Presse » du mardi 28
janvier intitulé « Le dur test
de la réalité », Lucien
Bouchard, se sert de Guy Rocher
comme instrument pour semer le
doute sur la validité des
principes qui inspirent la
Charte de la laïcité. Il
qualifie de « test de la
réalité » les difficultés qu’il
entrevoit dans l’application de
l’interdiction du port de signes
religieux ostentatoires.
Puisqu’il parle
de Guy Rocher, il est utile de
rappeler la position du
sociologue. Son principe de base
est que « face à la diversité
religieuse, les institutions
publiques doivent être neutres
pour respecter les convictions
de toutes les « clientèles » qui
recourent à leurs services ».
(« Le Devoir », 23 janvier 2014)
Il est en désaccord avec les
opposants au projet de Charte
qui soutiennent que c’est la
diversité des convictions
religieuses du personnel des
institutions publiques neutres
qu’il faudrait maintenant
respecter. Dans le monde de
l’éducation, par exemple, selon
Lucien Bouchard, le respect des
convictions de l’enseignant(e)
aurait désormais priorité sur le
respect des convictions des
parents, des élèves, des
étudiants(e)s. « Il s’agit là,
en regard de notre passé, d’un
renversement de la priorité du
respect des convictions
religieuses, inspiré à mes yeux
par une conception trop
individualiste des institutions
destinées au service public »,
écrit Guy Rocher. Pour le
sociologue, ce qu’il faut
d’abord respecter, ce sont les
personnes qui reçoivent les
services : il ne faut pas que
celui ou celle qui offre le
service au nom de l’État qui est
neutre impose sa religion à la
clientèle.
Pour montrer que
ce principe sur lequel repose la
loi 60 est fragile, Lucien
Bouchard s’appuie sur les
difficultés qu’il imagine dans
l’application pratique de
l’interdiction des signes
ostentatoires. Dans
son« Mémoire » présenté devant
la Commission parlementaire sur
la loi 60. Guy Rocher écrit :
« Je considère, au nom de la
justice, qu’on ne devrait pas
exclure de leur poste de travail
les personnes portant déjà des
signes ostentatoires de
convictions religieuses. Bien
sûr, cela a l’inconvénient de
maintenir des disparités dans
les milieux de travail (qui
existent déjà en réalité), mais
cela est beaucoup moins grave
que l’exclusion. »
Supposons que la
loi 60 est votée. Elle établit
le principe que dans les
hôpitaux, dans les écoles, dans
les garderies, dans la fonction
publique, au nom de la
neutralité de l’État et de la
diversité des clientèles dont il
faut respecter les convictions,
les signes religieux
ostentatoires sont interdits sur
les heures de travail pour tous
les employés. C’est la loi et
elle doit être respectée. Et,
s’il le faut, la clause
dérogatoire sera utilisée pour
empêcher les contestations
judiciaires.
Bernard
Drainville a déjà dit que les
employés actuels qui portent des
signes ostentatoires seront
invités à respecter la loi avec
une période de transition. D’un
point de vue syndical, ces
employés ont acquis de
l’ancienneté et un droit de
garder leur emploi. Ont-ils
acquis pourtant le droit de
continuer à porter leur signe
religieux ostentatoire si la loi
60 l’interdit, telle est la
question. Quant aux nouveaux
employés des secteurs publics et
para-publics, ils devront
respecter la loi.
Lucien Bouchard
en super réaliste qu’il se dit
être et avec sa mentalité
chartriste canadienne et
québécoise qui met l’accent sur
les droits individuels des
employés (et non pas des
clientèles), décrit une
situation de désordre et de
chaos social.
Si la loi 60 est
adoptée, les employés de l’État
qui décideraient pour des
raisons religieuses, de
continuer à porter le voile ou
la kippa seraient, selon lui,
« condamnés au congédiement ».
Il écrit :
« Le spectacle de
jeunes préposées aux garderies
dépouillées de leur gagne-pain,
de médecins de l’Hôpital Juif ou
d’enseignants clamant leur
désarroi chaque soir au
téléjournal pourrait bien en
effet déclencher l’indignation
de Québécois aujourd’hui
rassurés par des raccourcis
faciles. »
Il ajoute : « Guy
Rocher (…) imagine une clause
« grand-père » qui permettrait
aux agents récalcitrants de
rester indéfiniment en fonction
en gardant leurs signes
religieux. Pour éviter la grave
iniquité du congédiement
automatique de personnes par
ailleurs irréprochables, le
professeur propose de s’en
remettre à un expédient qui
permettrait aux actuels porteurs
de signes de travailler
éventuellement à côté de
coreligionnaires privés du même
droit. On peut déjà se
représenter l’incompréhension
des bénéficiaires de services,
les récriminations, la confusion
et la myriade d’imbroglios
judiciaires qui s’ensuivraient.
Il pourrait même se trouver des
fonctionnaires, peu enclins
jusque-là à exhiber de tels
signes, qui commenceraient à s’y
adonner, ne serait-ce que par
souci de préserver leur droit
« historique » à la protection
de la clause « grand-père » du
professeur Rocher. »
Lucien Bouchard
ne se rend pas compte que les
problèmes qu’il prévoit sont
causés par des gens comme lui
qui s’opposent à la Charte de la
laïcité. En effet, il est
irresponsable d’encourager des
employés de l’État à garder
leurs signes religieux
ostentatoires comme si c’était
un droit sacré découlant de la
liberté de religion. Ils ont
une interprétation des droits
tirées des Chartes des droits
qui mettent ceux de la personne
au-dessus de toute autre
considération. Avec cette
mentalité légaliste, il suppose
et on dirait qu’il le souhaite
que des individus ne respectent
pas la loi interdisant les
signes religieux ostentatoires.
Il suppose que les gens ne
respecteront pas la loi et
décrit la situation qui en
résulte pour empêcher que la loi
soit votée.
Voyez-vous le
cercle vicieux ?
Si la loi 60 est
votée par le Parlement, elle
exprimera la volonté du peuple
québécois. Encourager d’avance
la dissidence et la
désobéissance civile comme le
fait Lucien Bouchard, c’est
faire passer l’égoïsme
individuel des personnes qui
voudraient porter ostensiblement
des signes religieux sur les
heures de travail avant
l’intérêt collectif. C’est aller
contre le vouloir-vivre ensemble
tel qu’exprimé par la loi 60 si
elle est adoptée par le
Parlement québécois. C’est un
manque de civisme grave qui
s’oppose à l’intégration. C’est
irresponsable.
Est-ce que la
logique qui s’inspire d’un
aveuglement béat devant les
Chartes des droits individuels
et qui conduit aux situations
problématiques décrites par
Lucien Bouchard est déployée
simplement pour avoir raison à
tout prix et pour empêcher que
la loi 60 soit votée ? C’est
bien possible.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
jeudi 30 janvier 2014
barberis@videotron.ca
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