samedi 07 juin 2014
Comment les
Québécois ont cru être contre le
référendum
par Robert Barberis-Gervais
On dira que je suis un mauvais
perdant. C'est vrai, je déteste
perdre que ce soit dans les
sports ou en politique. Mais il
n'est pas interdit d'essayer de
comprendre ce qui s'est passé
Après deux mois d'analyses
diverses sur les causes de la
défaite du 7 avril 2014, une
idée se dégage qui est la
suivante: la question nationale
réduite à la possibilité ou non
de tenir un référendum a joué un
rôle capital.
Un indice se trouve dans la
publicité payée par le Parti
libéral du Québec et publiée
dans les journaux samedi le 5
avril, deux jours avant les
élections.
Accompagné d’une photo de
Philippe Couillard et de sa
signature, le texte disait :
« Le 7 avril, LE CHOIX EST
CLAIR.
Le Parti québécois qui veut un
référendum à tout prix, ou
l’équipe du Parti libéral qui
travaillera sans relâche pour
relancer l’économie.
Joignez-vous à moi pour
qu’ensemble, on s’occupe des
vraies affaires. »
Donc, pour le Parti libéral, le
choix proposé aux Québécois
était entre un référendum à tout
prix (ce qui est une grossière
exagération donc un mensonge) et
la relance de l’économie.
En regardant les résultats de
l’élection, on est obligé
d'admettre que la stratégie du
référendum à tout prix a
fonctionné parce qu’elle a
éclipsé la valeur de l’équipe du
Parti québécois et ses priorités
qui étaient l’assainissement des
finances publiques et l’emploi,
l’intégrité, la Charte de la
laïcité et le renforcement de la
langue française surtout à
Montréal.
Le sujet du présent article est
d’essayer de comprendre pourquoi
la stratégie du Parti québécois
sur la question nationale a
échoué et pourquoi la stratégie
du Parti libéral a réussi.
Dès le début, Pauline Marois a
annoncé un livre blanc qui
ferait la description de la
situation du Québec dans le
Canada et envisagerait des
solutions. Ce livre blanc devait
permettre de reporter à plus
tard les débats sur le statut
politique du Québec dans le
Canada.
Les journalistes ont pris un
malin plaisir à faire échouer
cette stratégie en donnant
l’occasion à Pauline Marois de
dire qu’un Québec souverain
garderait le dollar canadien et
tenterait d’obtenir un siège à
la Banque du Canada. De plus, il
y aurait libre circulation des
biens et des personnes entre le
Canada et le Québec, un peu à
l’image des pays européens.
Pauline Marois est tombé dans le
piège tendu par des journalistes
de « La Presse » et du « Globe
and Mail » dont la spécialité
est de faire dérailler les
stratégies péquistes d’une
élection à l’autre. On reconnaît
les voix de Tommy Chouinard de
"La Presse"et de Rhéal Séguin du
"Globe and Mail" au téléjournal.
La chef péquiste a donc été
amenée à détailler son projet
d’un Québec indépendant. C’était
contraire à la stratégie,
c’était une erreur et Pauline
Marois elle-même l’a admis. Et
elle a payé très cher cette
erreur. Quand on n’est pas
capable de contrôler des
journalistes et de contrôler les
réponses qu’on donne aux
journalistes, on peut perdre les
élections.
Quand Pierre-Karl Péladeau, le 9
mars, un beau dimanche matin à
St-Jérôme, a posé sa candidature
pour devenir député du Parti
québécois et a affirmé avec
force ses convictions
indépendantistes, le poing en
l'air, on l'a assez répété, les
Québécois se sont dits : si
Pierre-Karl Péladeau veut que le
Québec devienne un pays, il
voudra prendre le moyen d’y
arriver c’est-à-dire un
référendum. Cela venait clouer
un dernier clou dans le cercueil
de la stratégie amorcée avec le
livre blanc.
On peut blâmer la garde
rapprochée de Pauline Marois et
Pauline Marois elle-même mais
n’est-il pas temps de se
demander pourquoi la stratégie
de la peur du référendum du
Parti libéral a si bien
fonctionné. Une analyse sommaire
du message politique véhiculé
par les médias nous apporte la
réponse. Et il n’est pas
nécessaire d’être un spécialiste
de Noam Chomsky et de «
manufactoring consent » pour
comprendre.
Depuis 1995, les médias
québécois ont entrepris une
gigantesque opération pour faire
croire aux Québécois qu’ils sont
contre l’idée de faire un
troisième référendum sur
l’indépendance du Québec. On
pourrait dire que les politicens,
les journalistes, lecteurs de
nouvelles, commentateurs
politiques se sont concertés
pour que la majorité des
citoyens se disent : « Je ne
veux pas de référendum. » Et,
dans l’inconscient : « J’ai peur
du référendum ».
La fabrication de ce consensus
anti-référendum a commencé le
soir même du référendum du 30
octobre 1995 quand tout ce qui a
droit de parole a dénoncé les
propos de Jacques Parizeau
expliquant la défaite par «
l’argent et des votes ethniques
» même si ce diagnostic fut
confirmé par Robin Philpot dans
son livre « Le référendum volé »
(2005).
En novembre 2006, un autre livre
« Les secrets d’Option Canada »
de Normand Lester et Robin
Philpot donnait des informations
précises sur les sommes d’argent
dépensées illégalement en secret
par les forces du NON dont le
vice-président était Jean
Charest. Ce qu’avait dit Jacques
Parizeau sur « l’argent et les
votes ethniques » était donc
vrai. Et les fédéralistes
n'avaient pas joué "fair play";
ils ne le font jamais d'ailleurs
depuis Robert Bourassa jusqu'à
Philippe Couillard.
Pendant des années, les
fédéralistes ont souligné que le
référendum avait divisé les
familles et créé des tensions
spécialement avec les
anglophones et les anglophiles
(ex-immigrants) qui tiennent à
tout prix à rester dans le
Canada tel qu’il est et qui
obtiennent ce résultat en votant
massivement NON aux référendums
et à plus de 90% pour le Parti
libéral du Québec et contre les
indépendantistes même si cela
veut dire accepter la
corruption. Pendant des années,
ils ont répandu cette idée que «
la constitution », comme aimait
à le répéter Jean Chrétien,
n’intéresse pas l’homme de la
rue et Justin Trudeau affirme
encore que la constitution
n’intéresse plus personne sauf
les journalistes, les
politicologues et certains
politiciens. Et ce message est
constamment répété dans les
médias. De toute façon aucune
réforme du fédéralisme n'est
possible: Pierre-Elliot Trudeau
a rendu impossible tout
changement. C'est normal quand
on se croit supérieur à tout le
monde.
Le référendum est un moyen
démocratique qui donne
l’occasion à ceux qui veulent du
changement de s’exprimer. Ceux
qui sont contre l’indépendance
du Québec ne veulent pas
argumenter sur les inconvénients
du fédéralisme ou sur les
avantages qu’il y aurait pour le
Québec de contrôler les 60
milliards minimum que les
Québécois envoient à Ottawa
chaque année en taxes et en
impôts. Comme ils sont pour le
statu quo, ils ont trouvé plus
malin de s’attaquer au moyen
d’obtenir des changements
c’est-à-dire le référendum. Pour
mes jeunes lecteurs, je rappelle
que le latin « statu quo » veut
dire qu’on reste comme on est et
qu’on s’oppose à tout
changement. On accepte le
système politique comme il est
comme s’il était de droit divin.
Donc le Québec reste dans le
Canada et finance à coups de
milliards les bateaux de guerre
dont aucun contrat n'a été donné
au Québec (on vient de refuser
que le Diefenbaker soit
construit à Lévis) et les jet
F-35 qui font la politique
étrangère américaine et il y
aura du péage sur le pont
Champlain point à la ligne.
Puisque le changement véritable
serait l’indépendance du Québec,
on est contre le référendum qui
est un moyen de faire ce
changement en sortant du Canada.
Alors partout dans les médias
domine le placotage
anti-indépendantiste, anti-Parti
québécois et anti-référendum
avec un souverainiste ici et là
qui participe au débat et qui
est obligé à la concision parce
que deux ou trois autres
thuriféraires du régime ont
aussi droit de parole avec un
animateur maison qui n’est pas
neutre et même carrément
hostile.
Ça commence par un sondage CROP-bidon
comme on vient de le faire avec
les opinions politiques des
jeunes. Le pourcentage des
Québécois favorables à
l’indépendance baisse sans cesse
et le pourcentage des Québécois
qui veulent un référendum est
plutôt faible. Les chiffres qui
n’ont aucune valeur scientifique
sont repris au club des Ex, aux
Coulisses du pouvoir, chez
Richard Martineau et Mario
Dumont. Les Québécois ne veulent
pas de référendum décrète Jean
Lapierre qui a rencontré
quelques vieux au centre d’achat
et au petit déjeuner à St-Eloigné.
Des gens de droite près du
peuple comme Jérôme Landry de
RadioX et Joanne Marcotte
renchérissent. Le trio des
Coulisses du pouvoir Castonguay,
Hébert, Auger se penche
sérieusement sur la réforme du
sénat et l’ennuyeuse et
insignifiante saga des dépenses
de certains sénateurs ou des
dépenses de Lise Thibault qui a
pris au sérieux son rôle de
représentante de la reine
d’Angleterre. "The Queen can't
go wrong" répète-t-elle.
Chantal Hébert comme membre de
la fondation Trudeau s’occupe
des vraies affaires. Après avoir
écouté ses analyses, puisque le
système fédéral est
indestructible, vous n’avez pas
le goût de faire de l’action
politique mais d’aller jouer au
golf. Alec Castonguay donne
l’exemple de Roméo Dallaire
comme sénateur modèle. Michel C.
Auger nie qu’il y ait un
problème de la langue française
à Montréal puisque c’est un des
fondements de la lutte
indépendantiste : on voit qu’il
ne s’intéresse ni aux études de
Charles Castonguay ni au concept
du français langue commune.
Comme journaliste pourtant, il
devrait s’y intéresser. Ce sont
des chroniqueurs qui se vautrent
dans le statu quo. Quiconque
veut du changement est suspect
et discrédité : il ne parle pas
des vraies affaires qui se
passent à Ottawa qui aura
bientôt des surplus budgétaires
parce qu'il ne finance pas la
santé à 50% comme il s'y était
engagé même si Stephen Harper
accumule les revers à la Cour
suprême. Au téléjournal, une
Anglaise de Toronto, entre deux
soupirs sur Rob Ford, commente
la politique québécoise et aussi
un ancien journaliste de
Radio-Canada qui écrit des
romans. Au club des Ex,
Jean-Pierre Charbonneau est pris
en sandwich entre trois
fédéralistes et arrive de peine
et de misère à placer son mot
tout de suite enterré dans les
placotages insignifiants de
l’ex-député libéral partisan du
vote ethnique Christos Sirros.
Martine Biron et Anne-Marie
Dussault camouflent mal leur
grande joie depuis la défaite du
7 avril. La première peut dire
n’importe quoi quand elle fait
un reportage sur le Parti
québécois et Anne-Marie Dussault
a montré une hostilité non
professionnelle sur la Charte
des valeurs à l’égard de Bernard
Drainville et sur Elaine Zakaïb
qui n'avait rien à se reprocher
à l’égard de Pierre Duchesne.
Certains esprits partisans et
superficiels qualifieront cette
cacophonie des médias de
démocratie. Au contraire, cette
cacophonie, ce manque de rigueur
dans le traitement de
l’information ne sont pas le
fruit du hasard. Ils ont pour
but de maintenir le statu quo.
Ils ont pour but de ne rien
changer à la situation politique
existante et à la situation
économique qui permet de servir
des intérêts privés au détriment
de la collectivité québécoise.
L’élite politique et économique
du Canada domine les médias et
pousse les citoyens à s’insérer
dans la société telle qu’elle
est au lieu de se rebeller
contre le système suite à une
prise de conscience des
inégalités et des injustices. La
conscience du changement
possible est ainsi minée et les
alternatives dans les stratégies
d’action sont découragées. Le
citoyen a l’impression qu’il est
un rouage dans une machine où «
l’élite » qui a le pouvoir peut
continuer à tout contrôler, à
augmenter ses profits en faisant
la promotion de la propriété
privée des ressources naturelles
et des sociétés d’Etat comme
l’Hydro-Québec et la SAQ. Cette
élite contrôle le contenu des
médias tout en propageant le
mythe de la liberté de
l’information déguisée sous la
diversité des opinions et la
multiplicité des médias
auxquelles s’ajoutent les fameux
réseaux sociaux faits de
blogues, de commentaires aux
blogues, de pages facebook et de
messages sur Twitter. Le dépôt
du budget montre que le
gouvernement libéral ne respecte
pas plusieurs de ses promesses à
partir desquelles il a pourtant
été élu et même le vérificateur
général est complice de cette
manipulation des chiffres.
Ce qu’on peut appeler la
cacophonie de la communication
rend difficile la capacité de
détecter les mensonges comme
celui du référendum à tout prix.
Cette cacophonie répand aussi
l’illusion que le citoyen
participe au processus de prise
de décisions politiques et aux
conséquences économiques de ces
décisions. Le Québec est une
société où l’endoctrinement ou
la propagande dominent. Le
meilleur exemple qu’on peut
donner est la campagne de
propagande multiculturaliste de
Radio-Canada contre la Charte
des valeurs québécoises. Mais
comme la majorité des Québécois
francophones a approuvé
l’interdiction du port de signes
religieux pendant les heures de
travail pour les employés de l’Etat,
il y a de l’espoir. Mais tel n’a
pas été le cas avec le
référendum : la propagande des
médias a été plus efficace et a
alimenté une certaine peur. Les
citoyens ordinaires ont cru
qu’ils étaient contre le
référendum. Et le Parti
québécois n’a pas été capable de
vaincre cette énorme machine
médiatique où les voix
dissidentes étaient réduites à
de brèves interventions très
minoritaires. Soit dit en
passant, la Charte des valeurs
est en partie responsable de la
défaite puisqu'elle a mobilisé
les anglo-allo et divisé les
Québécois francophones.
Je veux bien croire à ce que
Bernard Drainville appelle dans
une entrevue à Point-Sud la
sagesse populaire. Où est la
sagesse populaire devant le
rouleau compresseur de la radio
poubelle à Québec ? C’est une
évidence qu’il y a eu au Québec
la fabrication d’un consensus
anti-référendum par les médias.
Est-ce faire montre de trop de
pessimisme que de conclure qu’il
était très difficile sinon
impossible de s’opposer
efficacement à cette propagande
fomentée par les adversaires du
Parti québécois qui sont en même
temps les adversaires de tout
changement et les promoteurs
très efficaces du statu quo ?
La victoire du Parti libéral du
Québec dirigé par Philippe
Couillard est la victoire des
forces du statu quo qui se sont
mises à l’oeuvre le soir même du
référendum de 1995. Regardez-les
un peu partout dans les médias
vaquer à leurs occupations comme
si le 7 avril n’avait pas eu
lieu. Comprenez-vous pourquoi
les Martine Biron et Anne-marie
Dussault de ce monde ont le
sourire ? Elles ont gagné leurs
élections.
Vous allez me dire: "C'est vrai
que vous êtes un mauvais
perdant. Vous regardez trop la
télévision."
D'accord mais le Système est
très fort. Et le pire, c'est que
ce Portugais qui cite des
proverbes portugais et qui est
le ministre des finances, je ne
le trouve pas antipathique même
si Nicolas Marceau l'accuse avec
raison d'avoir trompé les
électeurs. Parce que j'étais
pour la Charte des valeurs, on
m'a accusé de ne pas être
inclusif. Et bien, on avait
tort. Par ailleurs, le président
du Conseil du trésor Martin
Coiteux qui lui est un vrai
libéral se prépare à couper
partout. Il le fera avec
plaisir: on voit bien que c'est
un petit sadique, ça paraît.
Avez-vous vu le ministre de la
santé Gaétan Barrette snober la
sympathique présidente de la FIQ
(Fédération des infirmières du
Québec) Régine Laurent qui
voulait lui exprimer ses
inquiétudes? C'était pendant la
rencontre sur le budget à
huis-clos. Il lui a dit:
"Avez-vous pris rendez-vous!" Et
il a ajouté: "Vous savez bien
qu'il y a des économies de
système à faire et de
l'efficience à améliorer". Etre
ministre de la santé, ça lui a
monté à la tête. Ce sont des
choses qui arrivent: le pouvoir,
c'est comme la boisson: y en a
qui portent pas ça. Vive
l'efficience qui est le mot
employé par les snobinards des
HEC au lieu d'efficacité encore
employé par les gens normaux.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
samedi 07 juin 2014
barberis@videotron.ca
|