dimanche 09 août 2015
Claude Morin,
l'UPAC et le rôle politique de
la police
par Robert
Barberis-Gervais
A l'automne 2014,
chez l'éditeur montréalais
Boréal, l’ex-ministre péquiste
Claude Morin a publié une sorte
de testament intellectuel, à la
fois politique et spirituel
intitulé «Je le dis comme je le
pense». Dans la démarche vers la
souveraineté, l'universitaire de
Québec a eu beaucoup d'influence
au sein du Parti québécois et au
sein du gouvernement Lévesque.
C'est donc passionnant à lire
car il écrit bien et a beaucoup
de choses à dire. Il excelle
dans l'art d'argumenter pour se
justifier. Il faut savoir que
Claude Morin a toujours mis
l'accent sur la stratégie au
lieu de miser sur la clarté et
la pertinence du projet
indépendantiste ainsi que sur
l'action politique de tous ceux
et celles qui font partie du
mouvement indépendantiste. C'est
mon principal reproche. Et il
est grave. «Sans référendum,
point de salut» résume sa
pensée. Heureusement, après 42
ans d'étapisme, Pierre-Karl
Péladeau a décidé de miser sur
la clarté du projet de pays et
sur l'action des militants et
militantes de l'indépendance.
Le stratège péquiste revient sur
ce qu'il a appelé lui-même
«l'affaire Morin» dans un livre
publié en 2006 avec un
sous-titre éloquent: «Légendes,
sottises et calomnies». Le père
de l'étapisme reconnaît avoir eu
plusieurs conversations avec des
membres de la Gendarmerie royale
du Canada (GRC) entre 1974 et
1977, période pendant laquelle,
suite à la victoire péquiste du
15 novembre 1976, il fut
ministre des Affaires
intergouvernementales au sein du
gouvernement du Parti québécois.
Lors de cette activité inusitée,
il a reçu des sommes d'argent
qu'il a acceptées pour bien
montrer qu'il jouait le jeu et a
provoqué plusieurs
interrogations auxquelles Morin
a tenté de répondre de multiples
façons.
Il revient sur le sujet dans son
dernier livre dans un chapitre
intitulé «L'affaire». Il accuse
de manque de rigueur et de
déformation des faits Normand
Lester, Loraine Lagacé, Pierre
Duchesne, Pierre Dubuc et Pierre
Godin. Le 9 mai 2011, il a écrit
une lettre à Normand Lester où
il lui reproche d'avoir fait
l'accusation suivante: «Morin a
été l'oeil d'Ottawa au sein du
gouvernement du Québec. Il a
tenu le fédéral au courant de
tous les détails de la
diplomatie secrète Québec-Paris
qui s'est développée à la suite
de la visite du général de
Gaulle en 1967.» Claude Morin
considère cette thèse comme
absurde surtout quand on sait
tout ce qu'il a fait pour
promouvoir les rapports
France-Québec. Il écrit à
Normand Lester: «Votre mise en
cause de ma loyauté envers le
Québec est démentie par toute
mon action des années durant,
comme sous-ministre, homme
politique et militant.» Ce avec
quoi je suis d'accord. Cette
action est décrite et confirmée
par des auteurs sérieux comme
l'historien Jean Décary («Dans
l'oeil du sphinx, Claude Morin
et les relations internationales
du Québec», 2005) et l'ancien
ambassadeur canadien Gilles
Duguay («Le triangle
Québec-Ottawa-Paris», 2010).
Les rencontres de Claude Morin
avec des agents de la GRC se
situent de 1974 à 1977, alors
que Morin était un des
principaux stratèges du PQ.
Selon lui, les conversations
portaient essentiellement sur
les possibilités d'infiltration
du PQ par des éléments
étrangers, pas sur des
révélations relatives à la vie
interne du parti. Dans un texte
intitulé : «Moi, Claude Morin,
informateur de la GRC»,
l'ex-ministre donne sa version
de l'affaire, allant jusqu'à
affirmer que c'est lui «qui
tirait les vers du nez» de ses
interlocuteurs. Selon Morin :
«..l'accession d'un peuple à la
souveraineté ne se réalise pas
en vase clos et ne relève pas de
la magie, mais dépend d'un
rapport de forces politiques où,
parmi d'autres facteurs, la
connaissance des manoeuvres
adverses joue un rôle essentiel.
Il serait irresponsable de ne
pas essayer de les voir venir.»
Même si on accepte ses
explications et même si on ne
doute pas de ses intentions et
de sa bonne foi, il est
difficile de porter un jugement
objectif sur des activités qui
se situent dans le monde trouble
de Talleyrand-Fouché. Sans que
l'on sache avec exactitude tout
ce qui s'est dit lors de ces
rencontres avec des agents de la
GRC, ce qui est certain c'est
que Claude Morin s'est rendu
vulnérable, a rendu son
gouvernement vulnérable, a rendu
les indépendantistes vulnérables
et a donné aux adversaires
fédéraux à Ottawa avec Pierre
Elliot Trudeau en tête
l'occasion de faire du chantage.
Dans cette affaire, les agents
de la GRC ont joué un rôle
politique : le gouvernement
Trudeau savait que Claude Morin
rencontrait la GRC. On peut
légitimement se demander si les
inconvénients ne dépassaient pas
les avantages (si avantages il y
avait, ce qui n'est pas prouvé).
Pendant cette campagne
électorale fédérale, il ne faut
pas oublier la GRC et le rôle
politique qu'elle essaiera
peut-être de jouer si PKP monte
dans l'opinion publique
québécoise. Quand l'unité
nationale est menacée, les
tentations d'interventions
déstabilisantes sont là... Il y
a de quoi s'interroger quand on
sait que lors du récent débat
des chefs, l'actuel premier
ministre du Canada Stephen
Harper a dit qu'il n'acceptait
pas que 50% plus un soit
suffisant pour réaliser
l'indépendance du Québec parce
que les séparatistes vont
annuler des votes valides pour
le NON. Ça prend du culot pour
accuser par avance les
indépendantistes de tricher
quand on sait ce que les forces
du NON ont fait d'illégal en
1995 dans le financement, entre
autres, ce qui a justifié le
titre du livre de Robin Philpot:
"Le référendum volé": le
tricheurs se trouvaient dans le
camp du NON. Sans parler de
certaines tactiques illégales
utilisées par des conservateurs
lors des dernières élections
fédérales.
Sur ce sujet du rôle politique
de la police, les récentes
perquisitions de membres de l'UPAC
(Unité permanente
anti-corruption) pour trouver
des preuves du financement
illégal du Parti de Gérald
Tremblay, Union Montréal, nous
rappellent que la commission
Charbonneau a des suites. Selon
La Presse et Radio-Canada,
l'ancien maire de Montréal a
toujours juré qu'il n'était pas
au courant. Mais voilà que la
police dit détenir des preuves
établissant que l'homme
politique Gérald Tremblay était
bien au fait du système de
corruption qui gangrenait sa
ville. La police joue ici un
rôle politique évident: elle est
le bras de la justice. Il faut
lire le document de 22 pages
rendu public par La Presse pour
justifier les perquisitions.
D'habitude ce genre de document
soumis à un juge reste
confidentiel. (Voir Vincent
Larouche, La Presse, 08 août
2015: "Corruption: Gérald
Tremblay savait et a participé
au système, selon l'UPAC")
La Commission
"Charest-Charbonneau" a
invité tous les citoyens qui
avaient de l'information à
communiquer avec des enquêteurs
détachés par la Sûreté du Québec
sur la corruption de notre
système politique. Certains sont
entrés en contact avec la
commission pour dénoncer la
méthode illégale de financement
des partis politiques par les
prête-noms qui conduit à de la
fraude fiscale puisque les
faux-donateurs obtenaient des
déductions d'impôt.
Comme on devait l'apprendre lors
de l'interrogatoire de certains
témoins, la Commission
Charbonneau savait parfaitement
que l'usage des prête-noms était
pratique courante dans le
financement des partis
politiques.
En conclusion, depuis le
commencement de la campagne
contre la corruption et la
collusion dans l'industrie de la
construction où l'ancien chef de
police Jacques Duchesneau, ex-caquiste,
a joué un rôle capital, avec la
création de l'UPAC (Unité
permanente anti-corruption), on
constate l'importance politique
d'une police qui interroge des
hommes et femmes politiques et
fait des perquisitions pour
saisir des documents. On
pourrait souhaiter que l'UPAC ne
se limite pas au niveau
municipal.
Des gens qui aspirent à jouer un
rôle politique quel qu'il soit
entrent en contact avec la
police et deviennent parfois ce
qu'il faut bien appeler des
informateurs de police.
Dans cette perspective, Claude
Morin et l'action de l'UPAC. à
des niveaux différents et dans
des circonstances différentes,
sont des exemples qui peuvent
nourrir une réflexion sur le
rôle de la police dans notre
démocratie.
Quand Alain Gravel,
(Radio-Canada a joué un rôle
politique) moins d'une semaine
avant le jour du vote du 7 avril
2014, a accusé Claude Blanchet
d'avoir accepté 25,000$ d'un
bureau d'ingénieur pour financer
la campagne à la chefferie de sa
femme (campagne qui n'a pas eu
lieu car elle était seule
candidate…), après avoir
constaté le caractère
prophétique de la prévision qui
a été faite par des adversaires
de la chef du Parti québécois à
savoir que Claude Blanchet
nuirait un jour à Pauline Marois
(rappelons-nous le «deal» de
Claude Blanchet avec le Fonds de
solidarité), on s'est demandé
quelles étaient les sources
d'Alain Gravel.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
dimanche 09 août 2015
barberis@videotron.ca
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