vendredi 12 juin 2015
Que pensait
Parizeau du vote des
non-francophones?
par
Robert Barberis-Gervais
On voudrait donner une
explication définitive sur le
sens de ce que Jacques Parizeau
a dit dans son discours de la
défaite le soir du 30 octobre
1995. On peut quand même essayer
une fois de plus de faire une
mise au point parce que c’est
nécessaire. Encore vendredi
dernier à « 125, rue Marie-Anne
», Jean-François Lisée qui était
aux premières loges a affirmé
que ce soir-là « nous avons
assisté à un suicide politique
». Il faut évidemment respecter
l’opinion de Jean-François Lisée.
Et une jeune journaliste
anglophone Toula Drimonis est
venue expliquer un texte qu’elle
a publié sur le site du
Huffingdon Post intitulé : «
It’s Time We Get Over Jacques
Parizeau’s « Money and Ethnic
Vote » Comment ».« A propos de
l’argent et des votes ethniques,
il est temps qu’on en revienne.
» Toula Drimonis dénonce les
propos haineux qu’elle a lus
suite à l’annonce de la mort de
Jacques Parizeau. Elle invite à
regarder l’ensemble de l’oeuvre
de l’homme politique même si
elle considère que son
commentaire du 30 octobre va
continuer longtemps de « hanter
son héritage ». Elle rappelle de
ne pas oublier que 40% des
francophones ont voté NON... Une
précision: il y a des membres
des communautés culturelles qui
sont des francophones... et qui
ont voté OUI.
Voici des extraits du discours
du 30 octobre au soir.
« Mes amis, c’est raté, mais pas
de beaucoup. Non non non, et
c’est réussi sur un plan. Si
vous voulez, on va cesser de
parler des francophones du
Québec, voulez-vous ? On va
parler de nous, à 60 % […]
C’est vrai qu’on a été battus,
au fond, par quoi ? Par l’argent
et des votes ethniques,
essentiellement. Alors ça veut
dire que la prochaine fois, au
lieu d’être 60 ou 61% à voter
OUI, on sera 63 ou 64%, et que
ça suffira. »
- Jacques Parizeau
Notons l’incohérence qui
consiste à dire « on va cesser
de parler des francophones du
Québec » alors que quand on
parle de NOUS qui a voté OUI à
60%, on parle précisément des
francophones du Québec. Familier
avec les sondages effectués par
Michel Lepage et très au fait
des analyses de sociologie
électorale de Pierre Drouilly,
Jacques Parizeau savait que plus
il y a d’anglophones et
d’allophones dans un comté plus
le vote libéral aux élections
provinciales sera élevé et plus
le vote pour le NON sera élevé.
D’ailleurs le 60% du vote
francophone pour le OUI a été
confirmé par l’analyse de Pierre
Drouilly des résultats du
référendum du 30 octobre 1995.
On retiendra la conclusion de
Pierre Drouilly. Ça vaut la
peine d’être lu très
attentivement.
« De tous les facteurs
explicatifs des différents
niveaux obtenus par le OUI à
travers les circonscriptions du
Québec, la polarisation du vote
sur une base linguistique est la
plus forte. Alors que le OUI a
gagné dans 80 circonscriptions,
il a remporté la majorité
francophone dans 108
circonscriptions sur 125.
Mais le résultat final du
référendum fut de 50-50 pour le
NON, malgré une majorité de 60%
de francophones, et tout au plus
5% de non francophones qui ont
voté OUI. Il est politiquement
incorrect, semble-t-il, de
souligner cette situation pour
le moins gênante : le vote
presque unanime de la minorité a
inversé une majorité très nette
en faveur du OUI de la part de
la majorité. On risque toujours
de se faire accuser de qualifier
les votes, alors qu’en
démocratie tous les votes se
valent.
En effet, le OUI a été battu, ce
que personne ne conteste. Mais
ce qui fait problème pour
l’analyse sociologique, ce n’est
pas que le vote de la minorité
ait bloqué l’expression du vote
de la majorité : telles sont les
règles du jeu et personne ne les
remet en cause. Pourtant, même
si le OUI avait gagné, et même
avec une confortable majorité,
le caractère unanimiste du vote
non francophone contre le projet
souverainiste aurait quand même
fait problème.
Bien entendu, chacun est libre
de voter comme il l’entend, mais
lorsque près d’un million de
personnes votent toutes dans le
même sens, on est en droit tout
de même de s’interroger sur la
liberté de choix qu’elles se
sont elles-mêmes donné. La
démocratie est fondée sur
l’existence d’individus libres
et rationnels, qui font des
choix après un examen objectif
des enjeux proposés.
Lorsque toutes les limailles de
fer s’orientent dans le même
sens, le physicien ne peut
s’empêcher de penser qu’il y a
un champ magnétique qui est la
cause de cet événement
improbable. Lorsque tous les
membres d’une communauté votent
dans le même sens, l’analyste
politique ne peut s’empêcher de
penser qu’il existe une cause
commune. Surtout que cela se
produit sans discontinuer et
sans se relâcher depuis
maintenant 25 ans, au cours de
dix consultations électorales.
Appeler cette cause commune du
racisme, c’est un excès de
langage que nous n’avons jamais
commis. Par ce vote unanime
continuellement affirmé, les
électeurs non francophones
expriment plutôt un refus, le
refus systématique et obstiné du
Québec français.
C’est une attitude qui ethnicise
les rapports entre francophones
et non-francophones, et qui à ce
titre doit être combattue. C’est
pour cela que, malgré le vote du
30 octobre 1995, les
souverainistes doivent oublier
leur légitime amertume, et
encore tendre la main à leurs
concitoyens anglophones et
allophones, et continuer de leur
proposer de construire un pays
ensemble. Parce que sans eux le
Québec ne serait pas ce qu’il
est."
Le sociologue constate qu'il est
politiquement décisif qu’une si
importante majorité de
francophones ait dit OUI à la
souveraineté du Québec mais
déplore " l’opposition presque
unanime de la minorité au projet
de souveraineté. "
C’est ce que Lise Bissonnette
appelle « une minorité de
blocage ». L’analyse de Pierre
Drouilly est confirmée dans la
thèse de doctorat de Pierre
Serré publiée en livre sous le
titre « Deux poids, deux mesures
» avec comme sous-titre : «
L’impact du vote des
non-francophones au Québec. »
Mais il semble que ce que ces
savants sociologues ont le droit
de dire, cela pose un énorme
problème quand ce sont les
hommes politiques qui le disent.
On l’a encore vu récemment quand
PKP a fait remarquer qu’il y a
urgence de faire l’indépendance
parce que la démographie et les
immigrants à coups de 50,000 par
année vont peser de tout leur
poids contre le projet de faire
un pays. Ce n’était pas
politiquement correct de le
dire.
Pour comprendre le sens des
paroles de Jacques Parizeau, il
faut absolument les situer dans
un contexte précis que les
fédéralistes oublient
volontairement de mentionner
tellement ils sont avides de
blâmer l’artisan de la
nationalisation de
l’électricité, de la Caisse de
dépôt et placement et des
Régimes d’Epargne Actions.
La veille du référendum
d’octobre 1995, les leaders des
communautés italiennes, grecques
et juives ont fait une
conférence de presse conjointe
pour inviter leurs membres à
voter NON. Par exemple, par les
méthodes de la sociologie
électorale, on peut prouver que
les Juifs du Québec ont voté NON
à presque 100% et qu’ils font
partie de la majorité de 54,000
en faveur du NON. La preuve : le
lendemain du référendum, un
leader de la communauté juive
s’est vanté et s’est réjoui en
disant que les Juifs de Montréal
ont sauvé le Canada. C’est ce
que Yves Michaud a déploré.
Lucien Bouchard et Jean Charest
en ont profité pour obtenir un
vote de blâme de l’Assemblée
nationale et ce fut un jour
sombre pour la démocratie.
Notons que dans son hommage à
l’Assemblée nationale, le 2 juin
2015, Maka Kotto a parlé de
l’injustice qui a été faite à
Jacques Parizeau à propos de la
déclaration du 30 octobre 1995
sur « des votes ethniques »
comme explication de la courte
défaite du OUI avec l"argent
(qu’il ne faut pas oublier…). En
effet, c’est une injustice.
Dans cette affaire, ce sont les
leaders des communautés
grecques, juives et italiennes
qui ont demandé de voter
ethnique. Ce sont eux qu’il faut
blâmer pas Jacques Parizeau qui
les a dénoncés dans son discours
du 30 octobre. C’est un beau cas
de manipulation de l’opinion
publique à laquelle même des
partisans du OUI, et non des
moindres (je pense à Bernard
Landry), ont contribué.
Ainsi donc, la veille du
référendum de 1995, les leaders
des communautés juives, grecques
et italiennes (je suis d’origine
italienne) ont fait une
conférence de presse. Ils ont
dit : si vous êtes juif, votez
non ; si vous êtes grec, votez
non ; si vous êtes italien :
votez non. Je me souviens très
bien que devant mon écran de
télévision, j’ai crié :
"Mêlez-vous de vos affaires, je
vais voter OUI." Cet appel des
leaders grecs, juifs et italiens
a donné selon Parizeau « des
votes ethniques ». Ce sont les
leaders ethniques qui ont
inventé le vote ethnique. Pas
Parizeau. »
Ceux qui ont voté NON au
référendum du 95, ces Grecs, ces
Italiens, ces Juifs à qui les
leaders de ces communautés
juives, grecques et italiennes
ont demandé de voter NON sont,
pour un indépendantiste, des
adversaires politiques qui
s’opposent au projet de pays.
Dans le cas des Juifs, comme le
disait Yves Michaud, c’est
encore plus choquant parce
qu’étant donné qu’ils ont leur
Etat, ils devraient comprendre
les aspirations légitimes du
peuple québécois. Ce sont des
adversaires : il n’y a pas
d’antisémitisme à le dire. Ce
qui est choquant, c’est qu’ils
nous accusent d’antisémitisme
quand nous critiquons leur
comportement électoral. Ils ont
le droit de voter comme ils le
veulent ; on a le droit de les
critiquer. C’est ça la
démocratie.
Par ailleurs, il a été dit que
les paroles inopportunes du 30
octobre ne correspondaient pas à
la pensée profonde de Jacques
Parizeau. C’est vrai. En voici
la preuve.
Dans un article récent intitulé
: « Jacques Parizeau, le vote
ethnique et les excuses oubliées
» Mathieu Bock-Côté a écrit : «
Au moment de son discours de
démission, le 31 octobre 1995,
Jacques Parizeau a dit quelque
chose de très important : « Et
il y a une de ces frontières
que, bien humblement, j’ai été
incapable de franchir. Je n’ai
pas réussi à faire en sorte
qu’une proportion significative
de nos concitoyens anglophones
et allophones se sentent
solidaires du combat de leurs
voisins. [...] C’est pour moi
une déception très grande, car
je sais les efforts que nous
avons mis depuis sept ans à
transformer cette réalité. Cela
explique aussi que j’ai pu,
hier, formuler cette déception
dans des termes qui auraient pu
être beaucoup mieux choisis »
(ce discours se retrouve dans
son livre "Pour un Québec
souverain", Montréal, VLB, 1997,
p.147-148)
La pensée de Jacques Parizeau,
on peut la trouver dans ce même
livre (p. 249-252), dans une
déclaration faite à Montréal, le
3 février 1993 peu après le
rejet de l’accord de
Charlottetown par référendum le
26 octobre 1992.
Voici des extraits de la
déclaration du chef de
l’opposition le 3 février 1993.
« J’ai voulu tracer les grandes
lignes de l’analyse du vote.
Cela m’a amené à aborder la
répartition du vote chez les
francophones, les anglophones et
les allophones et à en tirer un
certain nombre de conclusions.
(…) Ce que j’ai dit, c’est que
les Québécois francophones de
souche pouvaient, dans le cadre
d’une consultation démocratique,
dégager une majorité dans un
référendum sur la souveraineté.
Est-ce que cela implique que les
autres Québécois membres des
communautés culturelles ne sont
pas québécois ? Pas du tout. »
Certains suggèrent d’abandonner
l’expression « Québécois
francophones de souche ».
Parizeau n’est pas d’accord. Il
écrit : « Je ne crois pas que
pour être (ou paraître) ouvert
aux Québécois anglophones ou
allophones, il faille refuser de
se définir soi-même. » Il cite
René Lévesque qui, à la fin de
la campagne référendaire de
1980, a dit : « C’est le Québec
français qui prendra la
décision, personne ne la prendra
pour nous. Nous ne devons pas
permettre qu’une décision
majoritaire du Québec français
soit renversée par une minorité
qui, de bonne foi mais
terriblement conditionnée à une
solidarité excluant tout débat
démocratique s’apprête à voter
contre le besoin fondamental de
changement d’une société
nationale. » « Le Devoir » a
rappelé ces propos de René
Lévesque sous le titre : «
Lévesque fait appel à la
solidarité des francophones ».
Ce que René Lévesque redoutait
est arrivé au référendum de 1995
: la décision majoritaire du
Québec français à 60% a été
renversée par une minorité.
Après avoir fait l’éloge de
l’action des Gérald Godin,
Jacques Couture et Louise Harel,
Jacques Parizeau exprime le fond
de sa pensée que voici. «
L’action du Parti québécois à
l’égard des communautés
culturelles comme à l’égard de
la communauté anglophone, sans
être parfaite, témoigne d’un
respect indéniable, d’une
ouverture marquée et d’une
volonté de leur faire partager
l’aspiration légitime de tant de
francophones d’en arriver un
jour à bâtir, avec eux et pour
tous les Québécois, un pays. »
Telle doit être et telle sera la
position du Parti québécois de
Pierre Karl Péladeau. « Est-ce
que le Parti québécois souhaite
et recherche l’apport de tous
ces Québécois issus des
communautés culturelles ? Bien
sûr, sans équivoque. » Comme l’a
écrit Jacques Parizeau en
février 93, « rien ne modifiera
la détermination du Parti
québécois ». « Il nous faudra
sans doute innover, trouver de
nouvelles façons, mais comptez
bien que nous y sommes
déterminés. »
Le soir du 30 octobre, Jacques
Parizeau a exprimé une énorme
frustration devant l’échec de
cette démarche alors que selon
Pierre Drouilly « tout au plus
5% de non francophones ont voté
OUI ». Son discours était sans
doute inopportun et malhabile,
il le reconnaît lui-même. Mais
aujourd’hui, au mois de juin
2015, on peut poser la question.
N’avait-il pas raison de blâmer
ces leaders des communautés
grecques, italiennes et juives
d’avoir ethnicisé le débat sur
l’avenir du Québec ? Ils portent
une énorme responsabilité. Et si
le Parti québécois montre une
volonté de faire partager
l’aspiration légitime de bâtir
un pays, les Autres, anglophones
et allophones ne pourraient-ils
pas se demander s’ils ont le
droit de se comporter encore
longtemps comme une minorité de
blocage ? Ne pourraient-ils pas
songer à faire partie du NOUS !
C’est ce que les
indépendantistes souhaitent.
C’est fraternel et légitime.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
vendredi 12 juin 2015
barberis@videotron.ca
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