LE SORELTRACY MAGAZINE     *  Dernière mise à jour : samedi 28 mars 2015 11:24

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NÉCROLOGIE

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Robert
Barberis-Gervais

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L'opinion exprimée dans le cadre de cette chronique, est celle de son auteur
et ne reflète pas nécessairement l'opinion, ni n'engage le SORELTRACY MAGAZINE.
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samedi 28 mars 2015

Le vote anglophone et allophone au Québec depuis 1970
par Robert Barberis-Gervais

En 2011, population totale du Québec: 7,903,000. Selon la langue le plus souvent parlée à la maison: Anglais: 10.1%; Français: 82.5%; ni Français ni Anglais: 7.3%

Pour qu'il n'y ait pas de malentendus, établissons au départ que tous les habitants du Québec  sont Québécois.

Que pour faire l'indépendance, il faudra que la majorité des Québécois soit 50% plus un  votent OUI à un référendum qui pose une question claire. (Seuls les dinosaures comme Stéphane Dion contestent le 50% plus un qui a prévalu au référendum en Ecosse et qui a été accepté par l'Angleterre qui est la maison-mère de la démocratie parlementaire de type britannique.)

Que les indépendantistes doivent convaincre le plus de Québécois possibles des raisons de faire l'indépendance du Québec.  Que tous les votes comptent et ont la même valeur.

Qu'il peut être plus difficile de convaincre certains Québécois de souche de la région de Québec que de convaincre des maghrébins amoureux de la langue française de plus en plus menacée dans la grande région de Montréal.

Que les francophones du Québec de souche ou non peuvent être plus faciles à convaincre d'adhérer à l'indépendance que des anglophones ou des allophones plus ou moins anglicisés. Que de constater ce fait, ce n'est pas être xénophobe ou sectaire ou raciste mais c'est regarder la réalité en face. Que cette réalité nous autorise à conclure que plus il y aura d'anglophones et d'anglophiles au Québec provenant de l'immigration, plus il sera difficile de réaliser l'indépendance du Québec.  N'est-ce pas ce que voulait dire Pierre Karl Péladeau!

Ces affirmations sont inspirées par une science humaine qui s'appelle la sociologie électorale qui produit  des études sur le comportement des électeurs québécois aux référendums et aux élections.  Il faut  combattre le mythe propagé par Lysiane Gagnon qui décrit l'électeur comme un individu isolé devant la boîte à scrutin totalement libre de son vote et dont le résultat est comme sorti d'une boîte à surprise. Mais ce n'est pas grave: comme Pierre Foglia qui aura été le dernier indépendantiste à écrire dans «La Presse», Lysiane Gagnon prendra bientôt sa retraite.

Dans «Le référendum du 30 octobre 1995: une analyse des résultats», Pierre Drouilly, un maître de la sociologie électorale écrit:  «Avec une aussi faible majorité pour le NON (54 288 voix), les souverainistes pourraient en effet être tentés de désigner plusieurs responsables de cette défaite du OUI: les anglophones, les allophones, les électeurs de la région de Québec, les électeurs francophones de l'Outaouais, les électeurs plus âgés, les électrices, les électeurs hors Québec, les Amérindiens, les votes annulés, les abstentionnistes»." Cette phrase est le résultat de l'analyse sociologique des résultats du référendum de 1995.

Dans cet article, Pierre Drouilly décrit les grandes lignes du comportement politique des Québécois.

Ainsi, à propos des  sondages, il montre qu'il ne faut pas répartir les indécis et les indiscrets proportionnellement aux intentions de vote exprimées. Si vous le faites comme CROP vous aurez des résultats erronés. Drouilly prône la répartition réaliste (les trois quarts des répondants discrets au NON et un quart au OUI) «Avec cette pondération réaliste, écrit-il, aucun des 23 sondages réalisés durant la campagne référendaire n'a anticipé une victoire du OUI. C'est sur la base de cette pondération réaliste que nous avions nous-même, la veille du référendum, prévu à RDI un résultat de «50-50 pour le NON».

Notons des affirmations qui découlent d'études pointues du vote d'octobre 1995 et qui décrivent des tendances de fond de la politique québécoise.

- «Le noyau le plus dur du bloc fédéraliste, composé chez les francophones des personnes plus riches, plus âgées ou moins scolarisées  auxquelles s'ajoutent les anglophones et les allophones, n'a pas été très sérieusement entamé au cours du référendum de 1995.» 

-«Le vote au NON tout comme celui au OUI sont fortement déterminés par les appuis au Parti libéral et au Parti québécois respectivement.»

-«Comme dans toutes les consultations au Québec, le facteur linguistique est le facteur déterminant pour expliquer les comportements électoraux.»

-«Partout au Québec la présence d'un électorat non francophone fait baisser proportionnellement le vote obtenu par le OUI. Ainsi le OUI a remporté 62 des 69 circonscriptions ayant plus de 90% de francophones, 14 des 21 circonscriptions ayant entre 80% et 90% de francophones, et seulement quatre des 35 circonscriptions ayant moins de 80% de francophones: en fait, le OUI a perdu toutes les 30 circonscriptions sauf une (Mercier) ayant moins de 75% de francophones.»

-«Tous les sondages anticipaient une solide majorité francophone pour le OUI, et un vote non francophone massif pour le NON (de l'ordre de 95%). Le simple examen des cartes du vote NON et OUI  indique que c'est bien ce qui s'est produit et l'analyse statistique le confirme.»

-«Les résultats obtenus par le OUI dans les 125 circonscriptions sont fortement liés au pourcentage de francophones dans chacune d'elles, mais cette relation est évidemment plus forte dans la région de Montréal que dans le reste du Québec puisque certaines circonscriptions très francophones de l'extérieur de Montréal ont voté NON. Inversement, les résultats obtenus par le NON sont fortement liés au pourcentage d'électeurs anglophones ou allophones: ces corrélations sont habituelles au cours des scrutins québécois depuis 1970 (les seules exceptions étant les élections de 1976 alors qu'une partie des non-francophones appuyèrent l'Union nationale, et des élections de 1989 alors qu'une majorité d'électeurs anglophones appuyèrent le Parti Égalité).»

-«En fait, depuis les élections de 1970, on retrouve toujours la même structure de vote: le vote souverainiste est toujours corrélé positivement avec le pourcentage de francophones et négativement avec le pourcentage d'anglophones et d'allophones.»

-«C'est à Montréal que la relation entre le vote référendaire et la composition linguistique des circonscriptions est la plus évidente: la relation extrêmement forte qui existe entre la composition linguistique des circonscriptions et les résultats du référendum est parfaitement illustrée par le graphique représentant le résultat obtenu par le OUI en fonction du pourcentage de francophones dans les 40 circonscriptions de la région du grand Montréal. On voit dans ce graphique que les appuis au OUI sont proportionnels au pourcentage de francophones (plus il y a de francophones, plus le OUI obtient un score élevé), et que cette relation ne connaît pas d'exceptions. »

-«Ce type de relation entre la composition linguistique et le comportement électoral se vérifie depuis toujours aux élections québécoises. Nous avons effectué une analyse spectrale du vote aux référendums de 1980 et de 1995 dans la région du grand Montréal, qui couvre l'île de Montréal, l'île jésus et la Rive-Sud de Montréal (40 circonscriptions). La méthode utilisée ne permet pas de déceler un vote significatif des électeurs anglophones ou allophones pour le OUI en 1980, tout comme en 1995: s'il existe, ce vote ne dépasse pas les 5-10% dans tous les cas. Mais alors qu'en 1980 le vote francophone pour le OUI ne dépassait guère les 55% dans la région de Montréal (et qu'il n'était que de 50% dans le Québec urbain et de 45% dans le Québec rural), en 1995 le vote francophone pour le OUI atteint les 63% dans la région de Montréal, et environ 58% dans le reste du Québec (l'Outaouais exclu). Malgré cette majorité très forte, le OUI n'a gagné que dans 14 circonscriptions parmi les 40 de la région de Montréal. L'extrême polarisation du vote anglophone et allophone a masqué la très considérable majorité francophone en faveur du oui.»

-«Ce fait n'est pas nouveau: depuis 1970 le Parti québécois dispose de la majorité du vote francophone dans la région de Montréal (majorité relative en 1970, et majorité absolue depuis 1973), mais il n'a fait élire, le plus souvent, qu'une minorité de députés ou une courte majorité: six sur 29 en 1970, quatre sur 37 en 1973, 22 sur 37 en 1976, 20 sur 43 en 1981, sept sur 44 en 1985, sept sur 43 en 1989 et 16 sur 40 en 1994, alors qu'au référendum de 1980 le OUI n'a remporté que quatre circonscriptions sur 37 dans la région de Montréal. C'est seulement lorsqu'il dépasse les 60% du vote francophone que le Parti québécois réussit à faire élire un nombre important de ses candidats dans Montréal (comme en 1981), ou lorsque le vote anglophone et allophone est divisé (comme en 1976): sinon, le nombre d'élus péquistes dans la métropole est sans rapport avec ses appuis chez les francophones (comme en 1970, 1973, 1985 et 1989)».

-«On constate le vote presque nul pour le OUI de la part des électeurs anglophones ou allophones. En effet, alors que l'opposition des électeurs anglophones et allophones au Parti québécois, au Bloc québécois ou aux options nationalistes dans les référendums est, depuis un quart de siècle systématique, continue et presque unanime.»

-«Lorsque, le soir du référendum, Jacques Parizeau a déclaré «nous avons été battus par l'argent et des votes ethniques», tous les commentateurs, souverainistes comme fédéralistes, jouèrent du politiquement correct, en oubliant d'ailleurs le premier terme de cette déclaration et en changeant subtilement la formulation du second. Même si l'on peut estimer inopportune cette déclaration de Jacques Parizeau, car elle était sans doute inélégante dans la bouche d'un chef d'État de la part duquel on attend un discours rassembleur et non pas un discours vengeur, cette déclaration exprime néanmoins dans une formule saisissante une vérité incontournable.»

-«De tous les facteurs explicatifs des différents niveaux obtenus par le OUI à travers les circonscriptions du Québec, la polarisation du vote sur une base linguistique est la plus forte. Alors que le OUI a gagné dans 80 circonscriptions, il a remporté la majorité francophone dans 108 circonscriptions sur 125.
Mais le résultat final du référendum fut de 50-50 pour le NON, malgré une majorité de 60%. de francophones, et tout au plus 5% de nonfrancophones qui ont voté OUI. Il est politiquement incorrect, semble-t-il, de souligner cette situation pour le moins gênante: le vote presque unanime de la minorité a inversé une majorité très nette en faveur du OUI de la part de la majorité. On risque toujours de se faire accuser de qualifier les votes, alors qu'en démocratie tous les votes se valent.

En effet, le OUI a été battu, ce que personne ne conteste. Mais ce qui fait problème pour l'analyse sociologique, ce n'est pas que le vote de la minorité ait bloqué l'expression du vote de la majorité: telles sont les règles du jeu et personne ne les remet en cause. Pourtant, même si le OUI avait gagné, et même avec une confortable majorité, le caractère unanimiste du vote non francophone contre le projet souverainiste aurait quand même fait problème.  (…)

Bien entendu, chacun est libre de voter comme il l'entend, mais lorsque près d'un million de personnes votent toutes dans le même sens, on est en droit tout de même de s'interroger sur la liberté de choix qu'elles se sont elles-mêmes donné. La démocratie est fondée sur l'existence d'individus libres et rationnels, qui font des choix après un examen objectif des enjeux proposés. Lorsque toutes les limailles de fer s'orientent dans le même sens, le physicien ne peut s'empêcher de penser qu'il y a un champ magnétique qui est la cause de cet événement improbable. Lorsque tous les membres d'une communauté votent dans le même sens, l'analyste politique ne peut s'empêcher de penser qu'il existe une cause commune. Surtout que cela se produit sans discontinuer et sans se relâcher depuis maintenant 25 ans, au cours de dix consultations électorales.

Appeler cette cause commune du racisme, c'est un excès de langage que nous n'avons jamais commis. Par ce vote unanime continuellement affirmé, les électeurs non francophones expriment plutôt un refus, le refus systématique et obstiné du Québec français. C'est une attitude qui ethnicise les rapports entre francophones et non-francophones, et qui à ce titre doit être combattue. C'est pour cela que, malgré le vote du 30 octobre 1995, les souverainistes doivent oublier leur légitime amertume, et encore tendre la main à leurs concitoyens anglophones et allophones, et continuer de leur proposer de construire un pays ensemble. Parce que sans eux le Québec ne serait pas ce qu'il est.

Par ailleurs, il est politiquement décisif qu'une si importante majorité de francophones (60%) ait dit OUI à la souveraineté du Québec: ce résultat pèsera de tout son poids dans la suite des événements. Face à l'histoire, il s'agit d'une rupture symbolique avec le passé (au référendum de 1980 à peine 50% des francophones donnèrent leur appui à un mandat de négocier): l'obstacle intérieur est franchi. Ne reste maintenant que l'obstacle extérieur constitué par l'opposition presque unanime de la minorité au projet de souveraineté.»

Cette analyse a été publiée en 1996. Elle décrit ce que Lise Bissonnette, éditorialiste au «Devoir», a appelé «une minorité de blocage». Chez les anglo-allos, on préfère toujours un corrompu à un séparatiste. Cette description des tendances profondes de l'électorat québécois contextualise la déclaration de Jacques Partizeau sur les votes ethniques: selon Pierre Drouilly,  «cette déclaration exprime dans une formule saisissante une vérité incontournable.»

«Vérité incontournable» que Pierre Karl Péladeau a évoquée récemment même si le politiquement correct ordonne de la réserver aux sociologues et aux politologues.

En 2015, il est toujours vrai de parler de  «l'opposition presque unanime de la minorité au projet de souveraineté». Un homme politique qui dit cette vérité se heurte au politiquement correct et à l'hostilité des fédéralistes et même de certains souverainistes qui préfèrent se mettre la tête dans l'autruche. Certes, la position à prendre pour les indépendantistes est de  «tendre la main à leurs concitoyens anglophones et allophones, et continuer de leur proposer de construire un pays ensemble». C'est la position de Pierre Karl Péladeau et de Maka Kotto.

Mais actuellement, en 2015,  la fragmentation du vote francophone en quatre partis donne un pouvoir   disproportionné à cette minorité non francophone qui vote en bloc contre les indépendantistes.  Pierre Karl Péladeau  a tenté de faire prendre conscience de ce blocage de la minorité et en a tiré les conséquences: il est urgent que les francophones cessent de se diviser car le temps presse…

 

Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
samedi 28 mars 2015
barberis@videotron.ca

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