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L'opinion exprimée dans le cadre de cette chronique,
est celle de son auteur et ne reflète pas nécessairement
l'opinion, ni n'engage le SORELTRACY MAGAZINE.
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Le chemin de croix 2020

Par Jean-François Jutras

Un potentiel énorme au Vatican. Une procession modeste dans ma région. Un même voyage intérieur sur les derniers pas du Christ.

Pour moi, le cours La religion au Québec avait commencé du mauvais pied. Le cours d’Éthique et culture religieuse allait être aboli. Non pas que je ne souhaite pas étudier les religions, je n'aime pas l'idée de me faire imposer un cours d'appoint inutilement ni celle de sentir mes projets chamboulés par une bureaucratie dépendante de politiques ambivalentes. Comme exigence au cours, on demande aux élèves participants de faire une recherche de terrain sur un phénomène religieux. Pour mettre un peu de baume, j'ai donc été tenté par l'ouverture d'un maître chan à mon approche. Cela aurait pu faire suite aux recherches que j'ai effectuées précédemment dans un mémoire de philosophie. Finalement, ce fut trop compliqué et sortait du cadre de travail de recherche du cours. J'ai donc choisi le plan B, sans passion ou presque : la petite église où j'avais moi-même été baptisé.

Pendant la phase préparatoire, j'ai dû faire quelques appels téléphoniques. L'abbé Denis Plante aumônier du pénitencier m'aurait invité à observer une messe à l'intérieur des murs de la prison de Sorel-Tracy, mais la date étant trop éloignée pour les exigences du travail, je me résignais à aller faire mon tour à la messe. Dommage, me disais-je. Quelque chose me plaisait dans l’expérience d’aller en dedans. D'abord, je ne suis pas étranger aux phénomènes des fraternités (AA, NA, etc.). De plus, une intensité, peut-être due à la détresse de vécus difficiles, suscitait ma curiosité. Je pense à l'album de Johnny Cash en prison, au film le Party de Falardeau. Comment le décrire? Côtoyer des gens endurcis par les épreuves, finir par se sentir des leurs. Jusqu’au moment de sortir, quand eux demeurent privés de leur liberté.

Pour mon observation, je me suis donc rendu à l'Église Sainte-Anne, le vendredi 6 mars au soir, sans trop d’attentes. Ce qui m’attendait n'était pas très clair, j'allais effectuer un chemin de croix. Le rite m'était plutôt inconnu. De prime abord, le projet me paraissait répétitif, long. J'allais devoir réciter des prières, nécessitant de les connaitre au préalable et impliquant certains mouvements (contrairement à la simple assistance à une messe). J’ai compté rapidement quatorze images (Jésus est condamné … mis au tombeau), et j’étais parti pour moins d’une heure à suivre la chorégraphie d’un groupe d’une communauté qui m’a accueilli avec toute la bienveillance du monde.

Avec du recul, mon phénomène religieux à l'église Sainte-Anne a pu être aussi intéressant que l'éveil bouddhiste chan (au fond, trop personnel pour une recherche de terrain), et même que l’observation d'une messe qui n’a pu avoir lieu en milieu carcéral. Le vendredi 6 mars, j'ai possiblement participé à un des derniers chemins de croix effectués dans ma région avant la levée des regroupements due au contexte de pandémie.

Pendant la période du carême, les vendredis sont préparatoires au Vendredi saint. Le 10 avril, le pape François dirigeait un chemin de croix dans lequel il n'y a exceptionnellement pas eu foule. J'ai été attentif à la webdiffusion du chemin de croix du Vatican 2020. Il faut admettre que son grand déploiement m'a

captivé davantage que celui observé à l’église Sainte-Anne. Or, il faut dire que j’ai pu me consacrer, entre-temps, a un approfondissement du sujet. Ce qui me permit de mieux comprendre certains détails de l’exécution cérémonielle. J’ai eu la même impression en écoutant plusieurs films sur le thème de la Passion du Christ.

Le plus incroyable dans tout cela, il me semble, est que, non seulement, la prison est venue à moi, mais que le monde entier s’est retrouvé contraint au confinement. La thématique du chemin de croix 2020 portait sur des témoignages de détenus du centre « Due Palazzi » de Padoue, mais aussi de gens de l’extérieur, profondément touchés par les conséquences d’actions commises (victimes, familles, personnel carcéral). L’Église catholique romaine aurait-elle des choses à se faire pardonner au passage? Selon Denis Plante aumônier du centre de détention de Sorel-Tracy : « le pape François a bien saisi les orientations que devait prendre l’institution de foi afin de perpétuer son rôle en se concentrant sur l’aide consacrée aux pauvres, malades et autres âmes dans le besoin ». Cette multiplication des perspectives à travers la liturgie du chemin de croix permet de mieux comprendre et prépare le terrain au pardon. Si tout le monde porte sa croix, quelque chose est manifesté de plus grand que soi. En cette heure de crise, le pape François appelle à la solidarité, et dénonce l’égoïsme face à la pandémie. De façon éloquente, le groupe des invitées à se prêter à la procession était composé notamment du corps médical, dit anges au Québec.

Bien que plus modeste, à l’église Sainte-Anne, je n’ai pas eu de rôle défini dans mon groupuscule du chemin de croix. Je porte tout de même un chapeau en écrivant ces dernières lignes. Tant d’interprétations peuvent être tirées des Évangiles, mais sur le fond, le rite du chemin de croix demeure une forme de recueillement traditionnelle, commémorant la Passion en quatorze tableaux ou stations, voire un prisme à quatorze faces, aux fondations mêmes de la Chrétienté.

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