Un potentiel énorme au
Vatican. Une procession modeste
dans ma région. Un même voyage
intérieur sur les derniers pas
du Christ.
Pour moi, le cours La
religion au Québec avait
commencé du mauvais pied. Le
cours d’Éthique et culture
religieuse allait être aboli.
Non pas que je ne souhaite pas
étudier les religions, je n'aime
pas l'idée de me faire imposer
un cours d'appoint inutilement
ni celle de sentir mes projets
chamboulés par une bureaucratie
dépendante de politiques
ambivalentes. Comme exigence au
cours, on demande aux élèves
participants de faire une
recherche de terrain sur un
phénomène religieux. Pour mettre
un peu de baume, j'ai donc été
tenté par l'ouverture d'un
maître chan à mon
approche. Cela aurait pu faire
suite aux recherches que j'ai
effectuées précédemment dans un
mémoire de philosophie.
Finalement, ce fut trop
compliqué et sortait du cadre de
travail de recherche du cours.
J'ai donc choisi le plan B, sans
passion ou presque : la petite
église où j'avais moi-même été
baptisé.
Pendant la phase
préparatoire, j'ai dû faire
quelques appels téléphoniques.
L'abbé Denis Plante aumônier du
pénitencier m'aurait invité à
observer une messe à l'intérieur
des murs de la prison de
Sorel-Tracy, mais la date étant
trop éloignée pour les exigences
du travail, je me résignais à
aller faire mon tour à la messe.
Dommage, me disais-je. Quelque
chose me plaisait dans
l’expérience d’aller en dedans.
D'abord, je ne suis pas étranger
aux phénomènes des fraternités
(AA, NA, etc.). De plus, une
intensité, peut-être due à la
détresse de vécus difficiles,
suscitait ma curiosité. Je pense
à l'album de Johnny Cash en
prison, au film le Party de
Falardeau. Comment le décrire?
Côtoyer des gens endurcis par
les épreuves, finir par se
sentir des leurs. Jusqu’au
moment de sortir, quand eux
demeurent privés de leur
liberté.
Pour mon observation, je me
suis donc rendu à l'Église
Sainte-Anne, le vendredi 6 mars
au soir, sans trop d’attentes.
Ce qui m’attendait n'était pas
très clair, j'allais effectuer
un chemin de croix. Le rite
m'était plutôt inconnu. De prime
abord, le projet me paraissait
répétitif, long. J'allais devoir
réciter des prières, nécessitant
de les connaitre au préalable et
impliquant certains mouvements
(contrairement à la simple
assistance à une messe). J’ai
compté rapidement quatorze
images (Jésus est condamné … mis
au tombeau), et j’étais parti
pour moins d’une heure à suivre
la chorégraphie d’un groupe
d’une communauté qui m’a
accueilli avec toute la
bienveillance du monde.
Avec du recul, mon phénomène
religieux à l'église Sainte-Anne
a pu être aussi intéressant que
l'éveil bouddhiste chan
(au fond, trop personnel pour
une recherche de terrain), et
même que l’observation d'une
messe qui n’a pu avoir lieu en
milieu carcéral. Le vendredi 6
mars, j'ai possiblement
participé à un des derniers
chemins de croix effectués dans
ma région avant la levée des
regroupements due au contexte de
pandémie.
Pendant la période du carême,
les vendredis sont préparatoires
au Vendredi saint. Le 10 avril,
le pape François dirigeait un
chemin de croix dans lequel il
n'y a exceptionnellement pas eu
foule. J'ai été attentif à la
webdiffusion du chemin de croix
du Vatican 2020. Il faut
admettre que son grand
déploiement m'a
captivé davantage que celui
observé à l’église Sainte-Anne.
Or, il faut dire que j’ai pu me
consacrer, entre-temps, a un
approfondissement du sujet. Ce
qui me permit de mieux
comprendre certains détails de
l’exécution cérémonielle. J’ai
eu la même impression en
écoutant plusieurs films sur le
thème de la Passion du Christ.
Le plus incroyable dans tout
cela, il me semble, est que, non
seulement, la prison est venue à
moi, mais que le monde entier
s’est retrouvé contraint au
confinement. La thématique du
chemin de croix 2020 portait sur
des témoignages de détenus du
centre « Due Palazzi » de
Padoue, mais aussi de gens de
l’extérieur, profondément
touchés par les conséquences
d’actions commises (victimes,
familles, personnel carcéral).
L’Église catholique romaine
aurait-elle des choses à se
faire pardonner au passage?
Selon Denis Plante aumônier du
centre de détention de
Sorel-Tracy : « le pape François
a bien saisi les orientations
que devait prendre l’institution
de foi afin de perpétuer son
rôle en se concentrant sur
l’aide consacrée aux pauvres,
malades et autres âmes dans le
besoin ». Cette multiplication
des perspectives à travers la
liturgie du chemin de croix
permet de mieux comprendre et
prépare le terrain au pardon. Si
tout le monde porte sa croix,
quelque chose est manifesté de
plus grand que soi. En cette
heure de crise, le pape François
appelle à la solidarité, et
dénonce l’égoïsme face à la
pandémie. De façon éloquente, le
groupe des invitées à se prêter
à la procession était composé
notamment du corps médical, dit
anges au Québec.
Bien que plus modeste, à
l’église Sainte-Anne, je n’ai
pas eu de rôle défini dans mon
groupuscule du chemin de croix.
Je porte tout de même un chapeau
en écrivant ces dernières
lignes. Tant d’interprétations
peuvent être tirées des
Évangiles, mais sur le fond, le
rite du chemin de croix demeure
une forme de recueillement
traditionnelle,
commémorant la Passion en
quatorze tableaux ou stations,
voire un prisme à quatorze
faces, aux fondations mêmes de
la Chrétienté.