Lettre
ouverte au Premier ministre du Québec
La perte de l'âme est indolore. Nietzsche
Monsieur le premier ministre, je suis atterré de constater combien vous
et votre gouvernement demeurez totalement passifs – ou théâtralement actifs?
– face à cette transaction que très manifestement l'on sentait venir depuis
plusieurs mois. Je me bats depuis l'adolescence, c'est-à-dire
depuis environ vingt-cinq ans, pour la réalisation d'un pays français en Amérique.
Aussi votre laisser-aller au fil des ans concernant des dossiers litigieux
touchant au coeur même de notre identité collective, notamment la langue, ont
déjà à ce jour fait lourdement vaciller ma confiance quant à vos réelles
intentions eu égard à l'avenir de la nation québécoise. Or voilà encore – à la faveur du momentum
unique que constituait ce projet de délestage des journaux francophones québécois
par la très torontoise Hollinger de
M. Conrad Black –, que vous ne daignez nullement exercer légitimement votre
autorité de façon à encourager, voire initier, une information beaucoup plus
saine, équilibrée et par-là franchement libre, démocratique et en outre
moins idéologique sinon aveuglément partisane. Quand on songe que tous les quotidiens québécois
– tous sauf un seul, à savoir Le
Devoir: exposant du reste, pour ce qui regarde la question nationale, un
autre aspect des choses avec ô combien de réserve et parfois même de timidité
– se présentent clairement sinon toujours ouvertement d'obédience fédéraliste
(en un mot: Anything but Sovereignty!)*, eh bien je m'interroge désormais sérieusement
(et avec une tristesse infinie) quant à votre volonté véritable à mener la
province provassale vers l'état d'État indépendant. Dès lors et en conséquence, ce qui n'est pas
rien, le même type de réflexion s'impose à l'esprit du citoyen-militant face
à lui-même. Car devant pareille mollesse, M. le Premier ministre, ne se
propose en dernier ressort à celui-ci que l'alternative suivante: – Ou bien, dans
le ras-le-bol généralisé, retour de chacun à ses terres et désaffection définitive
du citoyen vis-à-vis du politique. Auquel cas, je le crains, le pays sera vite
sacrifié aux plus offrants par le biais du guichet bancaire des Jean Charest et
autres vendeurs du Temple à vision collective zéro. – Ou bien, fût-ce
en baroud d'honneur dans la désespérance sinon le désespoir froid comme lame,
tentative d'«enfoncer» l'avenir par des voies – obliquement sinon
perpendiculairement – parallèles et fermement déterminées. Car, presque par
définition, l'apathie du chef d'une Cause comme la
vôtre (???)** – celle de la Libération d'un peuple – est plus grosse
de violence potentielle que trois douzaines d'individus (autres chevaux de notre
Troie outragée) portant Chrétien, Dion, Cauchon ou Pettigrew comme patronymes.
C'est dire. C'est pire. Nulle liberté
de presse possible, et par conséquent nulle authentique Liberté pour
quiconque, ou quasi, dans la conjoncture où cette presse se voit concentrée.
Et en l'occasion, en notre cas particulier d'«excès de fausse universalité»
(décalque local du canular de la présumée incontournable mondiaméricanisation),
est-ce en effet aux mains du beau-père de la fille du premier ministre du
Canada que la collectivité québécoise doit abandonner l'essentiel de la
cueillette et du traitement de ses sources d'informations journalières...? Car à la fin je veux croire que le Québec
n'est pas – des J.-Jacques Samson en capitale aux Alain Dubuc en métropole,
par le détour des féaux de Sherbrooke, Trois-Rivières, Granby ou Hull (et même
de la souverainiste Chicoutimi!) – ce Prométhée
morbide ou hautement névrotique qui, résigné et consentant, se laisse
impassiblement lessiver le foie mental à grand'doses d'endoctrinement massif et
continu. Quelque soft, subliminal et
doucereux que par ailleurs se révélât le plus souvent celui-ci.*** Il y a des moments cruciaux dans l'existence où
le noble stoïcisme, farouche et intraitable, évince d'office tout à la fois
intelligence et dignité. Avant de liquider, parfois, l'existence même. Mes respects, monsieur le premier ministre,
Pas plus péquiste que bloquiste, ni même idéologue d’occasion, le
soussigné se présente simplement comme un patriote outillé jusqu'aux dents de
la plus terrible des armes: la colère mijotant dans les humeurs de l'exaspération. Jean-Luc
Gouin Québec,
13 novembre 2000 *
Ce
qui bien sûr exclut les journaux de Quebecor, lesquels n'ont pas plus de pages éditoriales qu'il n'y a
de signe diacritique sur les «e» défrancisés de l'appellation de la maison-mère;
journaux qui dès lors, en principe, restent neutres sur ladite question. **
«Un
roi faible affaiblit le peuple le plus fort.» Camões, Lusiades
(1572). ***
Et
ce en dépit des dénégations d'une extrême complaisance de Gilbert Lavoie
dans son éditorial du 11 novembre, dans Le Soleil de Québec: «Prétendre
qu'une option politique contrôle un quotidien, au Québec, relève de la plus
pure fantaisie, de l'ignorance, ou de la démagogie partisane.» On ne sait
décidément plus ici qui dispute à quoi: l'aveuglement à la mauvaise foi ou
la chattemite au mépris de l'intelligence. Voire. Ou faudrait-il plus
simplement prendre acte de la déférence de l'ilote à l'égard du nouveau maître?
Le fort sage papier de Bernard Descôteaux intitulé «Un équilibre
rompu», et
paru le même jour dans Le Devoir,
m'apparaît autrement plus réaliste; quoique d'une placidité quelque peu,
disons, déconcertante. Car le problème est sérieux.
Laissons enfin la parole à Guy Crevier, le grand patron de Gesca
et désormais (entre autres) de toutes les pages éditoriales des journaux
du Québec, hormis celle du Devoir (avec
son immense part du marché correspondant à 3.5%): «En Amérique du Nord, la pratique veut que la page éditoriale reflète
le point de vue du propriétaire.» (in
Norman Delisle, Le Droit du 10
nov. 2000 ).
Ce qui en soi n'est pas dramatique, bien sûr. Sauf s'il n'y a qu'un seul propriétaire,
de Percé à Tracy, de Val d'Or à Kamouraska... Bref, Paul Power
Desmarais grand manitou de l'opinion publique québécoise et du coup, ou
peu s’en faut, non moins puissant que le Premier ministre lui-même: la société
tout entière au service des richissimes intérêts privés. La belle démocratie
du capitalisme sauvage. Mais il n'y a pas de quoi s'affoler, Lavoie l'a bien
dit: voir les choses ainsi, c'est de
l’ignorance ou de la démagogie partisane... En conséquence, Hélène
Baril (Le Devoir du 11 nov. – http://ledevoir.com/med/2000b/unip111100.html
)
n’a qu’à aller se rhabiller (hélas!), elle qui simultanément terminait
son papier sur ce phrasé tout en euphémisme: «La
victoire de Power n'est pas une
victoire pour le Québec».
Le monde selon Gilbert alias Orwell,
ou le devoir de penser comme le maître. Fût-il petit-nègre de la langue d’ébène. Note
. En complément, du même auteur on
pourra consulter Dictature
de la presse québécoise.
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