Papas-mamans,
lâchez-leur donc un peu les baskets! (…) Après bien des manœuvres plus ou moins habiles visant à mettre un peu de distance entre ma «Verchères» et ce fichu quai, je me retrouve enfin pointe vers le large, c'est-à-dire du côté du «creux», dans la position classique du rameur qui donne à celui-ci l'étrange impression, au demeurant agréable, de s'éloigner de plutôt que d'aller vers. Me voilà seul maître à bord après… personne. Wow! le bonheur «tôtal»! Quel programme, mes amis : une aventure à vivre hors supervision maternelle, un univers à redécouvrir par moi-même, une liberté toute neuve à expérimenter, à goûter de tous mes sens! « Allons d'abord du côté des "battures"! » que je me commande à moi-même in petto.
Si vous avez
le privilège, le bonheur insigne d’être parent et que, à la lecture
du flash-back estival ci-dessus,
vous vous soyez demandé : « Était-ce bien prudent, cette équipée
sur l'eau en solitaire, et qui pis est, sans gilet de sauvetage d’un modèle
recommandé, dûment approuvé, certifié conforme aux normes, etc.? »
(Note de l’auteur : cette pièce d’équipement était
virtuellement inconnue à l’époque de mes culottes courtes.)
« Et que faisait donc la mère de cet enfant? » (Re-note de
l’auteur, destinée celle-là à vous rassurer tout de suite :
maman, qui avait bien des chats à fouetter, ne jouissait point – fort
heureusement pour moi – du don d’ubiquité, et elle n’avait jamais
les pouces étourdis… d’avoir été trop tournés!) Si donc,
comme parent, vous vous êtes indigné d'emblée, sachez que c’est à
vous précisément que s’adressent les quelques lignes qui suivent. Eh bien, par
de telles questions, vous démontrez ne pas avoir accroché aux «bonnes
affaires»! Normalement, vous auriez dû saisir qu'il ne s'agissait point
là de ma part d'une sadique incitation à envoyer votre progéniture «s'épivarder»
sur le boulevard Décarie, à Montréal, à l'heure de pointe, afin de se
familiariser avec le danger – tout de même! –, mais plutôt d'un sain
encouragement à ne pas TROP organiser les activités de vos chéris, à
ne pas étouffer leur curiosité naturelle à force d'encadrement serré. In
medio stat virtus (traduction on ne peut plus libre : le chemin à
suivre louvoie entre les extrêmes). Il faut les laisser se faire des
bleus et des ampoules en explorant le royaume qu'ils se seront eux-mêmes
inventé; vous pouvez m'en croire : plus de quarante ans plus tard, ils
s'en souviendront encore, un sourire à l'âme. Chers géniteurs
surprotecteurs sur les bords, c'est le p'tit garçon qui subsistera
toujours à l'intérieur de cette mienne carcasse de bientôt 54
septembres qui vous écrit… au nom de vos enfants qui, eux, n'ont que
dix ans… pour de vrai! Qui vous écrit, disais-je, pour vous conjurer de
laisser un peu de «jeu» dans leur corde. Ainsi, toutes les promenades à
vélo n'ont pas à être faites avec papa-maman dans des sentiers
ultrabattus, tous les matches de hockey ou de soccer ne doivent pas forcément
se livrer sous la férule d'un «coach» adulte. Il faut parfois savoir s'écarter
de leur soleil, à ces jeunes pousses, question de leur permettre d'apprécier
la lumière et, surtout, de croître un bon coup! La solitude
est une grande amie qu'il convient d'apprendre à apprivoiser jeune et…
seul, sous peine de vieillir triste, ou désemparé. Jean-Paul Lanouette, en attente de son 54e été… |