« Abreuvoir, je ne boirai
pas de ton eau! » Deux coureurs allaient leur petit train, martelant le bitume à l'unisson. Malgré la canicule, ces disciples de la bonne forme trouvaient l'énergie nécessaire pour deviser côte à côte, même dans les côtes, sur moult sujets. Après
une heure de ce trot sous soleil de plomb, l'un de nos deux compères,
dont l'œil devenait un tantinet hagard – signe évident de déshydratation
–, finit par avouer sa soif : « Mon royaume pour un abreuvoir…!
» Ce à
quoi son compagnon de foulée répondit : « Moi aussi, j'offrirais bien
le mien, de royaume, pour un abreuvoir,
car j'ai une soif de cheval…
» Mais,
à peine achevait-il sa phrase qu'il vit, se dessinant à quelque cinq
cent mètres, une fontaine, ce
qui lui fit ajouter dans le même souffle ahanant : « Tiens, il semble
que nous pourrons laisser leurs abreuvoirs
aux animaux, après tout.
» «
Explique-toi », arriva à marmonner l'autre, bien qu'il eût maintenant
la langue collée au palais. «
Regarde là-bas…, une fontaine…
Nous allons pouvoir nous désaltérer humainement,
en bipèdes que nous sommes. » Ayant
étanché leur soif, les deux trottineurs du dimanche purent reprendre la
route, heureux de ne pas avoir eu à se mettre à quatre pattes ni à se départir
de leur royaume respectif… On
aura compris que les abreuvoirs
sont réservés, du moins en principe – sauf cas de force majeure –,
aux seuls animaux. L'homo erectus[1],
qui d'autre? a su se donner des fontaines
: qu'on se le dise! Chacun son eau, les vaches ne seront point frustrées. MORALE
DE CETTE HISTOIRE PEUT-ÊTRE VÉCUE : « Fontaine, je boirai de ton eau – ce qui n'exclut pas le moins du monde une bonne bière froide! » (Dixit l'auteur assoiffé terminant son tout dernier marathon en
1988, à quarante ans) |